Télécoms : la fin de l’âge d’or

Sous le triple effet d’une concurrence accrue, de la baisse des prix et d’un ralentissement de la hausse du nombre d’abonnés, les opérateurs africains voient leur rentabilité s’effriter. Pour beaucoup d’observateurs, le secteur a mangé son pain blanc.

Avec l’arivée de l’indien Airtel au Kenya, les tarifs se sont éffondrés de 50% en 2010. © Tony Karumba/AFP

Avec l’arivée de l’indien Airtel au Kenya, les tarifs se sont éffondrés de 50% en 2010. © Tony Karumba/AFP

Julien_Clemencot

Publié le 9 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

Depuis plus d’une décennie, l’industrie des télécoms connaît en Afrique une croissance qu’aucun consultant, aucun opérateur, aucun gouvernement n’avait prévue. Fin 2011, 650 millions de puces téléphoniques étaient actives sur le continent et 12 des 20 marchés les plus dynamiques au monde étaient africains. Une poule aux oeufs d’or de 60 milliards de dollars (45 milliards d’euros) que se partagent équipementiers, sociétés d’ingénierie, opérateurs et États. Alors quand, lors d’une conférence à Paris en février, Marc Rennard, patron d’Orange pour la zone, a expliqué qu’il ne savait pas si son groupe pourrait encore financer un projet à 36 millions d’euros comme le câble sous-marin Lion2 reliant Madagascar au Kenya, une partie des observateurs se sont pincés pour y croire.

Pourtant, les spécialistes du secteur sont formels, les opérateurs regardent avec inquiétude leurs marges fondre à mesure que la concurrence s’intensifie. En Afrique, « le nombre moyen d’opérateurs par pays est passé de 2,5 en 2005 à 3,8 en 2011. La Tanzanie en comptait 6 à la fin de 2011, la Côte d’Ivoire et le Ghana 5 chacun, et le Rwanda, marché de taille bien plus réduite, pas moins de 3 », note Guy Zibi, directeur du consulting au sein du cabinet Pyramid Research.

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« La situation s’est surtout dégradée depuis un an », confirme François-Xavier Roger, directeur financier du groupe Millicom (marque Tigo). Une rupture précipitée par l’arrivée en Afrique d’Airtel en 2010. Partisan d’une stratégie low cost, le groupe indien, présent dans 17 pays, a sans états d’âme mis à mal les ententes tacites instaurées jusqu’alors. Sous son impulsion, les prix au Kenya se sont effondrés de 50 % presque du jour au lendemain. « Une guerre qui a détruit beaucoup de valeur », constate Serge Thiemele, du cabinet d’audit Ernst & Young.

Aucun pays n’est épargné. Ailleurs, la chute est moins spectaculaire, mais aucun pays n’est épargné. Au Maroc, les tarifs à la minute ont baissé de 40 % entre 2009 et 2011, selon le régulateur. Début 2012, un rapport de la banque d’affaires Renaissance Capital faisait état d’un recul des prix à la minute sur un an de 25 % au Nigeria (où 9 opérateurs cohabitent) et de 8 % en Afrique du Sud. Faute d’élasticité de la demande, « la baisse des tarifs n’est pas compensée par la croissance de la consommation », admet André Apété, directeur de cabinet du ministre ivoirien des Télécoms.

Conséquence ? C’est la fin de l’opulence, y compris pour les principaux groupes comme Maroc Télécom, jusque-là vache à lait de son actionnaire Vivendi. Pour la première fois depuis sa privatisation en 2001, l’opérateur marocain a vu son chiffre d’affaires diminuer (- 2,5 %) en 2011. Quant au sud du Sahara, s’il y reste beaucoup de clients à conquérir, ceux-ci résident souvent loin des grandes villes et ne roulent pas sur l’or. De plus, leur fournir le téléphone coûte cher : faute de raccordement au réseau électrique, les antennes relais doivent être alimentées par des blocs électrogènes…

Pour la première fois depuis dix ans, Maroc Télécom a vu son chiffre d’affaires diminuer.

