Législatives algériennes : le FLN est-il fini ?
Parti de l’indépendance, la première force politique de l’Algérie, est traversé par une dissidence d’une ampleur sans précédent. À la veille d’élections législatives capitales, cela fait désordre.
« En près de soixante ans d’existence, jamais mon parti n’avait connu pareille crise : l’écrasante majorité du comité central a retiré sa confiance au secrétaire général à la veille de législatives capitales », s’inquiète ce vieux militant du Front de libération nationale (FLN, première force politique algérienne). Le propos semble exagéré tant l’histoire de l’ancien parti unique est truffée de « coups d’État scientifiques » conclus par le limogeage de la « direction ». Au cours des deux dernières décennies, les trois prédécesseurs d’Abdelaziz Belkhadem ont été débarqués à la suite d’une fronde au sein des instances du parti : Abdelhamid Mehri en 1996, Boualem Benhamouda en 2001 et Ali Benflis en 2004. Tous les trois ont subi les foudres de la base ou de l’appareil pour avoir pris leurs distances avec le pouvoir et revendiqué une autonomie du parti à l’égard du système.
En revanche, l’actuelle « opération de redressement », selon le jargon du FLN, se distingue des précédentes par son timing et son ampleur. Un membre du bureau politique du parti en témoigne. « Lorsqu’en 1996 le comité central avait entamé le vote de défiance à l’égard du secrétaire général, lors d’un scrutin ouvert, Abdelhamid Mehri avait annoncé son retrait au bout de la soixante-dixième voix hostile. Aujourd’hui, Abdelaziz Belkhadem réunit contre lui plus de 200 membres sur 351. S’il occupe encore son fauteuil de secrétaire général, il ne le doit qu’au calendrier électoral. » Le psychodrame qui agite le FLN en ce mois d’avril pluvieux a éclaté après l’annonce de la composition des listes électorales du parti en vue des législatives du 10 mai, présentées par le président Abdelaziz Bouteflika comme un rendez-vous clé pour l’avenir du pays, celui d’un changement pacifique en vue de préserver l’Algérie des effets pervers du Printemps arabe. Aux yeux de ses détracteurs, Belkhadem a commis une erreur irréparable, comparable à celle d’un général qui, à la veille d’une bataille cruciale – consistant à résister à la dynamique électorale des islamistes -, décide de se passer de ses meilleurs lieutenants.
Vaudeville
Que ce soit au niveau national ou local, figurer en bonne place sur une liste FLN garantit le succès. Celles concoctées par Abdelaziz Belkhadem pour les législatives du 10 mai ont provoqué un véritable séisme à Hydra, sur les hauteurs d’Alger, où se trouve le siège du FLN, et au-delà, dans les mouhafadate et kasma (structures régionales et cellules de base) du parti. Selon Badis Boulouadnine, coordinateur du Mouvement des jeunes du FLN, « le secrétaire général a bafoué les statuts internes du parti, qui stipulent qu’un postulant à l’investiture du FLN doit avoir au minimum une ancienneté de sept ans. Or certaines têtes de liste, parachutées sur décision de Belkhadem, n’avaient jamais milité auparavant ».
En outre, les changements de têtes de liste se sont faits aux dépens de membres du comité central, du bureau politique et même de ministres FLN de l’actuel gouvernement. Abdelhamid Si Affif, président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée populaire nationale (APN, Chambre basse du Parlement) et membre du bureau politique du FLN, confirme « la trahison » de Belkhadem. « Le secrétaire général m’a assuré que, sur instruction du président d’honneur du FLN, Abdelaziz Bouteflika, les membres de l’exécutif et du bureau politique ne devaient pas être investis. Or cette assertion s’est révélée fausse. Aucune instruction n’a été donnée en ce sens par la présidence de la République. Pour preuve : trois ministres sont têtes de liste. Ce trio [Rachid Haraoubia, Enseignement supérieur, Tayeb Louh, Travail et Affaires sociales, et Amar Tou, Transports, NDLR] est l’unique responsable de la crise actuelle », affirme-t-il.
Certaines têtes de liste parachutées n’ont jamais milité.
Badis Boulouadnine, coordinateur du Mouvement des jeunes du parti.
