Guinée-Bissau : petit pays, grandes manoeuvres
La Cedeao, Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, goûtait peu la percée angolaise dans la région. Elle pourrait finir par s’accommoder du putsch du 12 avril en Guinée-Bissau et de ses conséquences.
Lundi 7 mai, il est près de 10 heures à New York. Il ne faut que quelques minutes pour que les membres du Conseil de sécurité des Nations unies, réuni pour étudier la situation en Guinée-Bissau après le coup d’État du 12 avril, entrent dans le vif du sujet. C’est le Rwandais Joseph Mutaboba, le chef du Bureau intégré des Nations unies pour la consolidation de la paix en Guinée-Bissau (Uniogbis), qui met les pieds dans le plat. « La communauté internationale se doit d’être unie dans son engagement. Il est essentiel que tous les partenaires internationaux se mettent d’accord sur une réponse commune », lance-t-il. Dans le monde feutré des diplomates, on ne peut guère aller plus loin. Traduction d’un fin connaisseur du pays : « Depuis le putsch, on assiste à deux positions qui traduisent des intérêts divergents et qui empêchent de trouver une solution. D’un côté, les pays lusophones menés par l’Angola via la CPLP [la Communauté des pays de langue portugaise, NDLR]. De l’autre, les pays de l’Afrique de l’Ouest emmenés par le Nigeria via la Cedeao [la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest]. »
La suite des débats, à New York, illustrera ce fossé. Les lusophones dénoncent le plan de sortie de crise proposé par la Cedeao à Dakar le 3 mai, qui « légitime le coup d’État » et « ne satisfait pas au principe de tolérance zéro ». À Bissau, on n’hésite pas à dénoncer le double jeu de l’organisation sous-régionale. « En vérité, le coup d’État l’a bien arrangée », affirme un proche de l’ex-Premier ministre évincé par le putsch, Carlos Gomes Junior. C’est un secret de Polichinelle. Dakar et Abuja voyaient d’un très mauvais oeil la percée angolaise en terres ouest-africaines, entamée en avril 2010. Depuis l’épisode ivoirien, personne dans la région n’a digéré le discret soutien (diplomatique et militaire, via des conseillers) apporté par les Angolais à Laurent Gbagbo.
Leadership continental
Il y a deux ans, Luanda s’est opportunément rapproché de Bissau. Des accords commerciaux ont été signés. Ils prévoyaient notamment qu’une société angolaise qui exploite un gisement de bauxite construise un port en eau profonde ainsi qu’une ligne de chemin de fer vers le Mali, risquant ainsi de concurrencer le port de Dakar. En mars 2011, l’Angola déploie une mission de coopération militaire et policière (la Missang) censée aider le gouvernement à mener la réforme de l’armée. Cette présence devait s’accompagner de l’envoi d’une force de la Cedeao – ce à quoi l’armée bissau-guinéenne s’est opposée. Abuja, en concurrence avec Luanda pour le leadership continental, et Dakar, qui exerce une forte influence sur son voisin depuis une dizaine d’années, se sont fait doubler.
Très vite, les diplomates ouest-africains se sont interrogés sur le nombre de soldats envoyés par Luanda (ils sont environ 600, parmi lesquels figurent des soldats d’élite, apprendra-t-on après le coup d’État). Leurs soupçons ont pris de l’ampleur lorsqu’en mars dernier, quelques semaines avant le putsch, des officiers d’un pays ouest-africain de passage à Bissau ont appris avec effarement qu’en octobre 2011 les Angolais avaient acheminé du matériel de guerre (des chars et des armes lourdes) sans en avertir l’armée bissau-guinéenne et sans que l’on sache à qui il était destiné. « Étonnant, alors que leur mission devait se limiter à la réaffectation des casernes militaires », note un officier de la région. À l’époque, les généraux bissau-guinéens, irrités par la proximité entre l’Angola et Gomes Junior, lui avaient soufflé : « Si Gomes Junior est en passe d’être élu, nous agirons. »
Force conjointe
Le putsch aurait pu sonner la défaite des Angolais et le retour en force de la Cedeao. Mais les premiers, qui sont aussi suspectés de viser le pétrole bissau-guinéen, sont tenaces. Après avoir annoncé le retrait de leurs troupes, ils proposent d’envoyer non plus une simple force de la Cedeao (déjà sur le pont), mais une force conjointe CPLP-Cedeao, mandatée par l’ONU.
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