En Tunisie, un Quartet qui fait pschitt…

Si on ignore encore la teneur des propositions du Quartet, emmené par l’UGTT, pour sortir le pays de la crise, les premières discussions et la méthode retenue ne semblent guère convaincantes.

Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, au Palais des Congrès de Tunis, le 11 juin 2022. © Yassine Mahjoub/NurPhoto via AFP

Publié le 10 février 2023 Lecture : 4 minutes.

C’est par un document, judicieusement dévoilé par une source anonyme sur les réseaux sociaux, que l’on a pu se faire une première idée des objectifs que se fixe le nouveau « Quartet » – initiative conduite par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) avec la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) et l’Ordre national des avocats tunisiens (Onat) – pour sortir de le pays de la profonde crise qu’il traverse.

Sans être une feuille de route ni une liste détaillée des actions ou mesures que les quatre initiateurs de la démarche entendent préconiser, la note permet, à tout le moins, de comprendre le sens de leur démarche, à savoir débroussailler le chemin conduisant à la tenue d’un forum national, « la Tunisie du futur ».

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Bras de fer

Après l’échec de différentes propositions émises principalement par les formations politiques, l’initiative de l’UGTT semblait se placer au-dessus de la mêlée, rappelant le Dialogue national de 2014, lequel avait permis au pays de surmonter une crise qui menaçait de le plonger dans la guerre civile. Mais à la différence de ce précédent historique, il s’agit aujourd’hui d’une opération de sauvetage économique, même si, bien sûr, la politique est inscrite en filigrane dans cette approche portée par les plus importants organismes de la société civile.

Chacune des organisations qui compose le nouveau Quartet avait soutenu l’action entamée le 25 juillet 2021 par Kaïs Saïed, mais vingt mois plus tard, elles ont toutes pris leur distance face aux errements de la présidence. Errements dont elles ont parfois été les premières victimes : l’UGTT, qui pensait avoir un rôle à jouer ou au moins être entendue par le président, a par exemple très vite constaté la volonté du locataire de Carthage de mettre à l’écart tous les corps intermédiaires.

Depuis, gouvernement et syndicat campent sur des positions radicales et sont engagés dans un bras de fer, le contexte dans lequel se développe la nouvelle initiative n’étant pas vraiment apaisé. Portant la grogne sociale, l’UGTT a organisé une série de grèves régionales et sectorielles pour contrer un exécutif qui ne joue pas franc jeu dans les négociations sociales.

La tension est montée d’un cran lorsque le président, bien que reconnaissant le droit de grève, a assimilé certains débrayages à des atteintes à la sécurité nationale. L’arrestation, après un mouvement de grève, d’Anis Kaâbi, secrétaire général du syndicat de la Société Tunisie Autoroutes, le 31 janvier 2023, et les convocations devant les juges d’autres dirigeants syndicalistes semblent confirmer la réalité des menaces et des pressions.

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Échec du projet de Kaïs Saïed

Malgré ces tensions, les quatre porte-voix de la société civile – qui ont eu un rôle essentiel depuis la révolution de 2011 – tentent donc de lancer une concertation, sorte de nouveau dialogue national qui ne dit pas son nom, mais qui, dans ses intentions, est similaire à celui de 2013.

Mais avant de proposer des ajustements ou des changements, il faut dresser un état des lieux. Sans aucune ambiguïté, le document de travail dévoilé revient sur la séquence électorale et remonte à sa genèse, avec le changement de régime imposé sans concertation par le président Kaïs Saïed, un projet qui s’est soldé par un échec au vu du taux d’abstention record lors du scrutin législatif de fin janvier 2023.

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Le processus déployé en plusieurs étapes depuis janvier 2022, dont une consultation nationale sans grande audience et un référendum pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, n’ont pas rencontré l’adhésion escomptée. Cela n’a pas empêché les autorités de les présenter comme un succès historique, mais le Quartet estime que le processus est vicié et devrait être suspendu. En cause, son impact sur la démocratie, dont il juge que les fondements même sont sapés au profit d’un projet confus. À l’appui de leur raisonnement, les quatre organisations relèvent de multiples cas de violations des droits et des libertés.

La dimension économique de la crise que vit aujourd’hui la Tunisie s’impose elle aussi dans les discussions, le document évoquant un risque très sérieux de faillite de l’État et, plus généralement, d’une déliquescence en matière de finances publiques et de gestion des entreprises publiques, des outils de production et des infrastructures.

Le sujet qui fâche : les pré-requis du FMI

Ce qui permet aux rédacteurs du document d’en arriver au principal sujet de discorde qui oppose actuellement syndicats et gouvernement : les pré-requis présentés par le Fond monétaire international (FMI) pour accorder au pays le prêt qu’il a sollicité. Des exigences que le syndicat désapprouve, tout comme il critique l’apparente incapacité de l’exécutif à en négocier les termes avec l’institution financière.

À la lecture du document rédigé par le Quartet, une partie de la société civile se dit frustrée, ne voyant dans le texte qu’une litanie de constats que chacun, dans le pays, a pu faire depuis longtemps. « Où est le plus ? » se demande un militant du parti Attayar, qui voit mal comment le nouveau Quartet pourrait insuffler une nouvelle dynamique, puisque tout en reconnaissant que l’origine de la crise est politique, il écarte toute présence des partis au sein des instances chargées d’imaginer les futures propositions.

Le Quartet s’en tient à l’idée que la dégradation de la situation globale en Tunisie est avant tout le fait des partis et du système de représentativité. Une approche qui n’est pas si différente de celle de Kaïs Saïed. Quant au président, il est fort probable qu’il n’affichera qu’indifférence face aux propositions que formuleront les organisations. L’initiative du nouveau Quartet, plus qu’une réédition de 2014, ressemble donc fort, pour l’instant, à un échec annoncé.

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