Danse : Hédi et Ali Thabet, ensemble, c’est tout
Complémentaires et indissociables, Hédi et Ali Thabet, les deux frères d’origine tunisienne, dansent leur vie sur scène. Avec brio.
Hédi est grand, brun. Ali est petit, les tempes grisonnantes. Regard de velours couleur bronze pour le premier, oeil vif et pétillant bleu acier pour le second. Les frères Thabet ne se ressemblent pas, mais se confondent. Dans leur création Rayahzone, leurs corps se rencontrent, s’entremêlent et ne font plus qu’un. Sur scène, les pas de l’un poursuivent le mouvement initié par l’autre. À la ville, le scénario est identique. Les phrases commencées d’un côté se finissent de l’autre. À tel point que l’on a du mal à les imaginer séparément. Et pourtant, il aura fallu plus de dix ans pour que les deux frangins, nés en Belgique d’un père tunisien et d’une mère du pays, montent ensemble sur scène.
Il faut dire que la vie leur a joué un sacré tour. À l’âge où les adolescents passent leur permis de conduire et s’amusent sur les pistes de danse, Hédi doit se battre. L’apprenti jongleur formé par le maître russe Arkadii Poupone voit ses rêves se briser. Un cancer des os le mine et il perd sa jambe gauche. Mais comme, chez les deux frères, l’un finit toujours ce que l’autre a commencé, Ali passe le concours du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne (France), avant de devenir quelques années plus tard interprète, notamment pour le chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui.
Tandis que l’aîné parcourt les scènes du monde entier, le cadet apprend à se reconstruire. Il lui faudra dix ans avant d’oser remonter sur scène, encouragé par son frère. En 2009, on le découvre, sublime, dans un duo intitulé… Ali, qu’il compose avec un autre artiste venu du cirque, Mathurin Bolze. De quoi redonner confiance à Hédi et l’aider à renouer avec ses anciens rêves.
Depuis des années, il a en tête une pièce. Il est temps de lui donner corps. Un producteur japonais, Hisashi Itoh, rencontré en Tunisie, aidera les Thabet à concrétiser ce projet. Hédi (35 ans) signe la dramaturgie, construite autour de trois personnages. Il attribue celui de la Folie à son frère pour son côté « dingo ». « Quand il est éclaté, c’est là qu’il est le plus juste dans ce qu’il propose », justifie-t-il pudiquement. Ali confirme : « J’ai toujours voulu feinter le tragique et je n’ai jamais voulu me prendre au sérieux, même quand je tournais avec Sidi Larbi Cherkaoui. » Hédi s’est gardé la Mort. Une Mort bien vivante qu’il incarne avec un crâne de dromadaire sur la tête. Une manière de prendre sa revanche ? Pas tout à fait. « La mort a fait partie de moi, de mon quotidien, pendant des années », souffle-t-il. « Hédi est sombre, concède Ali. Mais attention, il n’est pas déprimé, et encore moins déprimant ! » Curieusement, les Thabet ont eu besoin d’un trait d’union, la Raison (interprétée par un troisième complice, Lionel About). « Elle est ce qui nous unit, ce que nous avons de commun », avoue Hédi. Ali (37 ans) a construit une mise en scène qui mêle figures acrobatiques et portés au souffle soufi. Et qui parvient, dans un subtil jeu d’équilibre, à faire oublier les béquilles qui portent son frère. Leur métal froid s’anime grâce à la magie de la chorégraphie et prolonge les mouvements de Hédi. La musique soufie, qui fait partie intégrante du spectacle, est interprétée sur scène par quatre chanteurs réunis autour de Sofyann Ben Youssef. « Nous ne sommes pas croyants, expliquent les deux frères, mais nous voulions rendre hommage à cette musique qui a été réprimée et contrôlée par Bourguiba et Ben Ali. On a voulu la dépoussiérer et proposer ce qu’elle a de plus pur, d’intemporel et d’universel. » Une manière pour eux de cultiver leurs racines tunisiennes : « Nous sommes métis, précise Ali. Nous avons toujours vécu avec nos deux cultures, la belge et la tunisienne. On vient à Tunis tous les ans. Hédi y a vécu quelque temps. On parle arabe. Et on a toujours été considérés comme des fils du pays. »
Deux fils qui ont vu se dégrader la situation au fil des ans. « La médiocrité était partout, commentent-ils. Les gens ne vivaient pas. Ils avaient peur de parler. En quelques jours, tout a basculé. On avait prévu d’aller à Tunis mi-janvier 2011 pour travailler sur Rayahzone. On est arrivés peu de jours après la chute de Ben Ali. C’était incroyable. Les Tunisiens avaient recouvré la parole. » Inquiets de la recrudescence du conservatisme religieux ? « Non, pas vraiment. Les Tunisiens sont des gens croyants, mais pas religieux. L’émancipation est pour tous, même pour les salafistes. Ils ont été réprimés comme les autres, c’est normal qu’on les entende davantage aujourd’hui », commentent-ils, confiants. Actuellement en tournée en Europe, les Thabet espèrent pouvoir se produire bientôt à Tunis où ils avaient présenté le work in progress de Rayahzone. Les Tunisois ne s’y étaient pas trompés et avaient réservé un accueil chaleureux à leurs compatriotes venus du Nord.
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