Force d’intervention au Mali : la Cedeao patiente, pour combien de temps ?

Réunie à Dakar le 3 mai, la Cedeao a fait profil bas. Si elle se dit toujours favorable à l’envoi d’une force d’intervention, elle a précisé que l’opération ne se ferait pas sans le consentement des autorités maliennes de transition. À moins que…

Les chefs d’État de la Cedeao, à Dakar, le 3 mai. © Seyllou/AFP

Les chefs d’État de la Cedeao, à Dakar, le 3 mai. © Seyllou/AFP

Publié le 11 mai 2012 Lecture : 7 minutes.

« Un pas en avant, deux pas en arrière. » Comme beaucoup à Bamako, le cadre de l’administration malienne qui nous confie sa déception ce matin-là attendait avec impatience les conclusions des chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), réunis le 3 mai. « Mais une fois de plus, on vient de conforter les putschistes dans leur position, regrette-t-il. Ils sont incontournables. » Exagération ? Pas sûr. À Dakar, où ils se sont retrouvés pour un sommet extraordinaire, les présidents de la sous-région sont revenus sur les décisions qu’ils avaient annoncées le 26 avril. Le déploiement de la Force d’attente de la Cedeao (FAC), ont-ils finalement décidé, ne se fera qu’à la demande expresse des autorités de transition. Une reculade ? « Non, soutient un diplomate ouest-africain. Un réajustement, plutôt. Il n’a jamais été question d’imposer aux Maliens des décisions de la Cedeao. »

En attendant, au camp militaire Soundiata Keïta de Kati, le QG des putschistes, situé à une quinzaine de kilomètres de la capitale, on se frotte les mains. On y voit même une petite victoire pour le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE), qui a renversé Amadou Toumani Touré (ATT) le 21 mars. En particulier pour son chef, le capitaine Amadou Haya Sanogo : le 26 avril au soir, il avait rejeté en bloc les premières décisions de la Cedeao, et répété que non seulement le président par intérim, Dioncounda Traoré, ne resterait pas en poste durant les douze mois de la transition (durée fixée par l’organisation sous-régionale), mais que de surcroît aucune force étrangère ne foulerait le sol malien sans l’accord du gouvernement de transition, dans lequel l’armée tient notamment les ministères de la Défense et de la Sécurité intérieure.

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Autant dire que le climat était tendu à Bamako. Surtout après le déclenchement, le 30 avril, de ce que la presse locale a appelé la « guerre des bérets ». Ce jour-là, des commandos parachutistes – les bérets rouges – ont pris d’assaut le siège de la télévision, l’aéroport international Bamako-Sénou et le QG du CNRDRE à Kati. À leur tête, le lieutenant-colonel Abidine Guindo, commandant du 33e régiment parachutiste de Djicoroni et fidèle du président ATT dont il a organisé l’exfiltration du palais de Koulouba le jour du coup d’État.

Entre bérets rouges et bérets verts (l’armée de terre) les combats ont duré deux jours et fait 27 morts selon les chiffres officiels, 70 selon des sources militaires. Quelques bérets rouges faits prisonniers et exhibés à la télévision ont été présentés comme étant originaires du Burkina et de Côte d’Ivoire. Et à Kati, on a vite fait d’imputer le « contre-coup d’État » aux présidents Blaise Compaoré et Alassane Ouattara. Des accusations jugées fantaisistes dans ces deux pays. « La junte a tellement peur d’être écartée qu’elle voit des complots partout, raille-t-on à Abidjan. Quitte à dépenser de l’énergie, autant se concentrer sur la résolution des problèmes du Nord ! »

Crimes de guerre

Dans cette partie du pays, les populations sont prises en otage par les groupes armés qui contrôlent, depuis la toute fin du mois de mars, les villes de Gao, Kidal et Tombouctou. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), la rébellion touarègue qui a unilatéralement proclamé l’indépendance du Nord, a perdu du terrain dans les trois régions administratives qu’elle espérait conquérir et, selon un rapport de Human Rights Watch publié le 30 avril, s’est rendue coupable de crimes de guerre. L’ONG évoque notamment des viols, des enrôlements d’enfants-soldats et des pillages.

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Quant aux alliés islamistes du MNLA, ce sont eux qui occupent aujourd’hui le devant de la scène… et le théâtre des opérations. Le groupe Ansar Eddine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao, une dissidence d’Aqmi) ont pris l’ascendant sur la rébellion touarègue et sont parvenus à rassembler de nombreux jeunes désoeuvrés. Ils seraient aujourd’hui plus de 6 000, lourdement armés, contre 1 500 hommes au début de la guerre, en janvier. « On savait déjà qu’ils avaient profité de la guerre en Libye pour faire leur marché, explique une source sécuritaire ouest-africaine. Mais, maintenant, ils ont en plus réquisitionné le matériel que l’armée a abandonné dans les camps ». À Gao, ce sont des moudjahidine aguerris qui patrouillent dans des BTR (blindés de transport de troupes) équipés d’« orgues de Staline »…

