En Algérie, le football féminin gagne du terrain
École spécialisée, entraîneurs étrangers, horaires aménagés… Les joueuses algériennes mettent toutes les chances de leur côté pour se faire une place dans le monde très masculin du ballon rond. Reportage à Akbou.
Lorsqu’elle court, dribble, slalome et crie parmi ses coéquipières sur la pelouse synthétique du stade d’Akbou, Thiziri Baali, 18 ans tout juste, exprime une formidable et très communicative joie de vivre. « Le foot, c’est toute ma vie », déclare avec un grand sourire cette ailier droit du Football Club d’Akbou (FCA), petite mais très dynamique ville de la vallée de la Soummam, en basse Kabylie. Mordue de foot, qu’elle pratique depuis qu’elle a l’âge de courir, la jeune joueuse affirme que cette passion lui vient de son père, également ancien sociétaire du club local. « Chez nous, les gens ne sont pas encore habitués au football féminin et ils y accordent peu d’attention. Nous sommes loin de ce qui se pratique en Europe, mais on espère que cela va avancer petit à petit », regrette Thiziri, qui piaffe d’impatience de rejoindre ses camarades pour taper dans un ballon.
Elles sont une vingtaine de jeunes filles à s’entraîner sous les projecteurs du stade du 1er-Novembre en cette soirée glaciale du mardi 24 janvier. Nadir Maadsi, 42 ans, entraîneur du club depuis dix ans, donne du geste et de la voix. L’équipe est championne d’hiver, il est impératif de maintenir le cap et de confirmer ce statut lors du prochain derby contre l’équipe de Béjaïa le vendredi à venir. « Une avons une équipe très jeune, encadrée par des joueuses expérimentées. Grâce à l’école du club, nous pouvons compter sur la formation, mais il reste des postes à pourvoir », précise le coach. Comme celui qu’a pris Djamila, la meneuse de jeu. Originaire d’Oran, Djamila Benaissa, 28 ans, n’a pas hésité à faire les 588 km qui la séparent d’Akbou pour faire partie de cette belle équipe qu’elle avait repérée sur sa page Facebook, dotée de pas moins de 81 000 abonnés.
Salle de musculation
Pour Nadir, le monde du foot féminin est très différent de son pendant masculin en ce sens qu’il n’est pas toujours simple pour les joueuses de concilier études, vie de famille, entraînements et compétitions. « Les parents sont tentés de retirer leurs filles inscrites dans les petites catégories dès que leurs résultats commencent à chuter à l’école. Pour éviter cela, nous leur accordons des jours de relâche pendant la période des examens », dit-il.
Le club, qui reçoit encore peu de subventions étatiques, est sponsorisé par un industriel local. Ses bons résultats lui attirent peu à peu sympathie et visibilité, mais pas encore les faveurs du public, au grand regret de Nadir, qui déplore que les foules n’aient d’yeux que pour les hommes ou les tournois internationaux de futsal. « En général, ce sont surtout les proches et les familles des joueuses qui viennent voir les matchs », précise-t-il. Qu’à cela ne tienne, salle de musculation, transport, restauration, appartements pour l’hébergement ou le repos… Les athlètes sont prises en charge par le club, qui s’est donné petit à petit les moyens de sa politique depuis sa création, un certain 8 mars de l’année 2010, comme un clin d’œil à la cause des femmes.
En plus de l’équipe senior, le FCA possède une école pour les plus jeunes et plusieurs catégories en minimes, benjamines et cadettes. Il possède également ses propres bus et navettes et chaque fille est déposée près de chez elle, surtout lorsque les entraînements se terminent tard. Jusqu’à présent, seuls les clubs de Constantine et Relizane, le CSC et Afak, ont professionnalisé leurs sections féminines. Pour booster le football féminin, la Fifa a intégré dans ses règlements une clause obligeant tous les clubs à avoir une section féminine sous peine d’exclusion des compétitions internationales. Au-delà des règlements, c’est l’existence de belles réussites et d’exemples à suivre comme celui du FCA qui semble tracer le chemin. Ce qui réjouit Nadir Maadsi, c’est que beaucoup de clubs des localités environnantes, y compris dans les petits villages, ont créé leurs sections féminines.
De son côté, le bureau fédéral de la Fédération algérienne de football (FAF) vient également de rendre obligatoire pour tous les clubs de première division, dès la saison prochaine (2023-2024), la création d’une section féminine, conformément à la réglementation et aux exigences du nouveau cahier des charges de la Confédération africaine de football (CAF). D’ailleurs, depuis la création d’une Ligue 1 féminine, les Algériens, connus pour leur amour du foot, sont beaucoup plus exposés aux images de femmes jouant en short, comme les hommes.
Le premier club féminin algérien à avoir acquis la licence professionnelle de football féminin est l’Afak Relizane. Créé en 1997, il tient les premiers rôles depuis des années : il a remporté dix fois le championnat d’Algérie du football féminin et obtenu deux titres de champion du Maghreb. L’Afak fait désormais partie des 33 formations africaines ayant bénéficié de cette licence.
Manque de considération
Le premier championnat féminin du pays été lancé en janvier 2009, avant de devenir semi-professionnel à partir de 2012, mais le peu de considération et d’attention que les pouvoirs publics accordent au sport féminin ne lui permet pas de décoller. Néanmoins, les choses bougent tout doucement. En août dernier, la FAF a signé un protocole d’accord avec la Fédération norvégienne de football (Norges Fotballforbund) portant sur la formation d’entraîneurs spécialisés. D’une durée de deux ans, cette convention permettra l’organisation de « cycles de formation des techniciennes dans le but de couvrir les besoins du football national en matière d’encadrement des jeunes footballeuses, d’en assurer le suivi-évaluation, [ainsi que d’accompagner] l’augmentation du nombre de pratiquantes », selon le communiqué de la FAF.
Il reste encore un long chemin à parcourir au football féminin. Au dernier classement de la Fifa, l’équipe nationale féminine de football pointe à la 80e place. Par contre, sur le plan continental, l’Algérie est en 9e position, loin derrière le Nigeria et le Cameroun cependant, qui occupent respectivement la première et la deuxième place.
Ce vendredi 27 janvier, le football Club d’Akbou a gagné son derby contre le club de Béjaïa par deux buts à zéro dont un de Djamila sur une magnifique frappe des 25 mètres. Une petite avancée vers le titre du championnat et un petit pas de plus sur le chemin de l’égalité entre hommes et femmes en Algérie.
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