Pointe-Noire : ballade d’un enfant de la Côte Sauvage

Dans « Demain j’aurai vingt ans », Alain Mabanckou racontait une jeunesse ponténégrine. La sienne. Pour les quatre-vingt-dix ans de la cité océane, l’écrivain franco-congolais nous livre un petit supplément de souvenirs et son point de vue sur Ponton-la-Belle version 2012.

Alain Mabanckou (d), enfant, au studio photo Vicky, qui appartenait à l’un de ses oncles. © DR

Alain Mabanckou (d), enfant, au studio photo Vicky, qui appartenait à l’un de ses oncles. © DR

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Publié le 21 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

Pointe-Noire : identités plurielles
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Pointe-Noire : identités plurielles

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La ville de Pointe-Noire, capitale économique du Congo, jouit d’une réputation qu’on pourrait mesurer par les appellations que les Ponténégrins eux-mêmes lui donnent : « Ponton-la-Belle », « Ponton-sur-Mer ». Sa beauté se mesurait par sa verdure, son centre-ville à l’architecture mêlant la modernité à la tradition avec, notamment, la célèbre gare du Chemin de fer Congo-Océan (CFCO). Mais il y avait surtout son calme et sa tranquillité – la ville a en effet toujours échappé aux différentes guerres civiles du pays.

L’océan Atlantique lui assure une place de choix en Afrique centrale : « ville-monde », Pointe-Noire, avec l’un des ports maritimes les plus importants du continent, est un axe de communication profitant à plusieurs pays voisins n’ayant pas accès à la mer…

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J’ai grandi dans le quartier Tié-Tié, où l’un de mes oncles, tonton Vicky, possédait le fameux bar Joli Soir, situé non loin de l’avenue de l’Indépendance. Si, chaque soir, ce lieu d’ambiance était plein à craquer, il y avait autant de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur. Mon oncle avait installé des lampadaires et des baffles dehors, de sorte qu’il n’était pas surprenant de voir des couples danser devant l’établissement ou des passants s’arrêter un moment, se joindre à la liesse générale avant de poursuivre leur chemin. La musique de Franco Luambo Makiadi, de Youlou Mabiala, des Bantous de la Capitale ou de Pamelo Mounk’a résonnait toute la nuit, et les « ambianceurs » ne quittaient les lieux qu’avec les premières lueurs de l’aube. Je les voyais se soulager contre les façades alentour et tenir à peine debout sous l’effet de l’alcool.

Tonton Vicky était également le propriétaire du Studio photo Vicky, qui donnait sur l’avenue de l’Indépendance. Je voyais arriver les adultes, tirés à quatre épingles, avec des pantalons à pattes d’éléphant, des chemises aux couleurs vives. Ils prenaient des poses ridicules devant des décors qui auraient pu être ceux de Jean Depara, le célèbre photographe de la République démocratique du Congo.

Ces images en noir et blanc sont celles de mon enfance, celles des années 1970 et 1980. Je revois encore la tenue scolaire kaki, à la mode soviétique, avec une écharpe rouge vif. Je réentends la clameur des rues, le bruit des tuyaux d’échappement des autobus épuisés par des trajets sinueux d’un bout à l’autre de la ville. Je n’oublie pas les petits commerçants des rues principales ou des marchés à la sauvette, et surtout pas les Africains de l’Ouest qui tenaient le commerce dans les quartiers populaires.

Au carrefour du monde

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Au fond, je suis demeuré un enfant de Pointe-Noire, un enfant de la Côte Sauvage. Des appellations qui étaient notre manière d’afficher notre appartenance à une certaine culture, celle qui se distinguait nettement des moeurs de Brazzaville, la capitale politique.

Nous parlions principalement le munukutuba, alors que les Brazzavillois s’exprimaient en lingala. Par ailleurs, dans notre ville, la vie était « orientée » par les humeurs de l’océan Atlantique, tandis qu’à Brazzaville, c’est le fleuve Congo qui dictait sa loi, avec le commerce au Beach. Les Ponténégrins, eux, étaient au carrefour du monde. Ils voyaient arriver les navires provenant des contrées lointaines. Ils attendaient au port maritime les pêcheurs béninois qui bravaient les vagues pour ramener des poissons que se disputaient par la suite les petits commerçants, parfois en s’échangeant des noms d’oiseaux.

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Enfants, nous voyions les adultes se lever de bonne heure, s’orienter vers ce port afin de proposer leurs services. Le travail était donné à ceux qui se levaient le plus tôt. Pointe-Noire était alors l’une des agglomérations symbolisant l’éveil d’une Afrique qui espérait retrouver son autonomie en embrassant l’idéologie communiste.

La ville était toutefois encore divisée en deux parties, entre les quartiers populaires (Tié-Tié, Fouks, Rex, Roy, Quartier Trois-Cents, Voungou, Matende, etc.) et le centre-ville, lieu de l’activité économique, habité principalement par les Européens et les Ponténégrins les plus nantis. Quand on était à « la cité », pour se rendre au centre-ville – nous disions : « je vais en ville » -, on devait bien s’habiller. On empruntait un bus « fula-fula » dans un quartier populaire, puis on longeait l’avenue de l’Indépendance qui coupait la ville en deux. On ne pouvait rater cette foule le long de l’avenue. Ici, une femme portait un sac de riz sur la tête avec son bébé dans le dos pour gagner le Grand Marché. Là, un chauffeur était aidé par des gamins pour pousser son véhicule qui venait de tomber en panne en plein carrefour. Un peu plus loin, une bagarre attirait une foule en délire…

Je me revois à cette époque où, les pieds nus, nous allions vers la rivière Tchinouka. Nous étions convaincus que le monde s’arrêtait à l’horizon et que notre ville en était la plus importante. Et nous marchions, nous marchions encore jusqu’à atteindre les rives de ce cours d’eau.

Ce sont tous ces souvenirs qui ont été à l’origine de mon roman Demain j’aurai vingt ans, dans lequel mon alter ego, Michel, un garçon d’une dizaine d’années, conte à sa manière son quotidien dans cette capitale économique. Si le regard que je portais sur Pointe-Noire était rivé sur une certaine photographie, marquée par le sceau de la nostalgie – je n’avais plus mis les pieds dans cette cité depuis plus de deux décennies -, la réalité de ces dernières années montre désormais une ville qui en appelle à la conscience de ses habitants, de ses visiteurs et, surtout, à l’action de la municipalité.

Favelas

L’urbanisation sauvage et l’occupation de l’espace à l’horizontale la défigurent progressivement au point que, dans beaucoup de nouveaux quartiers, les habitations ressemblent à des favelas. Certaines artères goudronnées de l’époque sont dans un état tel que les automobilistes doivent davantage se préoccuper des trous que de la sécurité des piétons. À cela s’ajoutent l’éternelle épine de l’évacuation des eaux de pluie, les rivières sur lesquelles flottent les ordures ménagères, les rejets causés par l’activité des compagnies pétrolières et qui, à la longue, encrassent le sable de la Côte Sauvage, dénaturent le visage de cette cité, au point que certains s’amusent à la qualifier de « Ponton-la-Poubelle ».

Mais je sais que Pointe-Noire est une ville qui a toujours cultivé l’enthousiasme et, de ce fait, Ponton-la-Belle méritera plus que jamais ce surnom…

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Dans

Demain j’aurai vingt ans, Alain Mabanckou, Gallimard, 3384 pages, 21 euros, ou coll. « Folio », 416 pages, 6,95 euros.

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