À Abidjan, le « cadeau de départ » de Bolloré avant de céder la place à MSC
Avant son départ, le groupe a livré de nouvelles installations portuaires et aéroportuaires dans la capitale économique ivoirienne, appelée à devenir la plateforme multimodale de la sous-région.
Ports, rails, airs… Pour l’industrie des transports, le temps du changement
Malgré la désorganisation du secteur provoquée par le Covid-19, opérateurs traditionnels et nouveaux entrants continuent de renforcer leurs positions. Les politiques d’intégration sous-régionales et de développement du commerce intra-africain boostent les infrastructures et les services à destination de l’hinterland.
Le port autonome d’Abidjan (PAA) est en train d’écrire, ces derniers mois, un nouveau chapitre de sa longue histoire. Deux événements, survenus coup sur coup en décembre 2022, précipitent l’heure du changement de dimension et de rôle pour la principale interface portuaire de Côte d’Ivoire, avec à chaque fois comme acteur principal l’opérateur français Bolloré Africa Logistics (BAL). Associée à son compère APM Terminals à hauteur de 49 %, la marque africaine du groupe Bolloré Transport & Logistics (BTL) a d’abord inauguré, le 2 décembre, en grandes pompes et en présence de Tiémoko Meyliet Koné, le vice-président ivoirien, le deuxième terminal à conteneurs d’Abidjan. Baptisé Côte d’Ivoire Terminal (CIT), cet équipement flambant neuf d’une superficie de 38 hectares gagnés sur la lagune propulse le PAA « dans une autre dimension », selon l’expression employée par Hien Yacouba Sié, son directeur-général.
Pour un investissement d’un peu moins de 1 milliard de dollars (935 millions d’euros), dont près de la moitié aux frais de l’opérateur, il doit permettre de traiter enfin sur Abidjan les trafics forcément volumineux liés aux activités de transbordement qui asseyent aujourd’hui la réputation internationale d’un port. Un joli cadeau de départ pour BTL qui, le 21 décembre, officialisait la vente de tous ses actifs africains, regroupés dans BAL, à la compagnie maritime italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC), pour une valeur totale de 5,7 milliards d’euros. Une annonce « qui n’est que l’aboutissement d’un processus lancé un an plus tôt », rappelle encore Hien Yacouba Sié, pas plus affecté que cela, semble-t-il, au moment de tourner la page.
Le « navire-amiral » change de pavillon
L’émotion est évidemment toute autre au siège ivoirien du groupe Bolloré. Dans son grand bureau qui, depuis Treichville, domine la lagune et le quartier du Plateau en arrière-plan, Pierre Bellerose, le directeur régional de BTL, semble encaisser la nouvelle pourtant attendue depuis de longs mois. Comme si le Québécois, ancien du transitaire Saga, racheté en 1997 par Vincent Bolloré, voyait défiler en accéléré sa vie professionnelle, la missive envoyée le matin même depuis Puteaux dans les mains. La fin d’une longue histoire, pour lui et pour près de 24 000 personnes, pourtant appelée à se poursuivre à Abidjan et sur les quinze autres terminaux portuaires concernés en Afrique, peut-être sous la même couleur bleue que BAL, mais certainement pas sous le même nom.
Qu’importe, pour le PAA l’essentiel est ailleurs. « Un acteur majeur se retire, reconnaît-on du côté de l’autorité portuaire, mais le contrat reste et doit toujours être respecté par celui qui le remplace. » C’est vrai dans le maritime, où en plus des deux terminaux à conteneurs, BAL gère également le terminal roulier avec l’armateur spécialisé Grimaldi, ainsi que le chantier de réparation Carena, sans oublier ses activités d’entreposage portuaire de matières premières comme le cacao.
Cela l’est également dans le secteur ferroviaire, où BAL a remporté la concession de la Sitarail en 1995, et dans le transit aéroportuaire, sur lequel l’opérateur français vient de réaliser de gros investissements pour créer la plus grande base logistique aérienne de toute la sous-région. Autant d’actifs qui viennent de tomber dans l’escarcelle du premier armateur mondial. Et Abidjan, « navire-amiral de Bolloré en Afrique », selon la formule de Pierre Bellerose, vient donc de changer de pavillon pour devenir celui de MSC.
Forte hausse des prévisions de trafics
La capitale économique ivoirienne ne devrait pas avoir à s’en plaindre, surtout que dans un premier temps, les équipes ne sont pas prévues pour changer, ni sur les quais ni le long des 1 200 kilomètres du réseau ferré, pas plus que dans les entrepôts portuaires et aéroportuaires. Ce changement de propriétaire n’a pas empêché CIT de vite confirmer son utilité et, après quelques semaines seulement d’opération, la direction portuaire n’a pas hésité à revoir fortement à la hausse les prévisions de trafics attendus dès la fin de cette année. Avec son tirant d’eau porté à 16 mètres de profondeur, le terminal peut désormais recevoir les porte-conteneurs de 14 000 équivalents vingt pieds (EVP) de capacité mis en ligne depuis l’Asie par MSC et CMA-CGM.
