Hien Yacouba Sié : « Nous voulons faire du port autonome d’Abidjan un hub de référence »

Avec l’arrivée du nouveau terminal à conteneurs, en décembre 2022, le PAA renouvelle ses ambitions. Son directeur général explique pourquoi.

Le directeur général du port autonome d’Abidjan, Hien Yacouba Sié, en mars 2016. © Jacques Torregano pour JA

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Publié le 22 février 2023 Lecture : 5 minutes.

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Ports, rails, airs… Pour l’industrie des transports, le temps du changement

Malgré la désorganisation du secteur provoquée par le Covid-19, opérateurs traditionnels et nouveaux entrants continuent de renforcer leurs positions. Les politiques d’intégration sous-régionales et de développement du commerce intra-africain boostent les infrastructures et les services à destination de l’hinterland.

Sommaire

À 59 ans, dont douze passés à la tête du port autonome d’Abidjan (PAA), Hien Yacouba Sié est un homme heureux. Sous sa direction, le principal port ivoirien a connu la période de croissance la plus impressionnante de son histoire, avec un taux de 12 % par an en moyenne sur la dernière décennie. Un rythme que compte bien conserver le patron tout puissant de l’autorité portuaire abidjanaise, qui peut compter pour cela sur la bonne santé retrouvée de l’économie ivoirienne et sur les nouveaux terminaux spécialisés, inaugurés ces derniers mois pour permettre au port d’Abidjan de faire la course en tête le long de la côte ouest-africaine.

Jeune Afrique : Que représente l’arrivée du nouveau terminal à conteneurs pour le port d’Abidjan ?

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Hien Yacouba Sié : C’est un évènement majeur dans l’existence même du port autonome. La comparaison entre les plus grands ports du monde s’établit sur le nombre de conteneurs qu’ils traitent annuellement et Abidjan ne pouvait pas participer à cette course car nous étions handicapés par notre incapacité à accueillir les grands navires. Depuis décembre, nous recevons des porte-conteneurs de 14 000 équivalents vingt pieds (EVP), le port change donc de catégorie.

Nous disposons dorénavant de suffisamment de place pour gérer les trafics à l’import et à l’export de la Côte d’Ivoire et de son hinterland, mais aussi pour développer les activités de transbordement qui génèrent les volumes de trafics conteneurisés les plus significatifs aujourd’hui dans les ports. Le modèle financier du nouveau terminal a justement été élaboré en vue de développer le transbordement, avec des volumes garantis sur ce type d’activité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’offre qui a été retenue à l’époque incluait dans le tour de table l’armateur Maersk, alors premier armateur mondial. C’était un moyen de présager d’un développement rapide du transbordement à Abidjan.

Quels sont vos objectifs en la matière ?

Nous nous sommes donné deux à trois ans pour entrer dans le cercle restreint des ports majeurs qui traitent chaque année plus d’un million de conteneurs en transbordement. Nous étions partis sur un volume de 350 000 EVP dès le premier exercice, mais nous allons certainement terminer l’année 2023 avec plus de 500 000 boîtes transbordées, ce qui est très rassurant.

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Malgré la concurrence des ports voisins comme Tema, San Pedro et Lomé, les armateurs sont demandeurs car ils savent qu’ils trouveront toujours ici du fret à transporter. Sur les trente millions de tonnes traitées à Abidjan en 2022, 28 millions étaient destinées à notre économie nationale. Il n’est donc pas nécessaire pour un navire d’accoster ailleurs pour remplir ses cales. Les cartes vont ainsi être rebattues et les perspectives du transbordement à Abidjan sont des plus rassurantes.

Pourquoi est-ce si important pour un port d’être présent sur ce type d’activité ?

