France – Médias : le Qatar décroche la une

Rien ne semble arrêter la richissime pétromonarchie, qui investit de plus en plus dans la presse et l’audiovisuel français. Le Qatar détient désormais près de 13 % du capital du puissant groupe Lagardère. Et affiche des ambitions aux motivations ambiguës.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 4 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

Lagardère pourrait-il devenir le bastion privé des intérêts du Qatar en France, le poste de commandement de ses nouvelles ambitions médiatiques dans l’Hexagone ? Entré en 2006 au capital de ce géant de l’édition, de la presse, de l’audiovisuel et de l’entertainment, la lilliputienne mais richissime pétromonarchie s’est mise depuis quatre mois à en croquer des parts substantielles. En décembre 2011, sa participation au capital du groupe est passée de 7,6 % à 10,07 %, et l’émirat en est devenu le premier actionnaire devant l’héritier Arnaud Lagardère. Fin mars, l’Autorité des marchés financiers annonçait qu’il en possédait désormais 12,83 %. Une pause ? Sans doute pas : Qatar Holding, filiale du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), a précisé qu’il pourrait monter une nouvelle fois au capital et demande un siège au conseil de surveillance. Inhabituel, pour un investisseur qui s’octroie très rarement plus de 10 % d’un grand groupe étranger et évite de se mêler de sa gestion.

« L’intrigante montée du Qatar au capital de Lagardère », titraient le quotidien français Les Échos du 20 mars. En effet : les motifs de cette subite fringale n’ont pas été officiellement dévoilés. L’émirat mise autant sur la publicité qu’il prise l’opacité. Côté Lagardère, la direction est silencieuse. Les observateurs n’ont pu qu’émettre des hypothèses. Les liens d’amitié entre feu Jean-Luc Lagardère et l’émir Hamad ont pu amener le Qatar à secourir le fils Arnaud, qui s’était lourdement endetté pour l’entreprise. Les premières actions ayant été achetées à un prix trois fois plus élevé qu’aujourd’hui, la QIA pourrait aussi chercher à en diluer le coût par de nouvelles acquisitions, misant sur un rebond du cours. Cette montée en puissance serait pour d’autres le moyen de mettre un pied au sein d’EADS, dont Qatar Airways est le premier client, et que Lagardère contrôle à 7,5 %.

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Une stratégie d’implantation directe ?

Mais, pour certains, les ambitions médiatiques et sportives de l’émirat, symbolisées par sa très entreprenante chaîne Al-Jazira et par l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022, l’auraient motivé à s’ancrer dans un groupe expert dans ces domaines. L’investissement dans Lagardère, premier éditeur de presse magazine en France, participerait-il de la même stratégie d’implantation directe qui a amené le Qatar à racheter le club de foot du Paris-Saint-Germain en mai 2011 avant de s’offrir une partie des droits de la Ligue 1, au grand dam de Canal+, son diffuseur traditionnel ? Lagardère possède 20 % de Canal+ France, et l’on apprenait fortuitement le 21 mars que la QIA avait porté de 1,55 % à 2 % sa participation au capital de Vivendi, autre grand des médias, qui détient 80 % de la chaîne cryptée.

Le 27 mars, sur Europe 1 – un des fleurons de Lagardère -, le journaliste Jean-Marc Morandini s’interrogeait : « Le Qatar est-il en train de racheter le sport et les médias français ? » La formule fait écho aux discours anxiogènes qui se multiplient sur les agissements de l’émirat, soupçonné de vouloir s’emparer de la France à coups de chéquier. On peut néanmoins s’interroger sur l’influence que voudrait avoir le Qatar sur les rédactions des médias de Lagardère, parmi lesquels Paris Match, Le Journal du dimanche (JDD), Elle et Europe 1.

Car cet État du Golfe n’est pas un apôtre de la liberté de la presse. Arme de communication massive qatarie, Al-Jazira s’est révélée, avec les révolutions arabes, beaucoup moins indépendante de l’agenda politique de l’émirat qu’elle ne prétendait l’être, n’hésitant pas à orienter l’information dans le sens du Palais. En Espagne, à l’automne dernier, des militants de gauche s’alarmaient des propos bellicistes du quotidien Público, qui, après s’être opposé à l’invasion de l’Irak en 2003, s’est mis à plaider pour des interventions en Libye et en Syrie. Entre-temps, le groupe Mediapro, propriétaire du journal, avait noué une solide alliance avec l’émirat et Al-Jazira, expliquent certains d’entre eux.

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Pas d’inquiétude chez les médias français

Pour l’instant, dans les rédactions françaises, on reste serein. « Le sujet n’est pas abordé au sein de l’hebdo, et l’importance croissante du Qatar dans Lagardère n’a aucun impact sur notre ligne éditoriale », affirme Cyril Petit, rédacteur en chef au JDD. « Ni entrave, ni autocensure, ni complaisance », insiste un journaliste de la même rédaction. Pour une employée de Lagardère Entertainment, « le coup du Qatar a généré quelques blagues, mais ni débats ni tabous ». Même son de cloche du côté d’Europe 1, où l’on assure que la montée en puissance de l’émirat n’est pas du tout perçue comme une menace à l’indépendance des médias du groupe. Et pour cause : toute tentative contraire transparaîtrait rapidement et écornerait une image que l’émirat prend un soin maniaque à vernir. Alors que sa surexposition finit par attirer critiques et soupçons, le Qatar n’a pas intérêt à passer pour un manipulateur de la presse française.

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Cependant, comme le remarque Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, « l’appétit d’acheter des rédactions n’est certainement pas celui de faire triompher la liberté d’expression, mais plutôt celui de s’acheter des lecteurs et d’acquérir une influence sur les rédactions, que l’on soit une puissance pétrolière ou un marchand d’armes français ». Pour la syndicaliste, le vrai problème posé par l’alliance entre le Qatar et Lagardère est celui de sa réelle participation. D’après un haut responsable de Canal+, par des canaux parallèles, l’émirat pourrait contrôler plus de 20 % du capital de Lagardère, limite légale des investissements extra-européens dans un groupe de presse français. Lagardère, nouvelle place forte des intérêts qataris en France

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