Au Burkina Faso, des deepfakes au service de la transition
Propagande 3.0. au Sahel : des vidéos faisant l’apologie de la junte burkinabè utilisent des avatars créés par un logiciel d’intelligence artificielle.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 3 février 2023 Lecture : 2 minutes.
« Bonjour au peuple africain et plus particulièrement aux habitants du Burkina. » Incrustée dans un drapeau burkinabè, une jeune femme en jogging, au teint ni clair ni foncé, exprime ses salutations, mais en anglais. « Nous sommes des Américains d’Afrique et panafricains », précise un homme affable en chemise mauve. « Nous devons soutenir le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration [MPSR] et le président Ibrahim Traoré », renchérit une autre demoiselle aux cheveux lisses.
Devenus viraux depuis le deuxième putsch burkinabè de 2022, ces appels circulent sur les réseaux sociaux du Faso, en particulier sur les toujours très populaires Facebook et WhatsApp – notamment sur les pages de militants pro-Traoré, qui engrangent parfois des centaines de milliers d’abonnés. Des activistes qui aiment tout autant dénigrer les témoignages estampillés « occidentaux » que promouvoir les paroles discordantes des ressortissants d’Europe ou d’Amérique. Mais dans ces vidéos, en réalité, point d’opinions sincères…
Réalisme en trompe-l’œil
Si la manipulation a de beaux jours devant elle, la technique est têtue. Face au caractère aseptisé de ces déclarations d’affection à « I.B. », des geeks ont retracé l’origine des visages présentés. Les prétendus aficionados de la junte burkinabè ne sont que des avatars – noms de code « Anna », « Matt » ou « Evelyn » – qui font partie de la banque d’images du logiciel d’intelligence artificielle Synthesia. Pour synchroniser les propos tenus avec l’articulation labiale des personnages animés, les réalisateurs des vidéos ont, après avoir ajouté le drapeau burkinabè, employé la technique du deepfake, qui permet de mettre en bouche n’importe quels propos créés de toutes pièces. Une technique d’animation au réalisme en trompe-l’œil.
Rien ne dit que ces visages existent – ils peuvent être le fruit du morphing de plusieurs faciès, utilisé la plupart du temps pour transformer de visu un visage en un autre. Et tout porte à croire que les propriétaires des traits qui ont contribué à leur conception ne connaissent pas le Faso…
Synthesia bannit l’utilisateur
Délit de bonne guerre ? Certes, les propagandistes du jour auraient pu, de façon plus traditionnelle et tout aussi courante, faire interpréter ces mêmes « dialogues » par des comédiens rémunérés. Et ces vidéos ne charrient aucune fake news gravissime, sinon le fait erroné que ces personnes virtuelles auraient prononcé de telles phrases et qu’elles-mêmes existeraient. Mais ces films de communication ne prétendent guère être des contenus journalistiques. En d’autres circonstances, des deepfakes plus mal intentionnés avaient ainsi attribué de fausses déclarations à des personnalités célèbres.
Contacté par un fact-checker, le président de la société Synthesia a tout de même déclaré : « Ces vidéos enfreignent nos conditions d’utilisation et nous avons identifié et banni l’utilisateur en question ».
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