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Le transbordement est un trafic très volatile qui se fixe en fonction des intérêts des armateurs, et donc des performances que leur offrent les ports en matière de qualité de service et de connectivité. C’est la garantie pour une compagnie maritime de disposer des meilleures prestations portuaires, en même temps qu’un révélateur de l’efficacité et de la productivité d’un port. Avec un surcroît de connectivité, le transbordement crée également un appel d’air favorable aux opérateurs économiques locaux.

Ce nouveau terminal est-il donc l’outil qu’il fallait pour accompagner le développement économique de la Côte d’Ivoire ?

Oui, nos opérateurs pourront réaliser leurs activités à l’import et à l’export comme auparavant, mais dans de bien meilleures conditions et avec une qualité de service bien supérieure. En 2022 encore, nous avons connu à certaines périodes de pointe des saturations sur nos terminaux. C’est aujourd’hui de l’histoire ancienne, nous disposons maintenant de tout l’espace de stockage nécessaire pour absorber les hausses de volumes, sur le conteneur, mais également dans le roulier et les céréales, grâce, là aussi, à l’arrivée de nouveaux terminaux.

Toute l’économie ivoirienne en sortira gagnante

Nous sommes depuis entrés dans une politique de spécialisation de nos quais, qui améliorera la visibilité du port et des services portuaires que peuvent en attendre les armateurs et les différents acteurs portuaires. En plus des économies d’échelle, tout le monde pourra mieux anticiper les escales, réduire le temps de passage d’un navire à quai et de la marchandise dans le port, et donc les coûts indirects qui étaient liés aux anciens dysfonctionnements. Toute l’économie ivoirienne en sortira gagnante.

Dans la foulée de la Côte d’Ivoire, redevenue la locomotive économique de l’Uemoa, le port d’Abidjan peut-il devenir le hub portuaire de la sous-région ?

C’est notre volonté et nous allons poursuivre nos efforts pour disposer d’un port qui soit à la hauteur des ambitions de notre économie. La mise en valeur des vastes réserves foncières du port va nous permettre de décongestionner nos installations et d’accroître les performances de la plateforme logistique d’Abidjan. Notre ambition n’est pas de nous contenter d’un positionnement sous-régional, mais de devenir un hub portuaire de référence sur la façade Atlantique de l’Afrique.

Le départ de Bolloré Africa Logistics (BAL), remplacé par MSC, vient d’être officialisé. Que pensez-vous de l’arrivée d’un armateur dans la gestion de terminaux portuaires et des risques de conflit d’intérêts que cela peut créer ?

Cela se fait déjà ailleurs mais c’est en effet nouveau à Abidjan et cela peut soulever certaines inquiétudes, même si elles sont d’avance gérées par les termes des contrats de concession. Nous partons du principe d’une équité de traitement pour tous sur les quais.

Et l’État dispose des instruments nécessaires pour éviter toute position hégémonique dans les différents secteurs d’activité, au bénéfice de la libre-concurrence. Avec MSC, CMA CGM et Maersk, les trois premières compagnies maritimes mondiales sont présentes à Abidjan. À nous de veiller à ce qu’elles soient correctement traitées, pour inciter tout le monde à venir travailler ici.

La logique dominante ces dernières années, dans le secteur, est de sortir les ports des villes. Le PAA poursuit son développement au cœur d’Abidjan ; au risque de pénaliser son développement ?

Si certaines décisions étaient prises aujourd’hui, le port ne serait en effet pas construit là. La problématique de l’interface port-ville se pose en effet dans de nombreux ports, même les plus grands, comme Anvers et Rotterdam. À Abidjan, nous avons la chance de disposer d’importantes réserves foncières. L’objectif est de pouvoir disposer d’une voie de sortie sans passer par la ville, en creusant un tunnel sous le canal de Vridi, pour ensuite rattraper la rocade qui rejoint l’autoroute du Nord ou la future route côtière. L’État ivoirien et ses principaux bailleurs travaillent déjà sur ce dossier qui, pour un investissement de 900 millions de dollars (près de 842 millions d’euros), représente une véritable opportunité pour le port de renforcer sa compétitivité.

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