France – Cameroun : Laetitia Masson, le rouge et le blanc
En 2003, la Franco-Camerounaise Laetitia Masson rachète 12 ha de vignes. Elle envisage aujourd’hui d’exporter son vin en Chine.
Le monde de Laetitia Masson se décline en trois teintes : blanc, rouge, rosé. « J’aime beaucoup les blancs de Bourgogne », confie cette jeune viticultrice installée près de Montpellier, à Argelliers, dans le sud de la France. À partir des 12 ha de vignes achetés en 2003 avec son mari, Romain Trémoulet, elle produit aujourd’hui entre 10 000 et 15 000 bouteilles de vin. Son premier rouge s’appelait Premier Rendez-Vous, les deux cuvées suivantes portent les prénoms de ses enfants. « Jules est un vin généreux, avec beaucoup de matière, tandis qu’Élise est un vin de garde plus souple, qui a plus de rondeur », dit-elle. Jules a obtenu deux étoiles au guide Hachette, une référence dans la profession.
A priori, rien ne distingue le Prieuré de Valcrose des milliers d’exploitations viticoles dont regorge la France, des bords de Loire aux rives du Rhône, en passant par le Bordelais et la Bourgogne. Sauf que, comme le précise Laetitia Masson, « je suis la seule femme métisse sur les salons ». Née à Bouaké (Côte d’Ivoire) d’un père français et d’une mère camerounaise, elle a longtemps vécu sur le continent, au gré des affectations de son père, coopérant dans l’enseignement. République centrafricaine, Gabon, Djibouti, Cameroun… À 15 ans, il lui a fallu choisir entre le Gabon, où son père était proviseur, à Moanda, et la France, où elle passait ses vacances. Parce que les bâtiments lui plaisent, elle choisit le lycée agricole de Toulouse, sans avoir la moindre idée de l’avenir vers lequel cela peut la conduire.
« Au Gabon, il y avait un clivage assez difficile à vivre : il fallait faire un choix, être soit noir, soit blanc. J’ai retrouvé la même chose en France », se souvient-elle. Pourtant, rien de douloureux. « Rentre dans ton pays, j’y ai eu droit quand même. Mais la direction du lycée agricole faisait très attention à mon intégration. En Afrique, j’ai toujours été une Blanche, on m’appelait « l’albinos ». Et ici, on m’appelle la jeune fille noire. Ça ne me perturbe pas, ça me va bien. »
Tout n’est pas rose dans le monde de la viticulture, où les exploitants plongent souvent dans l’univers du vin dès le premier biberon.
En 2000, Laetitia Masson obtient un BTS technico-commercial dans les vins et spiritueux, qu’elle complète par un BTS en viticulture et oenologie, puis commence à travailler en cave coopérative, à Paulhan, dans l’Hérault. En 2003, l’appel de la terre se fait entendre. À 23 ans, avec son compagnon rencontré au lycée, elle rachète un terrain planté de vignes, en contrebas d’Argelliers. Avec l’aide de la Région, de l’État, et les cautions parentales, le couple parvient à réunir les 95 000 euros nécessaires. Cette année-là, la sécheresse est particulièrement violente et toute la production part en cave coopérative. L’année suivante, le Prieuré de Valcrose produit 4 000 bouteilles, et en 2006 un nouveau crédit de 120 000 euros permet de bâtir cave et logement de fonction tandis que la production passe à 8 000 bouteilles. Dans l’exploitation, monsieur s’occupe de la taille et des labours, tandis que madame prend en charge la vinification, l’administration et la commercialisation – tout en travaillant pour la société d’embouteillage 3S, à Villeveyrac, afin de compléter les revenus du foyer et de rester en contact avec le milieu.
Bien entendu, tout n’est pas rose dans le monde de la viticulture, où les exploitants plongent souvent dans l’univers du vin dès le premier biberon. « On a perdu du temps à trouver les bons filons. On a cru en beaucoup de choses, confie la jeune femme. Douze hectares, c’est tout petit, et puis nous sommes installés hors du cadre familial… » Et si l’accueil des viticulteurs voisins a été sympathique, personne n’est venu leur signaler les erreurs manifestes qu’ils commettaient parfois…
Mais, de salon en salon, Laetitia Masson trace son sillon. « J’ai les diplômes, j’ai les compétences… et un physique ! On se souvient plus facilement de moi que de mon mari, qui est plus commun. » Arpentant d’un bon pas ses terres rocailleuses plantées de syrah, de grenache et de cinsault, elle parle avec entrain des évolutions et des défis du métier. « On s’est lancés dans le bio surtout pour nous, parce que ça ne nous paraissait pas sain de travailler avec des insecticides. Mais il ne faut pas se leurrer, la réglementation ne concerne que la vigne. Une fois dans la cave, les gens mettent ce qu’ils veulent, par exemple de trop grosses quantités d’anhydride sulfureux, qui donne des maux de tête. »
Après neuf années de tâtonnements, la jeune Franco-Camerounaise espère aujourd’hui passer à 40 000 bouteilles par an et se faire connaître à l’international. « Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est l’export, et je vais me lancer sur le marché chinois, affirme-t-elle. En Afrique, ce sont essentiellement des vins de négoce qui sont vendus, et il est très difficile de proposer des prix attrayants pour le marché. En outre, le continent est d’une manière générale très compliqué au niveau des douanes. » Pour autant, Laetitia Masson n’a pas renoncé à cette partie d’elle-même. « Cela fait cinq ans que je n’y suis pas retournée. Voyager n’était pas une priorité… Mais j’aimerais y amener mes enfants… » C’est limpide : elle parle du petit garçon et de la petite fille, pas des cuvées Jules et Élise.
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