Dans son communiqué final, le 3 mai, la Cedeao annonce des négociations avec les rebelles. Tente-t-elle de jouer la carte du MNLA contre les islamistes ? « Ce serait trop risqué, explique un connaisseur de la sous-région. Mieux vaut se concentrer sur la mise sur pied d’une force d’intervention. » Celle-ci compterait 5 000 hommes, et non plus 2 000 comme initialement annoncé. Mais de nombreuses questions sont encore à régler. De quels moyens financiers serait-elle dotée ? Quelle serait sa feuille de route : sécuriser les institutions à Bamako ? Ouvrir un couloir humanitaire dans le Nord ? Restaurer l’intégrité territoriale et bouter les islamistes, trafiquants et bandes armées hors du pays ? Le chantier est vaste…

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Trio de transition

En théorie, le président par intérim, Dioncounda Traoré, et le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, ont les pleins pouvoirs. En théorie seulement. « Ils consultent la junte, explique un habitué du camp de Kati. Ils n’y sont pas obligés, mais c’est vivement conseillé. » Modibo Diarra entretient des relations cordiales avec le chef de la junte. Tous deux sont originaires de Ségou et ont vécu aux États-Unis. Le capitaine Sanogo laisse les coudées franches à ce « grand frère » qu’il dit admirer. Avec Traoré, les relations sont plus tendues : Sanogo le soupçonne d’avoir manoeuvré pour écarter les militaires. Lorsque, le 26 avril, les chefs d’État de la sous-région ont décidé de maintenir Traoré à la tête de la transition pendant douze mois, Sanogo a eu du mal à cacher sa colère : « Il restera quarante jours, pas un de plus ! » Réponse de Traoré, le 1er mai, via un message à la nation : « Si tel est le souhait partagé, je ne resterai pas une seconde de plus que les jours de l’intérim. » Message que les médias d’État n’ont pas diffusé. Sur ordre de Kati ? M.G.-B.

Une organisation à définir

Le Burkina et la Côte d’Ivoire ont déjà promis de participer, à hauteur respectivement de 500 et 1 000 hommes. Mais se passerait-on de la contribution du Niger, du Sénégal ou du géant nigérian ? Première puissance militaire de l’Afrique de l’Ouest, Abuja pourrait assurer le commandement de cette force ; toutefois, sa connaissance du terrain sahélien est mince, pour ne pas dire inexistante. Pas sûr aussi que la Cedeao puisse se passer de l’expertise de Niamey : moins bien équipée que ses voisins, l’armée nigérienne n’en est pas moins l’une des mieux organisées et des plus dynamiques, et elle a fait montre, à plusieurs reprises, de son efficacité dans la traque de groupes armés. Et puis, comment envisager une opération militaire sans la Mauritanie, le Tchad et l’Algérie ? L’ennui, c’est qu’Alger rechigne à intervenir hors de ses frontières, inquiet des conséquences qu’une telle opération pourrait avoir sur sa propre communauté touarègue – peu enclin aussi à aller combattre des groupes armés dont il a mis du temps à se débarrasser. Enfin, les compétences des Tchadiens seraient les bienvenues. Mais le président Déby Itno a été clair le 10 avril. Dans une conférence de presse, il a affirmé que la question d’une intervention de son pays « [n’était] pas à l’ordre du jour » et que la Cedeao, dont N’Djamena ne fait pas partie, avait « tous les moyens humains pour mettre en oeuvre sa décision ».

Il faudra aussi parvenir à mobiliser les ressources nécessaires. Une source sécuritaire estime qu’une force de la Cedeao coûterait environ 500 millions de dollars (environ 380 millions d’euros) par an. L’organisation sous-régionale compte sur ses partenaires traditionnels : la France, l’Union européenne et les États-Unis, qui ont toutefois prévenu qu’ils n’enverraient aucune troupe au sol (« cela doit rester une affaire africaine », insiste la Cedeao). Un conseiller américain viendrait renforcer l’état-major opérationnel ; Paris et Bruxelles apporteront un appui logistique et financier, à condition qu’il y ait une « feuille de route claire et cohérente pour le Mali », insiste une source française bien informée. « Ce sera la première vraie mission militaire de la Cedeao », dit un général ouest-africain, qui s’attend « à une guerre difficile ». « Mais c’est une guerre vitale pour nous tous. »

Reste à convaincre les autorités de transition maliennes de l’opportunité de faire appel à la FAC. Rien n’est joué. Pour l’heure, la Cedeao prétend ne pas s’en inquiéter. « On est dans le formalisme pour ne brusquer personne, confiait un ministre de la Cedeao à l’issue du sommet. Mais si le danger se précise, rien ne dit que nous n’allons pas nous passer d’autorisation. » À bon entendeur…

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Malika Groga-Bada et Rémi Carayol, à Ouagadougo

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