En attendant l’arrivée de ceux de Maersk qui, selon Koen de Backker, directeur exécutif de CIT pour le compte d’APMT, la filière portuaire de l’armement danois, « prévoit d’arriver bientôt avec de très gros volumes », et même peut-être l’objectif « de faire d’Abidjan son hub sur la côte ouest-africaine », veut croire Hien Yacouba Sié. Avec la présence des trois plus grandes compagnies maritimes du marché sur ses quais, le second terminal à conteneurs de la place devrait rapidement atteindre les 1,5 millions d’EVP par an pour lesquels il est dimensionné. Il reste encore à ses équipes de manutention à améliorer la productivité du terminal en atteignant dès que possible les 30 mouvements de conteneurs par heure et par portique, « cadence minimum attendue dans le transbordement », précise Koen de Backker.
Organiser l’évacuation terrestre
Son voisin, le TC1, lancé en 2003 et rebaptisé depuis Abidjan Terminal (AT), ne connaît pas cette contrainte. Construit pour traiter les trafics d’import-export – à un moment où « personne n’imaginait qu’un jour des navires de 14 000 boîtes escaleraient dans la région », rappelle Asta Rosa Cissé, la directrice générale du terminal pour le compte de BAL –, lui souffre d’un manque d’espace et de la limite imposée par ses 12 mètres de tirant d’eau. Surtout que, dans la foulée de la santé retrouvée de l’économie ivoirienne, il a dû faire face, depuis dix ans, à « une croissance phénoménale » de ses trafics, confirme sa responsable. Avec une hausse de 8 % en moyenne depuis 2012, le terminal a aujourd’hui atteint ses capacités maximales de 800 000 EVP par an, provoquant à certaines périodes de l’année un temps d’attente de plusieurs jours pour les navires.
L’engorgement du terminal est déjà de l’histoire ancienne
Un problème que contribue déjà à résoudre CIT. « L’engorgement du terminal est déjà de l’histoire ancienne », confirme Koen de Backker. Gérés tous les deux par le même consortium, bien que dans le cas d’AT ce soit APMT qui soit majoritaire, les deux terminaux vont jouer de leur complémentarité malgré leurs profils différents. « Aucune collaboration financière ou juridique n’est prévue, mais il existe un accord opérationnel pour que le PAA puisse tirer le maximum de cette synergie », précise encore le patron de CIT.
Reste maintenant, de l’avis des deux responsables des terminaux, à organiser l’évacuation terrestre de ces volumes supplémentaires, le long d’un boulevard de Vridi – aujourd’hui l’unique voie d’accès portuaire – déjà complétement engorgé par les poids-lourds. Sa rénovation vient de démarrer et est déjà prévue pour durer, mais fort de ses énormes réserves foncières, le PAA, et avec lui l’État ivoirien, voient déjà plus loin en travaillant sur une voie de contournement qui, via la réalisation d’un tunnel sous le canal de Vridi, rejoindrait l’autoroute du Nord, qui relie l’intérieur du pays et au-delà l’hinterland.
En attendant la réalisation de ce projet de près de 1 milliard de dollars, soutenu financièrement par le Millenium Challenge Corporation (MCC) américain, le port d’Abidjan et ses opérateurs vont devoir se montrer créatifs, « en mettant par exemple en place sur la lagune des solutions de chalandage, comme cela se fait avec succès à Lagos », estime Koen de Backker. Le prix à payer pour que le PAA réalise un jour prochain ses ambitions de hub sous-régional en matière de transbordement, mais également de transit des trafics conteneurisés.
L’Aérohub et ses services ajoutés
Pour asseoir sa domination régionale dans ce dernier domaine d’activité, Abidjan peut également compter sur l’une des infrastructures de fret aéroportuaires les plus modernes d’Afrique de l’Ouest. BTL a en effet inauguré, en octobre 2020, la deuxième phase de développement de son Aérohub, installé à proximité de l’aéroport Félix-Houphouët-Boigny, non loin du port.
Disposant dorénavant de 15 000 m² d’entrepôts, dont une grande partie sous température dirigée et abritant sur site une zone de dédouanement, l’opérateur a les moyens de répondre aux attentes logistiques de ses clients, quel que soit leur secteur d’activité : télécommunications, agro-alimentaire, santé ou encore restauration. En plus d’assurer la logistique de tous types de produits sur les différents modes de transport disponibles, l’Aérohub apporte également un certain nombre de services ajoutés, notamment en matière de conditionnement des marchandises, réceptionnées en vrac et réexpédiées empaquetées.
« L’essentiel est de se réinventer pour s’imposer comme le leader d’un marché qui attire une forte concurrence », explique David Alliali, responsable chez BTL. Pour continuer de faire la course en tête, le groupe français a déjà prévu une nouvelle extension de ses entrepôts. Après avoir investi 11 millions d’euros depuis 2019, BTL compte en dépenser 4 de plus pour ajouter 1 000 m² supplémentaires, sous température dirigée, d’ici à 2024. À cette date, l’opérateur aura changé de nom pour passer sous le joug de MSC, à qui incombera donc la tâche d’aider au décollage d’Abidjan, plateforme multimodale de l’Uemoa.
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