Tourisme : la Tunisie prépare les prochaines vacances
Les bouleversements politiques en Tunisie et la situation économique difficile en Europe ont mis à nu les faiblesses du secteur touristique. Depuis la révolution, les opérateurs peinent à définir une nouvelle stratégie, hésitant entre l’offre de masse et le très haut de gamme.
Sans surprise, la révolution et la crise dans la zone euro ont lourdement affecté le tourisme tunisien, dont les revenus ont chuté de 30 % en 2011. Malgré les difficultés conjoncturelles et les défaillances structurelles (vieillissement des infrastructures, endettement des hôteliers), le secteur, qui a engrangé 1,3 milliard d’euros de recettes en 2011 et emploie 400 000 personnes, demeure un pilier de l’économie du pays, contribuant à hauteur de 7 % au PIB tunisien.
D’où l’importance de relancer une machine susceptible de tirer l’économie nationale. Mais cela impose au préalable de repenser la stratégie du secteur. Quel modèle pour l’industrie touristique ? La question fait débat. « Sortir le tourisme tunisien de son positionnement moyen de gamme pour développer la destination et dégager une plus-value est une priorité pour les dix prochaines années », affirme Habib Ammar, directeur général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT).
À l’opposé, Imed Ragzani, chargé du tourisme au sein du parti islamiste Ennahdha, se veut plus radical. Pour en finir avec la politique de bas prix, il veut cibler sans transition le tourisme très haut de gamme et la clientèle des pays du Golfe, à travers un marketing intensif ainsi qu’un projet de label tunisien à définir. Pour satisfaire en partie cette demande, le qatari Diar a acheté 40 ha de terres à Tozeur, le 2 mai, pour bâtir un complexe touristique de luxe.
Sur le terrain, les professionnels courbent l’échine. Car même les 2 millions de touristes algériens qui avaient sauvé la saison en 2010 ne seront probablement pas au rendez-vous cet été : cette année, le ramadan se tient de la mi-juillet à la mi-août. Alors le secteur s’adapte. « Les établissements hôteliers réputés ont résisté. Nous avons ciblé une clientèle de niche et créé de l’événementiel », affirme Mehdi Allani, vice-président de l’hôtel Le Sultan, à Hammamet. En dehors des périodes de vacances, ce quatre-étoiles a fait le plein toutes les fins de semaine grâce à des actions promotionnelles auprès d’une clientèle locale en quête de nouveautés : gratuité pour les femmes le 8 mars à l’occasion de la Journée de la femme, création d’événements équestres, thème de la gastronomie… Résultat : de 50 % à 60 % en basse saison, le taux de remplissage est attendu à 95 % au plus fort de l’été.
De son côté, le groupe Seabel Hotels a mis à profit la pause forcée en 2011 pour remettre à neuf le Seabel Rym Beach de Djerba, investissant 3 millions d’euros dans sa rénovation pour passer de trois à quatre étoiles. Quant au groupe Yadis, il a conjuré la crise avec deux ouvertures et autant de réouvertures. Il a ainsi investi 35 millions d’euros dans la construction du Yadis Imperial Beach & Spa Resort, à Djerba, un cinq-étoiles de 500 chambres avec un centre de thalassothérapie de 4 000 m2 ; 5 millions d’euros dans la rénovation du Yadis Oasis (quatre étoiles), à Tozeur ; et 3,3 millions d’euros dans le lifting du Yadis Morjane (trois étoiles), à Tabarka. Par ailleurs, le groupe mise sur l’essor du tourisme responsable en étant la première chaîne hôtelière du pays à s’être engagée à respecter les dix principes universels du Pacte mondial des Nations unies (droits de l’homme, normes de travail, environnement, lutte contre la corruption…). L’objectif est d’attirer une clientèle essentiellement britannique, allemande et scandinave, aux moyens financiers supérieurs à la moyenne des touristes regroupés dans les hôtels de bord de mer.
Une nécessaire mise à niveau
Cette évolution vers une offre de meilleure qualité, plus diversifiée et respectant des règles de gouvernance reconnues est l’objectif de la plupart des établissements tunisiens. Sur les 560 hôtels classés du pays, 177 ont été éligibles, au vu de leur bonne santé financière, au programme national de mise à niveau et profiteront de soutiens en matière de formation, de marketing, de promotion… Mais tous les établissements tunisiens ne bénéficieront pas de ce coup de pouce. La crise a fait des victimes. Confrontés à de graves difficultés financières aggravées par la chute du tourisme en 2011, 25 hôtels du Nord-Ouest et du Sud ont fermé après la révolution. Certains établissements de Hammamet-Sud qui ne sont pas situés sur le front de mer croulent encore sous les dettes avec des intérêts bancaires parfois plus élevés que le capital.