Un tableau sombre, bien loin du discours serein livré aux investisseurs sur les places de Johannesburg ou de Paris. « La marge Ebitda [proche de la marge brute d’exploitation, NDLR] utilisée par les groupes dans leur communication financière ne rend que partiellement compte de la réalité, insiste Serge Thiemele. Entre 2009 et 2011, leurs marges nettes ont été divisées par deux. »

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Inquiétant. D’autant que, dans le même temps, de gros efforts financiers doivent être consentis pour adapter les réseaux à l’arrivée de la 3G (haut débit mobile). « La rentabilité va baisser pour quelques années, car, après avoir été largement réduits pendant trois ou quatre ans, les investissements repartent à la hausse », estime Laurent Viviez, spécialiste des télécoms au sein du cabinet AT Kearney. Fini le temps où la possession de plusieurs licences télécoms était un gage de prospérité. Envolées, les success-stories du Rwandais Miko Rwayitare (fondateur de Télécel, vendu à Orascom), de l’Anglo-Soudanais Mo Ibrahim (fondateur de Celtel, cédé à Zain) ou du Sénégalais Yérim Sow (un temps propriétaire de la licence désormais exploitée par MTN Côte d’Ivoire). Plusieurs « petits » acteurs (Comium, Warid Telecom, Bintel…) cherchent sans succès un repreneur ou un partenaire financier.

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Sur la corde raide. « Faute de part de marché conséquente, ces opérateurs n’intéressent pas les géants du secteur », explique Yves Bardèche, associé au sein de la banque d’affaires Linkstone Capital. Sans moyens suffisants, ces groupes, plus nombreux qu’on ne le pense, sont en permanence sur la corde raide. Impossible pour eux d’innover ; leur seule stratégie est d’enchaîner les promotions pour tenter de garder leur clientèle. Résultat : des marges sous pression et une situation comptable dégradée. « Plus d’un tiers des opérateurs présents en Afrique ne gagnent pas d’argent », estime un responsable commercial en poste en Côte d’Ivoire. C’est le cas de compagnies publiques comme Bénin Télécoms ou Camtel (Cameroun), dont les difficultés alimentent la chronique. Beaucoup d’États regrettent sans doute la disparition du colonel Kadhafi, qui, via la Libyan Investment Authority, était venu au secours d’opérateurs historiques au Niger, au Tchad ou au Rwanda. Même constat d’échec au Nigeria, où la compagnie publique Nitel, à l’agonie depuis des années, va être liquidée. Faute d’avoir pris à temps le virage du mobile, elle a accumulé une dette de 1,9 milliard de dollars.

Face à ce ralentissement du marché, les pouvoirs publics font évoluer leur politique de régulation. Craignant une baisse de ses recettes fiscales, la RD Congo a imposé des prix planchers aux opérateurs. Conscients qu’ils auraient aussi tout à perdre en jouant la surenchère lors des appels d’offres pour les licences 3G, des gouvernements africains modèrent leurs exigences. La Côte d’Ivoire vient d’octroyer le précieux sésame à Moov, MTN et Orange contre trois chèques de 6 milliards de F CFA (9,15 millions d’euros). Une politique plus raisonnable déjà adoptée par le Kenya, le Rwanda et l’Afrique du Sud. Dernier signe de changement de position des États sur le sujet : l’apparition de licences universelles (permettant d’exploiter indifféremment des réseaux 2G, 3G ou 4G) marque la fin de la vente de licences à l’apparition de chaque nouvelle technologie. Après Tunis et Cotonou, Abidjan devrait adopter ce modèle en 2016.

 

Nouvelles ressources. Mais si les contraintes sont réelles, il serait prématuré de s’apitoyer sur le sort du secteur. « Les principaux opérateurs, en dominant les grands marchés, conservent la clientèle la plus rentable et limitent la baisse de leurs marges », souligne Sami Matri, consultant chez Sofrecom, filiale de France Télécom. En outre, il convient de ne pas écarter trop vite la montée en puissance de nouvelles sources de revenus. « Le mobile banking représente déjà 7 % de notre chiffre d’affaires », relève François-Xavier Roger, de Millicom, persuadé qu’à terme cette activité trouvera sa rentabilité. Sans oublier, enfin, l’essor du web et de services comme la télévision par internet ou le cloud computing. La demande va exploser, estime Serge Thiemele. Reste que, sur ce terrain, les opérateurs devront cette fois défendre leur part du gâteau face aux géants des nouvelles technologies que sont Google, Facebook, Microsoft ou IBM.

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