Si la dissidence rassemble d’éminentes personnalités du parti, elle est aussi composée d’un véritable cocktail de sensibilités politiques. Anciens et actuels ministres, partisans de Benflis et « redresseurs » qui ont eu la tête de l’ancien Premier ministre, tous se retrouvent alliés objectifs pour une cause commune : « virer » Abdelaziz Belkhadem. Pourtant, malgré l’ampleur de la fronde, la démarche est suspecte aux yeux des militants de base et, plus généralement, de l’opinion. Ce conglomérat hétéroclite, composé d’exclus de la rente de la députation ou de l’immunité qu’elle confère, ne convainc personne et donne à la crise du FLN des allures de vaudeville. Lequel alimente la chronique d’une élection dont on attend, comme le proclame le discours officiel, un changement pacifique, autrement dit une alternance par les urnes et, par voie de conséquence, un bouleversement politique qui devrait hâter la chute du FLN.
Ancienne éminence grise du parti sous Ali Benflis, l’universitaire Abdelaziz Djerrad en est conscient. « La probable gamelle électorale qui nous est promise ne doit pas faire perdre de vue que l’existence du FLN n’est pas menacée. Le parti survivra à son secrétaire général comme il a survécu à ses prédécesseurs. Notre drame ne tient pas à la diversité de la composante de la dissidence mais plutôt à l’absence d’une stratégie d’ensemble », rappelle-t-il. Le FLN n’est donc pas fini ? « On ne peut envisager un tel scénario, rétorque Farida Illimi, députée sortante. Le FLN est la colonne vertébrale de l’État et un garant de la stabilité de ce pays. C’est pourquoi nous nous refusons à faire barrage aux listes controversées. La seule consigne de vote que nous préconisons est la participation au scrutin, mais nous laissons toute latitude à la base pour choisir la liste qui est la plus proche de nos valeurs. »
La tentation islamiste
Comme tout front, le FLN est composé de nombreux courants ayant des valeurs et des objectifs communs. Son secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, n’a jamais fait mystère de sa proximité avec les islamistes. Il incarne d’ailleurs ceux que la rue a affublés du sobriquet « barbéfélènes ». Ses détracteurs lui reprochent d’avoir privilégié, pour l’élaboration des listes électorales du parti, des personnalités islamo-compatibles. La présence, en deuxième position (éligible à coup sûr) sur la liste présentée à Alger, d’Asma Benkada, en est l’illustration. Elle n’est autre que l’ex-épouse de Youssef al-Qaradawi, gourou cathodique des Frères musulmans et accessoirement conseiller de l’émir du Qatar. Un choix fortement controversé, Benkada n’ayant jamais milité au sein du FLN. Pour les frondeurs, c’est bien la preuve que le secrétaire général sert davantage ses ambitions présidentielles que les intérêts du parti.
Le Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre, Ahmed Ouyahia), frère jumeau du FLN, peut-il constituer un vote refuge pour l’électorat de l’ex-parti unique ? Kamel Rezgui, autre député sortant, l’affirme sans détour. « Exceptionnellement, dans les régions où nos listes manquent de crédibilité, nous ferons campagne pour les autres courants nationalistes. » L’éventail est large, puisque, sur la quarantaine de formations en lice, une bonne moitié se réclame de la déclaration du 1er novembre 1954, acte fondateur du FLN historique. L’idée est de faire barrage aux islamistes, véritable menace du scrutin. D’autant que parmi les nombreux griefs retenus à l’encontre de la gestion d’Abdelaziz Belkhadem figure la tentation islamiste (lire encadré) pour nourrir son ambition personnelle : succéder à Abdelaziz Bouteflika en 2014
Le silence du président
Le secrétaire général du FLN bénéficie-t-il de la bénédiction du président de la République ? Belkhadem ne cesse de l’assurer, mais les faits sont têtus. Les activités de la dissidence sont régulièrement couvertes par les médias lourds (radios et télévisions publiques, ainsi que l’agence de presse officielle APS). « Si, réellement, Abdelaziz Belkhadem était protégé, nous n’aurions pas pu bénéficier de la couverture médiatique des organes gouvernementaux », poursuit Kamel Rezgui. Le silence de Bouteflika reste tout de même énigmatique. « Sa position est inconfortable, admet un membre du bureau politique ayant refusé de se joindre au mouvement de contestation. Sa qualité de chef de l’État le place au-dessus de la mêlée, ce qui le confine au silence en période préélectorale. En revanche, il me semble que, quel que soit le résultat des élections, le sort de Belkhadem est scellé. »
Dès lors que l’avenir du secrétaire général du FLN est évoqué, les couloirs de l’hémicycle, où l’actuelle législature achève sa dernière session, bruissent d’un nouveau concept : PPP, pour « passera pas le printemps ». En Algérie, on a le printemps qu’on peut.
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