Jean-Louis Gouraud, un homme, deux chevaux
Vingt-deux ans après son Paris-Moscou équestre, l’ancien directeur de la rédaction de J.A. livre le récit de ses aventures.
De nombreux lecteurs de J.A. connaissent Jean-Louis Gouraud, qui fut, dans les années 1970, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire. Un homme qui, à l’instar de Joséphine Baker, a deux amours : l’Afrique et la Russie. Et la chance de n’avoir, dit-il, « qu’un seul problème dans la vie » : sa passion pour les chevaux – passion qui a fait de lui une célébrité dans le monde équin et lui a inspiré romans et anthologies.
Mais Gouraud n’est pas de ces austères spécialistes confinés dans leur bureau. Cet original est entré dans la légende, lorsque, un jour de 1990, il a conçu cette idée saugrenue : aller de Paris à Moscou à cheval. Autrement dit, parcourir 3 333 km en réitérant – à rebours – l’aventure du cornette Asseev. En 1889, ce sous-lieutenant de l’armée russe avait quitté la bourgade ukrainienne de Lubny pour atteindre la capitale française en utilisant une technique de monte « à la turkmène » (elle consiste à monter deux chevaux en alternance : tandis que l’un porte le cavalier, l’autre, débarrassé de toute charge, marche à ses côtés et récupère de sa fatigue).
Inspiré par cette aventure, l’intrépide Gouraud se démène pour trouver des sponsors (la Fédération soviétique des sports équestres et une maison d’édition, émanation directe du Comité central du Parti communiste d’Union soviétique), obtient l’aval de Mikhaïl Gorbatchev, choisit deux montures, le fantasque Robin et le courageux Prince-de-la-Meuse, et part, le 1er mai 1990, non pas de Paris mais de sa fermette du Loiret, direction Moscou, dans lequel il fera une entrée triomphale le 14 juillet.
Vingt-deux ans plus tard, Gouraud publie le récit* de cette odyssée qui lui fit franchir le Rideau de fer à une époque où l’on ne plaisantait pas (déjà !) avec laissez-passer officiels, certificats vétérinaires et sécurité nationale.
Cette Europe coupée en deux que Gouraud traverse dans la touffeur de l’été vit pourtant ses derniers mois. Alors que l’URSS n’est plus que l’ombre d’elle-même et que le bloc communiste s’effrite, notre pérégrin « se balade benoîtement à cheval, sur la crête de cette haute montagne en formation qui va bientôt marquer la césure entre deux périodes de l’histoire du monde ». Insouciance ? Inconscience ? Rien de tout cela, mais plutôt une démarche poétique dans un univers que la mondialisation ne va hélas pas tarder à aseptiser.
Loin de mener son récit au triple galop, Gouraud prend des chemins de traverse, badine avec le lecteur, intarissable sur l’Afrique, la culture russe, la littérature, l’hippologie ou les contingences immédiates (où trouver un gîte et un couvert, comment s’orienter dans des pays communistes où les cartes d’état-major relèvent du secret-défense). De digression en digression, il ne dévie jamais de l’essentiel, suivant son parcours initiatique à travers des États qu’il parcourra à nouveau dix ans plus tard, reprenant le même itinéraire (en automobile cette fois) pour mesurer l’étendue des dégâts et des progrès réalisés dans l’Allemagne réunifiée, la Pologne libérée et la Russie en plein accès de fièvre ultralibérale.
Péripéties des relais d’étape, promenade intimiste en des lieux inconnus des hordes de touristes, rencontres avec Boris Eltsine (futur président), Raïssa Gorbatchev (encore Première dame) et d’illustres inconnus que Gouraud loue ou égratigne avec une égale verve… Ce récit, qui mêle éclats de rire et relents de nostalgie à la manière d’un cocktail russe, enchantera les lecteurs épris d’aventures singulières.
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* A noter que figurent en annexe de son ouvrage un texte inédit de Rasputine et une interview parue en 1995 dans J.A., "La Russie, c’est l’Afrique".
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