Il y a donc urgence à agir. « Mais, pour créer de la valeur dans le secteur du tourisme en Tunisie, il faudra quatre ans de travail, estime Olivier de Nicola, président des voyages Fram. Nous sommes passés de 90 000 à environ 35 000 clients sur la Tunisie entre 2010 et 2011. Si nous ne travaillons que la valeur, les opérateurs touristiques vont mourir dans l’intervalle. Nous avons donc intérêt à faire du volume et à travailler dans la durée pour créer de la valeur. Le meilleur ambassadeur de la Tunisie, c’est le client qui rentre chez lui. Mieux vaut avoir 10 000 clients qui rentrent satisfaits que 500 qui auraient payé très cher leur séjour. »
L’exception de l’hôtellerie d’affaires
Les établissements multiétoilés en bord de mer, autour de Tunis, sont d’abord des hôtels d’affaires qui ont développé pour certains, comme The Residence ou Karthago Le Palace, des prestations complémentaires telles que la thalassothérapie ou le golf. Depuis la révolution, ils font le plein, tout comme les hôtels de ville. La révolution a drainé aussi bien les hommes d’affaires que les sommets internationaux (Union africaine, Banque africaine de développement…) et les personnalités politiques. Pendant la préparation de la campagne électorale de l’automne dernier, les observateurs de l’ONU ont par exemple rempli le Sheraton. « Le tourisme d’affaires va bien, et c’est un bon indicateur quant aux perspectives de l’économie du pays », estime Nabil Sinaoui, directeur de l’hôtel Regency. Deux nouvelles unités, Novotel et Ibis, sont venues enrichir les propositions d’hébergement de la capitale. F.D.
Une phase de transition qui doit s’accompagner d’une plus grande cohérence marketing et commerciale. « Nous n’avons pas suffisamment tiré profit de la réserve de touristes européens, il nous faudrait assurer un meilleur ciblage géographique pour les attirer », explique par exemple Mohamed Belajouza, promoteur hôtelier et président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie. Autre piste : une mise en avant des spécificités locales dans les campagnes de promotion du pays à l’étranger. La Tunisie a plus de sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco que l’Égypte, et qui le sait ?
Les réservations pour juin et juillet ont bien démarré, surtout à Djerba, mais sans retrouver les niveaux de 2010.
Rachel Picard, directrice générale de Thomas Cook France
Quoi qu’il en soit, les professionnels tunisiens du tourisme devront rapidement arrêter leur stratégie de développement s’ils veulent capitaliser sur le regain d’affluence attendu pour la haute saison à venir. Six millions de touristes pourraient séjourner dans le pays en 2012, soit entre 15 % et 18 % de plus qu’en 2011, grâce à la reprise notable du marché français et à l’arrivée d’une clientèle russe – les autorités parlent de 200 000 visiteurs en 2012 – démarchée par des voyagistes turcs. Depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes, les rencontres d’affaires se multiplient avec la Turquie. Dans ce cadre, l’ONTT, pour qui le secteur touristique turc est un modèle, favorise les contacts entre les agences de voyages turques et les tour-opérateurs tunisiens.
« Les réservations pour juin et juillet ont bien démarré, surtout à Djerba, mais sans retrouver les niveaux de 2010 », constate Rachel Picard, directrice générale de Thomas Cook France. Selon les professionnels, le secteur pourrait retrouver sa vitesse de croisière en 2013. Elyes Fakhfakh, ministre du Tourisme, se veut rassurant : « Il n’y aura pas de virage concernant le tourisme tunisien. Il n’est pas question de revenir sur la typologie habituelle de nos touristes, ni sur leur façon de concevoir leurs vacances. » Cependant, tous les opérateurs sont conscients que le moindre incident entre des religieux et des touristes étrangers pourrait réduire à néant tous les efforts consentis par la profession.
A quand l’ouverture du ciel ?
Pour débloquer la situation, une décision des autorités pourrait créer un énorme appel d’air : l’ouverture du ciel et de la signature d’un accord Open Sky avec l’Union européenne. Pour l’instant, les discussions sont au point mort. En très mauvaise santé financière, Tunisair souhaite en effet conserver son monopole de compagnie nationale et fait pression pour retarder la libéralisation du transport aérien. Celle-ci permettrait pourtant d’attirer de nouvelles compagnies vers le pays, de multiplier les dessertes aériennes pour développer les courts séjours – comme a su le faire la Turquie – et de profiter davantage de la proximité avec l’Europe. Au Maroc, la signature d’un accord Open Sky en 2004 a permis de faire passer le nombre de touristes de 5,2 millions en 2003 à 9,3 millions en 2011. Entre-temps, la part de marché de Royal Air Maroc a dévissé de 62 % à 47 %. « Il faudra bien trancher un jour : protéger coûte que coûte les 3 000 salariés de Tunisair ou sauver les 400 000 personnes qui vivent du tourisme dans le pays », conclut un patron de groupe hôtelier.
Des fleurons du tourisme tunisien
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