Le Grand Sud, l’autre Algérie
Ignoré et méconnu, presque oublié, le sud du pays recèle pourtant d’énormes richesses en hydrocarbures, en minerais, et même en eau… Face au Nord surpeuplé, cette région, qui cultive les paradoxes et nourrit les inquiétudes des autorités, s’apprête à voter sans enthousiasme lors des élections législatives du 10 mai.
L’Algérie aurait tout intérêt à se tourner vers son Sud. Des Hauts Plateaux à l’immensité désertique du Sahara, cette région est de loin la plus vaste du pays (96 % du territoire), mais elle est également la moins peuplée (35 % de la population). La rudesse du climat, la frontière géographique constituée par les plateaux, la pénurie d’infrastructures, les différences communautaires entre un Sud touareg, berbère et noir et un Nord arabe et kabyle, l’attrait de l’Algérie côtière… ont profondément marqué l’histoire nationale. Mais ce Grand Sud est également le coffre-fort algérien, essentiellement grâce aux gisements d’hydrocarbures, dont l’exploitation apporte 69,4 % des recettes de l’État et 98,6 % des rentrées en devises, selon le Fonds monétaire international (chiffres 2011).
Cette performance déjà significative pourrait être encore plus élevée, car les potentialités minières de la région sont sous-exploitées : or et diamants dans le Hoggar, immense gisement de fer de Gara Djebilet dans la wilaya de Tindouf… Mais surtout, de formidables ressources hydriques (près de 60 000 milliards de mètres cubes d’eau) se cachent dans la nappe albienne, à près de 3 000 m de profondeur. Là encore, les réserves sont à peine touchées. Jusqu’en 2010, la nappe n’était sollicitée que pour l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz. Mais depuis près d’une année, l’un des « chantiers du siècle » a été achevé : le transfert d’eau d’In Salah à Tamanrasset, sur une distance de 700 km. Coût des travaux, réalisés par un consortium sino-algérien : 3 milliards de dollars (2,3 milliards d’euros). L’intérêt de ce projet ne tient pas qu’au fait d’approvisionner en eau potable les 72 700 habitants de Tamanrasset – que le pouvoir algérien ambitionne d’élever au rang de plus grand centre urbain de la bande sahélo-saharienne -, mais aussi à la création de pôles de vie entre les deux villes. L’enjeu : fixer les populations, assurer les conditions nécessaires pour en attirer de nouvelles afin de désengorger un Nord « saturé ».
L’importance géostratégique du Grand Sud ne repose pas uniquement sur les richesses de son sous-sol. Aux yeux de l’écrasante majorité des Algériens, il en va également de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale, après que l’ancienne puissance coloniale a voulu soustraire cette région des négociations avec les indépendantistes du Front de libération nationale (FLN) avant la signature, en mars 1962, des accords d’Évian. « Nous avons fait preuve de fermeté, témoigne Rédha Malek, ancien négociateur pour le FLN, en refusant une indépendance au rabais avec une Algérie amputée de ses régions méridionales. » Cet épisode a conduit le pouvoir d’Alger à une approche jacobine de l’État, avec une attention particulière portée au Sahara algérien, frontalier de six pays (Maroc, Mauritanie, Mali, Niger, Libye, Tunisie).
Cohabitation conflictuelle
Si cette vaste étendue ne compte que neuf wilayas (préfectures) sur quarante-huit, son organisation militaire, elle, est bien plus importante. Sur les six régions militaires (RM) que couvre l’armée algérienne, trois sont basées dans le Grand Sud : Tindouf pour la IIIe RM, Ouargla et ses gisements pétroliers pour la IVe RM et Tamanrasset pour la VIe RM. Cet important déploiement était censé maintenir la cohésion socioethnique entre les communautés, tribus et groupes religieux qui se partagent l’immense territoire. La cohabitation entre sunnites et ibadites, Arabes et Berbères, ou encore entre Touaregs et Noirs, est le plus souvent conflictuelle. À ce problème se sont greffées de nouvelles menaces avec les retombées de la crise libyenne, en 2011, et les risques de déflagration induits par les velléités irrédentistes touarègues chez le voisin malien.
Si les gouvernements successifs ont surveillé le Sud avec attention, les régions méridionales n’ont pas pour autant bénéficié d’investissements colossaux au lendemain de l’indépendance. Selon le chercheur algérien Nasreddine Hammouda, du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), « le système statistique algérien ne produit pas de comptes régionaux ». Résultat : les disparités entre régions sont très peu visibles dans les chiffres officiels. Mais nul besoin d’être grand clerc pour constater les différences en matière de développement. Il a fallu attendre les années fastes, pour l’État, de la flambée des hydrocarbures – à partir de 2000 -, ainsi qu’une réelle volonté politique pour voir Alger se lancer à l’assaut du Sud avec de véritables programmes d’infrastructures. Si la carte sanitaire reste largement insuffisante, on constate tout de même une nette amélioration des conditions de vie.
Ces progrès sociaux vont-ils avoir des répercussions sur les élections législatives du 10 mai ? Sans doute. Réputés frondeurs à l’égard du pouvoir central, considéré comme lointain et arrogant, les électeurs du Sud votent finalement comme ceux du Nord, c’est-à-dire en faveur des partis se réclamant du programme d’Abdelaziz Bouteflika, les nationalistes du FLN et ceux du Rassemblement national démocratique (RND), ainsi que les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, Frères musulmans). Ils votent également, mais dans une moindre mesure, pour les partis de l’opposition tels que le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïque) ou le Front national algérien (FNA, ultranationaliste). Particularité politique du Grand Sud : c’est la seule région du pays à envoyer des représentants écologistes à l’Assemblée. Friande de paradoxe, l’Algérie tient ses Verts. Ils viennent du désert.
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