Maroc : Tanger Med repart à l’abordage

Après une année 2011 difficile, le port marocain de Tanger Med montre de nouveau les dents. Il entend rivaliser avec Algésiras, de l’autre côté du détroit de Gibraltar, pour devenir un haut lieu du transbordement en Méditerranée.

Les dockers ont obtenu des hausses de salaire de plus de 30% en 2011. © Hassan Ouazzani pour J.A.

Les dockers ont obtenu des hausses de salaire de plus de 30% en 2011. © Hassan Ouazzani pour J.A.

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 18 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

Chaque année, quelque 100 000 navires – soit 20 % du trafic mondial – transitent par le détroit de Gibraltar. Sur la rive sud, le port de Tanger Med, qui fêtera ses 5 ans cet été, continue sa montée en puissance. Objectif : devenir l’un des hauts lieux de transbordement de la zone Europe-Méditerranée. Le port marocain, piloté par l’Agence spéciale Tanger Méditerranée (TMSA), est encore loin de sa cible de 8 millions de conteneurs par an, qu’il prévoit d’atteindre en 2016. Le trafic a progressé de 1,7 % en 2011, pour atteindre 2,1 millions de conteneurs manipulés, pour une capacité actuelle de 3 millions. Cette légère hausse est en deçà des attentes de TMSA. Sans une fin d’année socialement tumultueuse, le trafic annuel aurait pu être 15 % plus élevé. Les deux terminaux gérés par APM et le consortium Eurogate Tanger ont subi une baisse d’activité de 70 % pendant les grèves d’octobre et novembre 2011.

Après les grèves, les géants CMA CGM et Maersk ont renouvelé leur confiance

Alors qu’un navire hongkongais de 200 mètres – le San Francisco -appareille sous ses yeux, Marco Mignogna, président du directoire d’Eurogate Tanger, évoque une période difficile pendant laquelle son entreprise perdait 200 000 euros par jour : « Nos principaux clients ont compris ces tensions sociales comme un problème de jeunesse, et ils nous sont restés fidèles. Mais maintenant, on n’a plus le droit à l’erreur », explique l’Italien, qui affirme que le syndicat majoritaire, l’Union marocaine du travail, est désormais sur la même longueur d’onde que la direction. « Nous avons trouvé une solution avec des hausses de salaires et des primes », indique ce manageur issu de Contship Italia, l’un des principaux actionnaires d’Eurogate Tanger. Le salaire moyen tourne désormais autour de 4 700 dirhams (420 euros) pour les dockers des deux terminaux, après des hausses de plus de 30 % en 2011.

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Après les grèves, seule la compagnie sud-africaine Safmarine n’est pas revenue à Tanger. Heureusement pour les Marocains, les géants maritimes comme le français CMA CGM ou le danois Maersk ont renouvelé leur confiance, notamment du fait des liens capitalistiques qu’ils entretiennent respectivement avec Eurogate et avec APM, qui leur garantissent des tarifs avantageux.

Un port peut en cacher un autre

Quelque 2 200 ouvriers s’activent sur le chantier de Tanger Med 2. Un consortium mené par le français Bouygues Construction y réalise une gigantesque digue de 4,8 km de long en déposant 95 caissons de 24 m de hauteur au fond de l’eau. Celle-ci abritera un bassin de 160 ha et le nouveau terminal de Marsa Maroc, qui doit démarrer en 2014. Sa construction est assurée par le groupement Besix-Somagec. D’ici à 2016, Tanger Med 2 ajoutera une capacité de 5,2 millions de conteneurs aux 3 millions de Tanger Med 1. C.L.B.

La concurrence du frère jumeau

Mais les pilotes de Tanger Med n’ont pas oublié l’alerte. Ils savent que des solutions de repli existent à proximité. « Une part du trafic des ports de transbordement méditerranéens est volatile. Comme les compagnies de taille moyenne ne sont pas actionnaires des terminaux, elles se montrent sensibles à tout risque ou variation de la compétitivité », explique un banquier spécialiste du secteur. « Nos opérations de transbordement peuvent être très facilement transférées d’une rive à l’autre du détroit. C’est presque indolore en termes de coûts », confirme le directeur commercial d’une compagnie maritime installée au Maroc et en Espagne. Face à Tanger Med, les ports de Malte, de Valence, de Málaga, mais aussi et surtout d’Algésiras, affûtent leurs armes.

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En 2011, l’autorité portuaire de la ville andalouse – située à seulement 18 km de Tanger – annonçait un trafic de 3,6 millions de conteneurs. Soit une progression de 27 % qui n’est pas sans lien avec les déboires de fin d’année de son rival marocain. Le tout nouveau terminal multimodal TTI Algeciras, géré par le coréen Hanjin et lancé en mai 2010, est un véritable frère jumeau de Tanger Med. Comme lui, il peut accueillir conteneurs, camions, vrac et produits pétroliers. Au niveau des coûts, les deux ports sont au coude à coude. « Bien sûr, notre main-d’oeuvre est moins chère, explique Marco Mignogna. Mais, comme Tanger Med est un nouveau port, les frais de concession payés à l’État sont élevés. Ce n’est pas le cas à Algésiras, qui est soutenu par des subventions importantes de Madrid. »

Tanger Med parmi les mieux classés

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Sur les quais marocains, l’heure est à la mobilisation. « Quand nous avons démarré l’exploitation du terminal d’Eurogate Tanger, en 2009, la référence de nos travailleurs, c’était Casablanca : un port dévolu au marché intérieur et qui n’a pas grand-chose à voir avec le transbordement de conteneurs. Nous avons formé des équipes et réduit à dix jours le délai de transfert de marchandises d’un bateau à l’autre. C’est un point très sensible pour les armateurs, pour qui cela signifie des frais moins élevés, détaille l’Italien. Aujourd’hui, nous figurons désormais parmi les ports les mieux classés par CMA CGM. »

Commercialement, les opérateurs de Tanger Med se veulent offensifs : « Nous sommes à la croisée de toutes les grandes routes maritimes, affirme Marco Mignogna. Nous voulons devenir incontournables pour le transbordement des marchandises venues d’Amérique latine et d’Extrême-Orient à destination de Dakar, de Nouadhibou, d’Abidjan mais aussi du Cap. À terme, nous souhaitons que les armateurs qui transportent des marchandises du Brésil ou d’Argentine vers l’Europe du Sud-Ouest et l’Afrique de l’Ouest viennent chez nous plutôt qu’à Rotterdam. »

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Christophe Le Bec, envoyé spécial

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