Agrobusiness : un potentiel à transformer
L’agro-industrie, futur terreau de la prospérité africaine ? C’est possible, à condition que le continent lève les derniers obstacles en termes de production, d’infrastructures et d’énergie. Mais déjà, les investissements affluent et les usines se multiplient.
Agro-industrie : un potentiel à développer
« Avant, nous donnions de l’argent ou de la nourriture pour lutter contre la faim. Maintenant, nous transférons nos connaissances », expliquait il y a un an Kerr Dow, vice-président de l’américain Cargill. Une partie de l’industrie agroalimentaire mondiale, dont General Mills, Cargill et DSM, lançait alors une organisation à but non lucratif baptisée Partners in Food Solutions. Objectif : travailler avec une quinzaine d’acteurs africains au Kenya, en Zambie, en Tanzanie et au Malawi, et aider par ricochet 60 000 agriculteurs. Dans les cinq ans, l’organisation ambitionne d’appuyer 200 entreprises et 1 million d’agriculteurs dans quatorze pays du continent.
Ce mouvement est parti d’un constat sur lequel s’accordent la plupart des industriels de l’agroalimentaire, selon les 121 cadres supérieurs du secteur interrogés par le cabinet d’avocats Norton Rose. « Notre étude met en exergue le gigantesque potentiel de l’Afrique en tant que source de produits alimentaires et agricoles à long terme », analysait Glenn Hall, associé, lors de la publication de l’enquête le 20 mars. D’après Martin McCann, responsable des activités infrastructures, mines et matières premières au sein du même cabinet, « l’Afrique va devenir un acteur aussi incontournable et important que le Brésil au cours des dix prochaines années ».
Dans son rapport « L’agrobusiness au secours de la prospérité de l’Afrique », l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) explique : « L’environnement mondial actuel offre la possibilité aux pays africains de diversifier leurs économies. Dans ce contexte, l’agrobusiness représente un vecteur important de développement économique durable. Les expériences du Brésil, de la Malaisie et de la Thaïlande illustrent combien les choix politiques sont essentiels pour renforcer la prospérité économique à travers le développement de l’agro-industrie. Les pays africains sont bien positionnés pour tirer profit de ces enseignements. » Selon Victor Famuyibo, directeur des ressources humaines pour Heineken au Nigeria, « l’avenir est ici ». « Je ne dis pas cela parce que je suis Africain, mais parce qu’il me semble que l’Afrique est prête à prendre le relais de l’Asie en termes de croissance », ajoute-t-il.
Des besoins faramineux
Rien qu’au sud du Sahara, le montant des investissements agricoles nécessaires devrait s’élever à 700 milliards d’euros d’ici à 2050, selon la FAO. Face à l’augmentation rapide de la population subsaharienne – qui devrait atteindre 1,5 milliard à 2 milliards d’habitants dans les trente ans -, « les États doivent faire plus d’efforts concertés pour améliorer la productivité et la compétitivité de leurs systèmes agroalimentaires en assurant, dans le même temps, des moyens de subsistance viables qui génèrent assez de nourriture, de revenus et d’emplois pour les petits producteurs », a déclaré fin avril Helena Semedo, la responsable régionale de la FAO. Fanny Rey
L’exemple chinois
Tout le monde est donc d’accord. D’autant que le secteur contribue déjà largement, mais de manière disparate et désorganisée, à l’économie du continent. Toujours selon l’Onudi, « les activités liées aux ressources, en amont, et les activités de transformation, en aval, ainsi que la distribution et la commercialisation représentent près d’un cinquième du PIB de l’Afrique subsaharienne et pratiquement la moitié de la valeur ajoutée de l’activité manufacturière et des services de la région ».
Le continent – et l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) en particulier – n’a pourtant pas encore levé tous les obstacles à l’industrialisation de son agriculture, notamment en termes d’infrastructures, d’énergie et d’environnement des affaires. En comparaison, la Chine a beaucoup d’avance : elle a investi dans la mise au point et l’adoption à grande échelle de variétés de semences ayant fait leurs preuves, libéralisé le marché des engrais, réformé les politiques tarifaires… « Tout cela a permis de doper la productivité agricole et a servi de tremplin à la croissance du secteur ainsi qu’à ceux de la transformation et des services », rappelle encore l’Onudi. L’Afrique peut donc mieux faire.
