À Tunis, ce sondage de Sigma qui met le feu aux poudres

Kaïs Saïed loin devant, Safi Saïd et Karim Gharbi, alias K2Rhym, deuxième et troisième, Abir Moussi lointaine quatrième… Les résultats étonnants d’un sondage sur les intentions de vote en cas de présidentielle anticipée ont provoqué la stupeur en Tunisie. Plutôt que de s’interroger sur ces chiffres, la plupart des observateurs préfèrent s’en prendre… au sondeur.

L’Open Sigma, à Tunis, le 4 février 2023. Au premier rang, Hassen Zargouni, en costume et cravate rouge. © Facebook Hassen Zargouni

Publié le 7 février 2023 Lecture : 4 minutes.

À Tunis, Hassen Zargouni, politologue et patron du cabinet d’études Sigma Conseil, est surnommé « l’oracle ». Une façon de rendre hommage à la fiabilité des sondages effectués par sa société à l’occasion des différents scrutins organisés depuis 2011.

Le 4 février, à l’occasion de l’Open Sigma, la traditionnelle grand-messe annuelle de l’audiométrie et des tendances sociopolitiques, chacun attendait donc avec impatience de découvrir les nouveaux chiffres issus des enquêtes de ses experts. Mais personne n’avait anticipé une telle déflagration.

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Avant même la présentation du sondage par lequel le scandale arrive, l’événement avait eu droit à un prologue comique offert par Abir Moussi, qui semble se positionner de plus en plus en agitatrice politique plutôt qu’en porteuse de projet. Depuis la rue, entourée de ses habituels fidèles, la présidente du Parti destourien libre (PDL) donnait de la voix, dénonçant la teneur des sondages de Sigma Conseil et accusant Zargouni de tous les maux.

Abir Moussi dans tous ses états

Un coup de gueule disproportionné qui ressemble à une réaction épidermique : Abir Moussi n’a tout simplement pas supporté de figurer en quatrième position d’un sondage de Sigma simulant une élection présidentielle en 2023.

Créditée de 3,8 % d’intentions de vote, celle qui se revendique de l’héritage destourien pointe loin derrière le président de la République, Kaïs Saïed, qui recueille, malgré le mécontentement ambiant, 40,9 % des voix, devant son concurrent malheureux de 2019, le journaliste et écrivain Safi Saïd (8,4 %), et Karim Gharbi, ancien gendre de Ben Ali et rappeur connu sous le pseudonyme de K2Rhym (4,8 %).

De quoi agacer Abir Moussi, qui n’a de cesse de se poser en première opposante au régime, persuadée que sa virulence à l’égard des islamistes et de Kaïs Saïed lui assure une forte popularité, ce que le sondage semble contredire.

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Dans la salle où Hassen Zargouni présente les résultats du sondage – lesquels circulaient sous le manteau depuis deux semaines –, la stupeur est toutefois à peine moins grande.

Comment, s’offusque l’assistance, peut-on sérieusement imaginer que K2Rhym arrive troisième dans les intentions de vote en vue d’une présidentielle ? Comment le sulfureux Safi Saïd peut-il être sérieusement être classé deuxième ? Les réactions sont sans nuance, et c’est Hassen Zargouni qui est cloué au pilori. L’image de « l’oracle » est écornée, beaucoup lui reprochent une manoeuvre visant à assurer sa propre influence.

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Des analyses en roue libre

Bien entendu, il est légitime et même sain de douter et de ne rien prendre pour argent comptant en matière d’analyse politique. Mais encore faut-il se poser les bonnes questions. Questionner, par exemple, la méthodologie avant de se lancer dans des analyses de chiffres où tout semble permis, et cela d’autant plus qu’en matière de sondages, chacun évolue en roue libre faute d’un réel cadre juridique, que réclament d’ailleurs les trois principaux cabinets de sondage tunisiens.

Ce 4 février, toutes ces considérations et toute idée de relativisme semblent avoir été jetées aux oubliettes. Le public venu assister à la rencontre annuelle de Sigma, constitué essentiellement d’une élite de gens influents bien informés, préfère accabler Zargouni.

Les résultats de son sondage dérangent, peut-être parce qu’ils reflètent un peu trop fidèlement la vague de populisme qui semble balayer le pays ? Haro donc sur le sondeur, désigné comme fauteur de troubles.

Hassen Zargouni tient bon. Il en a vu d’autres. Il sait aussi que ses détracteurs du jour sont justement ceux qui, le reste de l’année, réclament son expertise et sont les plus friands de sondages, d’autant que ceux-ci sont interdits de publication en période électorale.

Oubliées, les nombreuses occasions où, au cours des dix dernières années, Sigma a mis dans le mille. Oubliés, les sondages qui avaient vu avant tout le monde l’émergence, en 2011, du populiste Hachemi Hamdi et de sa Pétition populaire (El Aridha el-Chaabia), ceux qui, en 2014, avaient prédit à la virgule près le score (55,5 %) de Béji Caïd Essebsi à la présidentielle, ou ceux qui, dès 2018, avaient détecté la montée en puissance de Kaïs Saïed.

En fait, les réactions outrancières face aux résultats présentés lors de l’Open Sigma semblent résulter d’une prise de contact brutale avec la réalité. Les chiffres dévoilés racontent une histoire, et le problème réside dans le fait que cette histoire ne correspond pas à l’idée que la plupart des Tunisiens se font d’eux-mêmes. Celle d’un peuple averti, qui sait ce qu’il veut et ne s’en laisse pas conter.

Ce que montre le sondage, c’est que les postures ou les échanges entre amis ne correspondent pas toujours à la couleur politique du bulletin mis dans l’urne. L’écart est même abyssal et invite à prendre conscience de ceci : tout reste à faire.

En cela, au moins, les chiffres peuvent être utiles. Ils peuvent déclencher une vraie réflexion et rétablir, souhaitons-le, un minimum de cohérence entre les discours, les faits et la façon dont l’environnement est perçu par chacun.

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