Ukraine : de la guerre de Poutine au chant du cygne de l’Occident
Un an après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la guerre s’enlise. Seule solution pour les Européens et les Américains, qui jouent leur crédibilité dans ce conflit, refonder intégralement le droit international.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
Publié le 15 février 2023 Lecture : 6 minutes.
Depuis presque un an, la guerre qui sévit en Ukraine plonge une partie du monde dans la crise et la léthargie. Une léthargie inquiétante de la part de l’Occident. Pas parce qu’il attend que la guerre s’achève sans qu’il ait à agir – Européens et Américains ont largement financé et fourni Kiev en matériel militaire –, mais parce que l’Occident ne semble pas œuvrer à la recherche d’une véritable solution conduisant au règlement du conflit. Cette solution ne tombera pas du ciel. Et chacun le sait, il n’y aura aucune solution militaire à la guerre entre les deux pays.
Au tribunal de l’Histoire
Qu’il y ait un vainqueur ne permettra aucunement de préparer cette paix pourtant indispensable à la sécurité de l’ensemble du continent européen. La solution politique négociée est a priori la seule viable. En son absence, nous basculerons dans cette fameuse Troisième Guerre mondiale, dont on brandit souvent la menace comme on le ferait pour le teaser d’un mauvais film.
En attendant, nous attendons. Car, depuis plusieurs mois, ce choix politique de raison peine à s’imposer dans l’opinion et à infuser auprès des gouvernants occidentaux. Probablement parce que Poutine offre comme spectacle au monde, c’est la première convocation de l’Occident au tribunal de l’histoire du XXIe siècle balbutiant. Et cela lui attire, quoi qu’on en dise et qu’on en pense, par déni ou effroi, bien plus de soutien dans le monde que ce que les Européens ne veulent bien admettre.
Le choix clair de Bruxelles et de Washington, entre autres, d’armer l’Ukraine a permis au pays agressé de résister, de repousser les Russes et de récupérer quelques territoires rapidement conquis par Moscou dès le début des hostilités. Mais tout cela n’est-il pas un peu artificiel ? C’était une solution provisoire pour un conflit court, ou que l’on espérait court. Or, depuis des semaines, les choses s’enlisent, et nous basculons déjà dans le temps long. Bientôt, nous serons à sec.
Conséquences dévastatrices
Au fond, plutôt que d’imposer la solution de la négociation, pour Zelensky et pour Poutine, qui se rejettent d’ailleurs en permanence la responsabilité de l’impasse, il semblerait que nous ayons totalement démissionné de notre mission première, au regard du droit international, en n’invoquant même plus ni le système multilatéral ni les Nations unies pour régler la paix. C’est en cela que nous attendons une fois encore, nous contentant de compter les points jusqu’à ce que l’un ou l’autre camp s’épuise.
Il n’y a pas d’autre solution que de refonder intégralement notre droit international et ses garants
Dans les deux cas, les conséquences seront dévastatrices. C’est aussi là, à cause de la stratégie de Poutine poussée à l’extrême, malgré toutes les sanctions possibles et inimaginables décidées contre Moscou, que nous, Occidentaux, semblons incapables d’apporter d’autre solution à la guerre. Au contraire, nous semblons alimenter une nouvelle guerre des étoiles, où chacun des belligérants se réarme au fur et à mesure qu’il dilapide son arsenal dans un déluge de feux d’artifice continu contre l’ennemi, et dans un cycle sans fin de violence.
La Russie, que l’on disait perdue, à l’armée décadente, démotivée, poussiéreuse et vieillissante, sans commandement stratégique suffisamment efficace, est toujours là. Vladimir Poutine, annonce après annonce, continue de croire à ses mensonges et entraîne la population russe unie et résiliente derrière son chef, un peu plus chaque jour dans l’inconnu.
Il n’y a pas d’autre solution pour éviter d’aboutir au pire avec cette guerre (conflit sans fin, centaines de milliers de victimes, recours à l’arme nucléaire) que de refonder intégralement, sur les cendres de l’Ukraine, notre droit international et ses garants. Il faut replacer, avant tout, la diplomatie au cœur du concert des nations, désamorcer toute crise dès son embryon à l’avenir plutôt que d’entretenir le feu sacré du complexe militaro-industriel quasi illimité sur Terre. Il faut remettre à plat la formation du Conseil de sécurité des Nations unies, qui date des équilibres de l’après-Seconde Guerre mondiale, pour le rendre plus proche de la réalité géopolitique d’aujourd’hui. Il ne peut plus y avoir uniquement cinq membres permanents de ce Conseil d’insécurité.