Du côté des entreprises privées, le mouvement semble déjà bel et bien amorcé. Ainsi, les multinationales n’hésitent plus à déverser des sommes considérables dans le but de tirer profit du milliard de consommateurs africains. Entre 2010 et 2012, le suisse Nestlé aura investi près de 850 millions d’euros pour ouvrir ou agrandir de nouvelles usines et des centres de distribution (Algérie, Angola, Égypte, Mozambique, Nigeria, Afrique du Sud…).
Le singapourien Olam a lui aussi multiplié les ouvertures de sites de transformation, conformément à sa nouvelle stratégie visant à être présent de la plantation à l’assiette. Très impliqué en Côte d’Ivoire (il est actionnaire de l’huilier Sifca), où il prévoit d’investir 150 millions d’euros dans l’agro-industrie, le groupe a inauguré fin février à Bouaké, pour 26 millions d’euros d’investissement, la première de trois unités de transformation de noix de cajou ainsi qu’une usine de lait en poudre et de lait condensé sucré à Abidjan. Au Ghana voisin, Olam prévoit d’investir 340 millions d’euros dans le secteur agroalimentaire. Fin février, il inaugurait déjà une minoterie de 40 millions d’euros.
Mais celui qui pourrait accélérer le changement en Afrique est peut-être en train d’arriver à pas feutrés. Lors du World Economic Forum on Africa 2011, Liu Guijin, du ministère chinois des Affaires étrangères, prévenait : « Nous allons investir dans des zones industrielles et contribuer au développement de l’industrie manufacturière. » Les faits ont-ils suivi l’annonce ? Timidement. Pour l’instant, le sucre concentre les efforts (lire p. 136). Après la sucrerie sino-malienne de Markala (société Sukala), qui démarrera en avril et produira 100 000 tonnes par an, le groupe Sinolight a annoncé la construction d’une sucrerie au Niger d’une capacité équivalente.
Les anglophones restent largement devant les autres en matière d’agrobusiness.
Les bonnes nouvelles sont parfois aussi africaines. Le sénégalais Patisen a ainsi prouvé qu’aucune multinationale n’était imbattable, quand bien même elle entretenait un quasi-monopole depuis un siècle. En détrônant dans la sous-région le cube Maggi, du géant Nestlé, avec ses produits Mami, la société dirigée par Youssef Omaïs a écrit la première page d’une success-story made in Dakar. Aujourd’hui présent dans toute l’Afrique de l’Ouest avec ses pâtes à tartiner chocolatées et ses bouillons en cube, Patisen va prendre une nouvelle dimension avec l’agrandissement de ses chaînes de production, grâce, notamment, au financement de 11 millions d’euros apporté en novembre par la Société financière internationale (SFI, Banque mondiale). Chiffre d’affaires annoncé pour 2012 : 150 millions d’euros.
Patience et diplomatie
L’environnement n’en demeure pas moins ardu pour se développer, comme le souligne Nick Goble, directeur Afrique chez le sud-africain Pannar Seeds, présent dans une vingtaine de pays du continent : « Il faut du temps pour bâtir une entreprise en Afrique. Il y aura toujours des problèmes à résoudre, et vous devrez vous armer de patience, de diplomatie, de ressources et d’une stratégie à long terme. Si vous avez tout cela, l’Afrique peut être enrichissante. » Selon un autre acteur du secteur, la transformation permet de dégager de 10 % à 15 % de marge, bien plus que les 1 % à 2 % espérés sur les activités de négoce. De quoi aiguiser les appétits.
Alors que tous les regards se tournent vers une nouvelle crise alimentaire au Sahel, l’industrie peut-elle jouer un rôle pour accroître la production agricole et combler le déficit annuel de 400 millions de tonnes ? Réponse de l’Onudi : « Du point de vue de la transformation économique, l’agriculture et l’agro-industrie sont indissociables et ne peuvent être analysées séparément. » Pour Moussa Seck, agronome et président du Consortium panafricain de l’agrobusiness et de l’agro-industrie, il faut augmenter la productivité « à chaque étape des différentes chaînes de valeur agricoles tout en améliorant la coordination entre ces étapes ». Il ne reste plus qu’à s’accorder.
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