Présidentielle française : l’Europe, l’invitée-surprise de la campagne
Jamais l’Europe n’avait été aussi présente dans une campagne électorale française. La volonté de François Hollande d’ajouter au pacte de stabilité de l’UE une clause destinée à favoriser la croissance et l’emploi n’y est pas pour rien.
Le temps paraît aujourd’hui bien loin où Simone Weil, invitée de l’une des émissions les plus écoutées du week-end, s’entendait conseiller par le présentateur : « Ne parlez pas trop de l’Europe, cela embête tout le monde ! » Alors que, dans toutes les grandes démocraties, les élections nationales se jouent sur la politique intérieure, jamais en France la politique européenne n’aura été aussi présente dans une campagne présidentielle. On le doit principalement à François Hollande, qui réclame depuis deux ans, sans réussir à se faire entendre, la renégociation du pacte de stabilité pour lui ajouter une clause imposant des objectifs de croissance et d’emploi.
Rigueur ou développement ? Le dilemme n’est pas nouveau. Il est né avec la crise de la Grèce, toujours menacée de faillite malgré l’accumulation des aides de Bruxelles et des banques. Il consiste à déterminer la juste mesure d’assainissement nécessaire pour rétablir la santé et avec elle les chances de relance des pays malades de leur dette, sans que le patient succombe en cours de traitement à un excès de saignées budgétaires. De la Grèce, le problème s’est rapidement déplacé vers l’Espagne, puis l’Italie. Il a trouvé un relais efficace en France avec l’engagement de François Hollande, s’il l’emporte le 6 mai, de se rendre aussitôt à Berlin pour tenter de rallier Angela Merkel à son programme de soutien aux économies défaillantes. Faute de quoi la France refusera de ratifier le pacte.
Risque d’implosion
Délibérément iconoclaste, la proposition est vite devenue le nouvel enjeu de la bataille présidentielle. Nicolas Sarkozy a d’abord fustigé l’irresponsabilité d’un prétendant au pouvoir qui n’aurait rien de plus pressé, s’il l’emportait, que d’aller protester à Berlin la parole de la France et d’obliger à se déjuger à leur tour les vingt-cinq pays de l’Union – sur vingt-sept – qui ont approuvé le pacte. Un de ses stratèges lui a-t-il soufflé que le plaidoyer socialiste pour la croissance s’accordait mieux que de tels anathèmes à ses propres évocations des souffrances populaires ? Il l’a donc peu à peu repris à son compte en s’efforçant seulement de le rendre moins comminatoire pour l’allié et modèle d’outre-Rhin.
D’autant que l’initiative de Hollande, flatteusement soutenue par Gerhard Schröder, l’homme du nouveau miracle allemand, a déclenché une véritable campagne de pressions internationales. Ce sont maintenant les économistes des plus influentes institutions qui multiplient les appels aux gouvernements pour encourager la croissance et adoucir des plans de rigueur jugés socialement dangereux et financièrement inapplicables. Du FMI à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en passant par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), les critiques aboutissent à la même conclusion catastrophiste : il existe un risque d’implosion de l’Europe et de l’euro, que l’Espagne et l’Italie ont déjà anticipé en refusant de respecter les échéances de désendettement fixées par les ministres des Finances de l’Union. Mais c’est à un Allemand qu’on doit l’argument le plus saisissant : économiste en chef à la Cnuced, Heiner Flassbeck reproche à Merkel de commettre la même erreur que les vainqueurs de la Première Guerre mondiale lorsqu’ils exigèrent de l’Allemagne des réparations insupportables.
S’il est élu, Hollande ne manquera donc pas d’approbations parmi les plus compétentes à glisser dans les dossiers de sa visite à Berlin. Merkel, qui, à en croire Der Spiegel, suit la campagne présidentielle française « comme un supplice », n’acceptera pas la renégociation du pacte de stabilité. Elle s’est empressée d’accepter en revanche la solution providentielle venue à la surprise générale de l’inflexible Banque centrale européenne. Récemment encore, cette dernière envoyait à peine poliment promener tous ces conseilleurs qui n’étaient pas des payeurs, alors qu’elle avait consenti quelque 1 000 milliards d’euros de prêts en trois ans aux banques européennes. Son président, Mario Draghi, reconnaît maintenant qu’il faut « revenir en arrière » et renforcer l’efficacité du pacte de sécurité en le doublant d’un pacte de croissance soumis lui aussi au Parlement de l’Union. Mais il en précise aussitôt les conditions. Il ne s’agit pas de creuser un peu plus les déficits mais de libérer les énergies par des réformes de structure, même si « elles font mal et heurtent de vastes intérêts ». Hollande ne s’y est pas trompé, qui se garde de pavoiser trop vite et annonce un mémorandum à tous les chefs d’État et de gouvernement européens sur sa propre exigence de renégociation.
Chamailleries
Préparée sinon résignée à la défaite de son allié Sarkozy, Merkel veut croire cependant qu’après une période de « chamailleries » elle trouvera avec Hollande ce « bon compromis » devenu la vertu cardinale du pragmatisme allemand. Hollande lui-même n’est pas moins confiant dans la solidité du couple. Pourquoi ne s’entendrait-il pas avec Merkel, comme Mitterrand avec Kohl ou Chirac avec Schröder ?
La négociation d’un compromis pourrait y aider si elle faisait découvrir qu’après tout on s’est peut-être trompé de dilemme. Et que le vrai choix serait moins entre la croissance et l’austérité qu’entre la bonne et la mauvaise austérité. C’était déjà la suggestion de l’agence Standard & Poor’s lors de la dégradation de la note de la France en raison de son laxisme budgétaire. Elle conseillait de distinguer à l’avenir les dépenses productives des gaspillages d’argent public, allant jusqu’à mettre en garde les gouvernements contre des excès d’économies mal conçues. Certains prêteurs auraient été horrifiés d’apprendre que, pour obtenir une nouvelle rallonge, les Grecs commençaient à tailler dans les dépenses d’éducation…
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