L’ordre international saboté
Dans nombre de conflits, les veto russe et américain sont devenus un problème. Il suffit de rappeler le nombre de textes internationaux majeurs non signés par les États-Unis, qu’ils concernent Israël, les droits des enfants ou l’interdiction des mines antipersonnel.
On pourrait aussi citer la non convocation de tribunaux ad hoc pour crimes de guerre, où pourraient être jugés Washington pour le million d’enfants irakiens morts lors du programme pétrole contre nourriture après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein[1]. Combien de morts en Afghanistan pour un « Zero Nation Building » après vingt ans et zéro lutte contre la corruption ou l’éradication du pavot et de la drogue ? Dans ces faits qui ont contribué au retour des Talibans, au grand dam des Afghans qui le paient au prix fort. Il en est de même pour les crimes commis par l’Afrique du Sud qui n’ont jamais été jugés.
Ce sont tous ces doubles standards qui ont fait que les Occidentaux ont eux-mêmes saboté l’ordre international qu’ils ont construit avec le reste du monde, mais « à l’occidentale » depuis 1945.
Ce sont tous ces doubles standards – la non-application des résolutions onusiennes votées contre Israël jamais mises en musique ; le refus, en 2007, de valider la victoire du Hamas aux élections démocratiques voulues et organisées par l’Union européenne en Palestine : le renversement non sanctionné des pouvoirs élus démocratiquement dans le monde arabe post-Printemps, etc. – qui ont progressivement aliéné le Sud Global (Global South) à l’Occident. Et qui ont fait qu’aujourd’hui ce Sud Global ne soutient plus l’Occident et son discours, lequel sonne faux concernant la justice et le droit international, toujours à géométrie variable, selon nos intérêts, nos censures et nos autocensures.
Poutine contre le bloc occidental
C’est tout ce contexte qui, aujourd’hui, donne tant d’écho et de force au plan antioccidental sino-russe. C’est aussi sur ce contexte que Poutine et Xi Jiping misent pour tenter d’isoler l’Occident du reste du monde et, s’ils le peuvent, le fissurer, le fragmenter, l’écrouler.
Il ne faut pas oublier que ce Sud Global c’est 80 % de la croissance mondiale. On le sait mais on se refuse de l’admettre : Vladimir Poutine n’est pas en guerre contre l’Ukraine mais contre le bloc occidental. L’Ukraine, comme il n’a cessé de l’écrire et de le dire, ce n’est que le début.
le bloc eurasiatique-asiatique dispose de ressources illimitées
Les Occidentaux, en soutenant en aval l’Ukraine sans aucune autre stratégie que la fierté de penser bien faire, ne pensent qu’à vite se débarrasser de ce problème comme ils ont cru vite se débarrasser du Covid-19, dans leur habitude acquise de la facilité assistée et de l’immédiateté. Ils ne peuvent plus rien imaginer et affronter à long terme. Poutine et Xi ont le temps pour eux : d’abord car ils pensent dans le temps long, ensuite parce que le bloc eurasiatique-asiatique dispose de ressources illimitées.
Tandis que la petite péninsule européenne sera bientôt à court et ne peut déjà même pas compter sur un Moyen-Orient et une Afrique instables et revanchards vis-à-vis colonialisme, de notre hégémonie, de nos leçons sabotées par nos doubles standards, etc. Et une Amérique du Nord qui lui fait payer son gaz au prix fort, ne visant qu’à renforcer sa vassalité, non plus à l’égard de Moscou, mais un peu plus encore de Washington.
C’est aujourd’hui, que Poutine, en grand inquisiteur, est en train de dresser un tribunal pour l’Occident, en ralliant des millions d’individus à sa cause. Ce n’est pas de l’autoflagellation que de le dire, mais c’est bien plutôt pour tenter d’éclairer sur ce que et comment nous allons décider aujourd’hui, afin de ne pas ajouter une fois de plus l’erreur aux errements et continuer, nous Occidentaux, de creuser notre tombe stratégique et morale.
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