Exorciser les démons de la guerre civile tchadienne

Il y a quarante-quatre ans éclatait au Tchad une effroyable guerre fratricide. Quatre décennies plus tard, elle est toujours à l’origine des maux qui entravent la concorde nationale. Lever ces obstacles requiert un devoir et un travail de mémoire.

Soldats tchadiens lors du cessez-le-feu entre les rebelles de Hissène Habré et les partisans du président Felix Malloum à N’Djamena le 20 février 1979, au Tchad. © Daniel SIMON/GAMMA-RAPHO

Éric Topona Mocnga.
  • Éric Topona Mocnga

    Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

Publié le 12 février 2023 Lecture : 4 minutes.

Le 11 août 1960, François Tombalbaye, premier président tchadien, prononçait le discours d’accession de son pays à l’indépendance lorsque, soudain, il y eut une coupure d’électricité. L’assistance fut plongée dans les ténèbres à la nuit tombée. En Afrique, où la nature parle autant que les hommes, certains eurent tôt fait d’y voir un funeste présage pour le destin du pays.

L’histoire aurait pu leur donner raison, vu les nombreux déchirements fratricides entre Tchadiens, notamment depuis la guerre civile déclenchée le 12 février 1979. Au regard des vallées de larmes et de sang, des colères, des frustrations, des rancœurs que cette guerre civile aura générées, il sied de parler davantage de commémoration que d’anniversaire, tant ces événements tragiques ont meurtri la quasi-totalité des familles tchadiennes.

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Moment de bascule

Quarante-quatre années plus tard, il ne s’agit plus de se complaire dans un rituel stérile du souvenir sans tirer de cette séquence historique les enseignements qui permettraient de ne plus reproduire ce triste passé. Tous les Tchadiens doivent être instruits de ce moment de bascule de leur histoire, car nombre de maux qui se dressent comme des obstacles insurmontables à la réussite de l’œuvre commune de concorde nationale en sont issus. Ce devoir et ce travail de mémoire sont d’autant plus impérieux que la grande majorité des citoyens du Tchad contemporain, dont l’auteur de ces lignes, n’étaient pas nés.

Ramener au présent l’éclatement de la guerre civile de 1979 pourrait paraître hors de propos, en particulier pour ceux qui estiment qu’il faut faire table rase de ce passé dramatique afin de ne pas en réveiller les démons. Or, le travail de mémoire véritable ne commence que si l’on accepte de regarder en face l’inacceptable, non pas pour s’y enfermer et le ruminer ad vitam aeternam, mais pour exorciser les vieux démons afin qu’ils ne renaissent plus de leurs cendres.

Notre démarche s’inscrit plutôt dans le sillage de la pensée du philosophe de la mémoire Paul Ricœur, lorsqu’il affirme qu’« une société ne peut être indéfiniment en colère contre elle-même (1)». Afin de parvenir à cet apaisement collectif indispensable pour relever les  défis urgents et titanesques du futur, la société tchadienne doit admettre au préalable qu’elle a été capable de se rendre coupable de l’inacceptable envers elle-même.

Gouvernance tyrannique

C’est en ce sens qu’il faut saluer la tenue du prédialogue entre politico-militaires et autorités de la Transition à Doha (de mars à août 2022), qui a abouti au Dialogue national inclusif et souverain (DNSI), entre août et octobre 2022. Lorsque l’on examine les résolutions qui ont été prises durant les travaux de ce DNIS, on comprend qu’elles sont motivées par la volonté des participants de tourner résolument la page des errements et des drames du passé. Le présent devoir de mémoire doit être l’occasion de méditer sur les inconséquences qui ont plongé durablement le Tchad dans ce gouffre sanglant.

Il est urgent, pour les uns et les autres, de faire preuve d’un sens élevé de patriotisme, d’humilité et de volontarisme

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Au premier rang de ces légèretés, il faut citer et déplorer la gouvernance patrimoniale et tyrannique qui survit dans l’espace public tchadien depuis plus de quatre décennies. Nous ne le rappellerons jamais assez, le peuple tchadien sera d’autant plus enclin à faire prévaloir, dans son comportement quotidien, les valeurs républicaines et les vertus civiques qu’il percevra le statut de «chose publique» de la République. Il est crucial, dès à présent, de combattre vigoureusement, jusqu’aux prochaines échéances électorales, ces maux qui retiennent une majorité de Tchadiens captifs de la misère et du désenchantement : la mal-gouvernance, le népotisme, la gabegie, la corruption, les passe-droits, etc.

Au regard des défis immenses que doit relever le Tchad – parfois dans l’urgence –, seule une union sacrée des Tchadiennes et des Tchadiens, au-delà de leurs appartenances politiques, ethniques et confessionnelles, nous permettra d’y parvenir. L’État central ne pourra guère bâtir la paix et la concorde, objectifs ultimes des résolutions du récent Dialogue national inclusif et souverain, si, dans l’opinion nationale, ne prend corps le sentiment qu’un contrat social nouveau est véritablement en émergence. Il lui revient indubitablement le devoir régalien de créer les conditions favorables à la réalisation de ces idéaux.

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Plaies béantes

Mais c’est aussi le devoir de tous les acteurs politiques et de la société civile de s’y engager avec sincérité et détermination. Ne perdons jamais de vue que les dissensions antérieures qui ont plongé le Tchad dans les affres de la guerre civile émanent en partie de la volonté de certains de décider des affaires du pays au détriment – voire contre – d’autres Tchadiens. Par conséquent, les acteurs politiques doivent se garder de positions maximalistes qui pourraient nous rapprocher du précipice dont nous nous éloignons à peine.

Dans l’immédiat, il est à relever que les plaies consécutives aux événements tragiques du 20 octobre 2022 sont encore, pour certaines, béantes et doivent être pansées. Une crise sociopolitique nouvelle s’est ainsi surajoutée aux crises antérieures, avec des protagonistes nouveaux et des revendications nouvelles, alors qu’on déroulait à peine la feuille de route du DNIS.

Il est donc urgent, pour les uns et les autres, de faire preuve d’un grand sens de patriotisme, d’humilité et de volontarisme pour surmonter cette crise de confiance, afin que les élections générales à venir soient véritablement – et pour une première fois dans l’histoire du Tchad – crédibles, justes et transparentes.

(1) Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Seuil, p. 651

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