Hollande et l’Afrique : un continent, sept priorités
Le candidat Hollande en a très peu parlé durant la campagne. Mais un certain nombre de sujets devraient rapidement s’imposer à lui.
France-Afrique : Hollande et nous
1. Les sables mouvants du Sahel
La question du Sahel et du Mali n’a fait l’objet que de quelques minutes lors du débat télévisé de l’entre-deux-tours, le 2 mai. Le candidat Hollande s’est borné à dire qu’il fallait « aider » les pays profondément déstabilisés par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et par les contrecoups de la chute de Kadhafi. « Des contacts ont été pris à Bamako et dans les autres capitales de la région », assure un proche collaborateur du nouveau président, spécialiste des questions africaines. Paris, qui espère une implication d’Alger, a deux inquiétudes : le sort des six otages français et la mainmise des groupes islamistes Aqmi et Ansar Eddine sur le nord du Mali.
« La solution doit être trouvée dans un cadre multilatéral », explique la même source, qui se réjouit du rôle joué par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et de la lettre de félicitations de Boni Yayi, dans laquelle le président en exercice de l’Union africaine se prononce pour une saisie du Conseil de sécurité de l’ONU. « Une volonté africaine suivie d’une résolution votée par les Nations unies est la bonne méthode », conclut notre interlocuteur. Cela ressemble aux scénarios ivoirien et libyen. Avec à la clé une intervention directe de la France ? « Non, Paris n’est pas sur cette ligne et devrait se limiter à un soutien logistique et financier de la force de la Cedeao », assure un haut diplomate.
2. La Françafrique bouge encore
Jean-Marie Bockel voulait avoir sa peau. Finalement, la Françafrique, avec ses réseaux remontant jusqu’à l’Élysée, a obtenu la tête de l’audacieux et éphémère secrétaire d’État chargé de la Coopération (2007-2008). Sur ce terrain, le candidat corrézien a opté pour la prudence. Pas de déclarations tonitruantes, seulement quelques engagements. « J’en terminerai avec ces rapports de domination, d’influence et d’affairisme », a-t-il déclaré dans une interview à Jeune Afrique en août dernier. On aurait pu s’appuyer sur un « discours de Cotonou » pour en savoir plus, mais celui-ci n’est pas venu. « Pour l’instant, je ne vois aucun réseau se constituer autour de Hollande », se rassure un habitué des questions africaines particulièrement vigilant sur ce sujet. Qu’en pense Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d’État de Mitterrand, qui a été le « Monsieur Afrique » du candidat Hollande ? Aucun poste ne lui est réservé à Paris, mais il voyage beaucoup sur le continent.
3. La bataille de l’APD
« C’est un combat, mais on peut le gagner », assure un haut fonctionnaire partisan d’une hausse de l’aide publique au développement (APD) malgré la crise économique qui s’abat sur l’Europe et la cure budgétaire qui se profile. En 2011, la France a été un mauvais élève, avec une baisse de ses engagements de 5,6 % (9,3 milliards d’euros, dont 60 % en Afrique). Faute de marges de manoeuvre, l’équipe Hollande mise sur la fameuse taxe sur les transactions financières, qui pourrait rapporter 40 milliards d’euros par an. Problème : les Anglo-Saxons n’en veulent toujours pas. Autre préconisation dans l’entourage du président : « Casser le thermomètre APD. » Car aujourd’hui, entre les prêts bonifiés ou non, les dons, les annulations de dette, l’assistance aux réfugiés politiques… plus personne ne s’y retrouve.
4. Une vision apaisée de l’immigration
Le prochain gouvernement ne comprendra pas un maroquin en charge de l’Immigration, encore moins un portefeuille dévolu à l’Identité nationale. En revanche, il est peu probable que François Hollande abroge les huit accords migratoires bilatéraux déjà signés entre 2007 et 2009 (Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Congo, Gabon, Maurice, Sénégal, Tunisie). Si l’immigration choisie, chère à son prédécesseur, n’est plus de mise, le nouveau locataire de l’Élysée fait une nuance entre l’immigration économique, qu’il faut « limiter en temps de crise », et la venue d’étudiants étrangers, « une chance pour eux-mêmes et pour la France ». D’ailleurs, l’une de ses premières mesures sera d’abroger la circulaire Guéant, qui interdit aux étudiants étrangers de travailler en France à la fin de leurs études. Concernant l’expulsion des clandestins, aucun chiffre n’a été donné par le candidat, mais il a précisé que le recours aux centres de rétention devait être « exceptionnel ».
