Kamel Eltaief, Béchir Akremi… Ce que l’on sait de la vague d’arrestations de ce week-end à Tunis
La série d’arrestations de cadres politiques et de magistrats survenue ce week-end a alimenté les rumeurs les plus folles. Ce lundi, cinq personnes étaient encore interrogées, et devaient répondre d’accusations sans lien les unes avec les autres.
Vive émotion et inquiétude à Tunis après l’arrestation, samedi 11 février, de plusieurs personnalités en vue en lien avec la sphère politique. Une situation que beaucoup redoutaient à la suite des rumeurs annonçant l’imminence d’une opération de ce genre depuis plusieurs semaines. Et qui intervient dans un contexte délétère où l’opposition donne de la voix et tente de trouver une assise commune.
Pour certains, il n’y a pas de hasard : ces arrestations coïncident aussi avec une perte de popularité du système mis en place par le président Kaïs Saïed et sont perçues comme une diversion pour occulter les couacs de l’affaire Amira Bouraoui et faire oublier l’impasse de la crise des finances publiques.
Le point sur les acteurs et les détails de cet épisode inédit, déjà interprété par certains comme une tentative de bâillonner l’opposition, inquiète de l’éventuel report de l’élection présidentielle de 2024.
Deux juges, deux affaires : parmi les personnes arrêtées, deux sont entendues pour des affaires évoquées depuis plusieurs mois. L’ancien procureur de la République Béchir Akremi est poursuivi dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi pour dissimulation de preuves et entrave à la justice. Taïeb Rached, ancien premier président de la Cour de cassation, est visé par des affaires de corruption. Leur arrestation fait suite à la levée de leur immunité par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Que le mandat d’amener ait été exécuté un week-end est inhabituel, à moins que la justice ne considère qu’ils représentent un danger ou qu’ils peuvent quitter le pays malgré leur interdiction de voyager.
Un militant influent : la perquisition du domicile et l’arrestation inattendue, au petit matin, de Khayam Turki, ancien dirigeant du parti Ettakatol, a fait grand bruit. Toujours discret mais actif dans les coulisses de la politique, il cherche des points de convergence entre différentes positions. Il serait entendu pour avoir organisé chez lui des rencontres entre différents dirigeants afin de mener une réflexion sur la situation du pays, ce qu’aucune loi n’interdit. Parmi ses hôtes, des dirigeants du Front de salut national et quelques représentants de partis de tous bords. On lui reproche également des contacts réguliers avec des ambassades. De là à parler d’atteinte à la sûreté nationale, il y a un pas que la justice ne peut franchir sans preuves solides.
Un lobbyiste de carrière : Kamel Eltaief, qui avait appuyé son ami Ben Ali lors de l’organisation de la destitution de Bourguiba, le 7 novembre 1987, n’avait pas été entendu par les services depuis sa disgrâce en 1992. Cet homme pour qui le lobbyisme est une seconde nature a été arrêté selon le même mode opératoire que Khayam Turki. À la fois connu et sulfureux, le chef d’entreprise a imposé son influence dans le Sahel et agit essentiellement en faveur de sa région natale. Depuis la révolution, il a étendu ses réseaux en misant sur le monde des affaires et celui des médias.
Les soupçons : si Khayam Turki et Kamel Eltaief ont un parcours, une personnalité et des cercles d’influence totalement différents, tous les deux sont entendus pour des présomptions de « complot contre la sûreté de l’État et entente pour renverser le régime en place », explique l’avocat Ghazi Chaouachi. Des soupçons qui, s’ils étaient prouvés, pourraient leur valoir de lourdes peines. Après la perquisition de leur domicile, ils auraient été conduits à l’Unité nationale de recherche sur les crimes terroristes à la caserne d’El Gorjani, puis à la caserne de Bouchoucha. Depuis leur arrestation, leurs avocats n’ont pas eu la possibilité de les rencontrer durant les 48 premières heures de leur garde à vue, comme le prévoit pourtant la loi pour des affaires considérées comme relevant du terrorisme.
Les autres prévenus : tout le week-end, la rumeur a couru et, en quelques heures, elle avait mis la moitié de la classe politique en prison. Mais il n’en est rien. Un diplomate à la retraite, Moncef Ben Attia, a bien été interrogé, puis relâché, tandis qu’un officier à la retraite serait encore entendu. L’arrestation de l’ancien dirigeant du parti islamiste Ennahdha, Abdelhamid Jelassi, par contre, est confirmée et a été décrite comme « un kidnapping » par son épouse, l’ex-députée Monia Brahim. Une description récurrente à chaque arrestation d’un dirigeant islamiste.
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