5. Traverser la Méditerranée
Attaché aux bonnes relations avec le Maghreb, qu’il connaît mieux que l’Afrique subsaharienne, Hollande a fait travailler son équipe de campagne sur la question euro-méditerranéenne, et particulièrement l’ex-sénatrice des Français de l’étranger Monique Cerisier-Ben Guiga, les députés européens Vincent Peillon et Kader Arif et le candidat aux législatives dans la 9e circonscription des Français de l’étranger, Pouria Amirshahi. Certains sont plus favorables à un dialogue resserré avec les pays d’Afrique du Nord, d’autres, comme Peillon, plaident pour une relance de l’Union pour la Méditerranée. Le nouveau président n’a pas encore tranché. Il souhaite au préalable consulter ses partenaires en Europe et au Sud. Ses lieutenants insistent sur la nécessité de se recentrer sur des projets dans l’énergie et l’eau, et sur la création d’une banque de développement. Pour ne pas abandonner la région aux pays du Golfe et aux puissances asiatiques.
6. Le complexe algérien
Deux jours après la victoire du candidat socialiste, l’Algérie commémorait les massacres de Sétif par l’armée française, le 8 mai 1945. Jusqu’à présent, le président Abdelaziz Bouteflika adressait un message à la nation lu à la télévision. Cette fois, année du cinquantenaire de l’indépendance oblige, il s’est déplacé à Sétif, et son discours a occulté les termes habituels : « génocide », « torture », « corvée de bois »… Il a juste demandé que Français et Algériens fassent « une lecture objective » de leur histoire commune. C’est sans conteste le premier effet de l’élection de François Hollande. Ce dernier avait choisi, en décembre 2010, Alger, une ville qu’il connaît bien pour y avoir effectué son stage de l’École nationale d’administration (ENA) à la fin des années 1970, pour afficher ses certitudes : « Je suis capable de battre Sarkozy », avait-il déclaré. Le postulant n’avait pas été reçu par Bouteflika, qui « ne voulait pas heurter la susceptibilité de Sarkozy », explique un collaborateur du chef de l’État algérien.
Le 6 mai, à 19 heures, heure locale, une sourde clameur est montée des quartiers d’Alger après l’annonce de la défaite de Sarkozy, hostile à toute repentance pour les crimes coloniaux. Depuis, une folle rumeur circule en Algérie : « Et si Hollande venait participer aux cérémonies du cinquantenaire de l’indépendance ? »
7. L’après-Juppé au Rwanda
L’ex-ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner avait parlé de « faute politique » lors d’un voyage à Kigali, en 2008. Deux ans plus tard, le président Sarkozy avait reconnu les « graves erreurs » de la France au Rwanda avant le génocide de 1994. La normalisation était en marche. Mais l’arrivée au Quai d’Orsay, en février 2011, d’Alain Juppé – mis en cause dans un rapport rwandais qui accuse la France d’avoir « participé » au génocide – a bloqué le processus. Échanges d’amabilités entre le ministre et le président Paul Kagamé via Jeune Afrique ; rappel à Paris de l’ambassadeur français en poste au Rwanda ; refus de Kigali d’agréer le successeur… Il y a de la friture sur la ligne entre les deux capitales. Hollande et Kagamé peuvent-ils renouer le dialogue ? « Hubert Védrine [également mis en cause dans le rapport Mucyo en tant que secrétaire général de l’Élysée en 1994, NDLR] n’est pas dans les premiers cercles de Hollande, cela peut faciliter les choses », explique un spécialiste des relations entre les deux pays.
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Pascal Airault, Cherif Ouazani et Philippe Perdrix
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