Mali : Amadou Haya Sanogo, président un jour, président toujours ?

Rien ne le prédestinait à prendre la tête des putschistes le 21 mars, mais le capitaine Amadou Haya Sanogo a pris goût au pouvoir, malgré le retour à l’ordre constitutionnel au Mali. Un article publié dans J.A. n° 2677 daté du 29 avril – soit juste avant la tentative manquée de contre-coup d’État mené par des soldats du régiment de commandos-parachutistes « Bérets rouges ».

Amadou Haya Sanogo, simple capitaine d’infanterie, est passé de l’ombre à la lumière. © Issouf Sanogo/AFP

Amadou Haya Sanogo, simple capitaine d’infanterie, est passé de l’ombre à la lumière. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 7 mai 2012 Lecture : 6 minutes.

Ambiance particulière ce 24 avril au poste de commandement de la IIIe région militaire de Kati, où les ­putschistes ont établi leur quartier général. Ce matin-là, le capitaine Amadou Haya Sanogo, président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État malien (CNRDRE), a une annonce à faire. Visage grave dans sa tenue d’apparat kaki, bâton de commandement en main, il veut rassurer la cinquantaine d’officiers, sous-officiers et hommes de troupe qui ont pris une part active au renversement du président Amadou Toumani Touré (ATT) le 21 mars.

Dans la cour de la caserne, il leur promet de faire en sorte que leurs salaires et leurs primes de risque soient revus à la hausse, d’obtenir de meilleures conditions de logement pour les soldats et d’acquérir du matériel militaire en quantité pour venir à bout de la rébellion armée et des groupes salafistes qui occupent le nord du pays – la grande préoccupation du moment. « Je ferai tout pour vous mettre dans de bonnes conditions, déclare-t-il. En échange, je vous demande de vous tenir prêts pour aller au front. » Pour un soldat présent, « on aurait dit un au revoir. En plus, c’était la première fois qu’il rentrait chez lui en pleine journée depuis le 21 mars ».

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Malgré ce court discours aux allures de testament, le capitaine Sanogo ne semble pas décidé à quitter le devant de la scène. Ne devait-il pas déjà rendre le pouvoir aux civils le 6 avril dernier, alors que la junte, la classe politique malienne et les médiateurs régionaux annonçaient la signature d’un accord qui devait tracer les contours de la transition ? Certains, à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), lui trouvent des excuses. « C’est un homme intelligent, insiste un diplomate ouest-africain en poste à Bamako. Il sait qu’il ne peut pas s’éterniser à son poste, mais il ne veut pas passer pour un faible auprès de ses hommes en cédant trop vite. »

Le double discours de Sanogo

Peut-être bien. Mais le durcissement de la junte, courant avril, a fait craindre le pire. Entre le 16 et le 19, vingt-deux hommes politiques et militaires ont été arrêtés et détenus au camp de Kati sur ordre direct du capitaine. Sanogo a eu beau proclamer le retour à l’ordre constitutionnel dès le 1er avril, des militaires ont, à plusieurs reprises, empêché des élus de pénétrer à l’intérieur du Parlement. « Il ne rend compte qu’à ses hommes, et ceux-ci ne lui laissent pas toujours le dernier mot, explique un familier du camp de Kati. Et dans la mesure où il leur doit tout… »

Ils font leur entrée au gouvernement

Les militaires ont obtenu trois portefeuilles dans le gouvernement dont la composition a été annoncée le 25 avril. Proche du capitaine Sanogo, le colonel saint-cyrien Moussa Sinko Coulibaly a été nommé à l’Administration territoriale. Directeur de cabinet du chef de la junte, il était, avant le coup d’État, directeur de l’École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye de Bamako. Le colonel major Yamoussa Camara arrive à la Défense et aux Anciens Combattants. Ex-chef d’état-major de la Garde nationale, il avait été nommé secrétaire général du ministère de la Défense au lendemain du putsch. Au ministère de la Sécurité intérieure et de la Protection civile, le général Tiéfing Konaté, ex-directeur de la gendarmerie. « Ce sont des hommes compétents et qui connaissent les dossiers », fait-on valoir à Kati. Les Maliens, eux, préfèrent juger sur pièce. Leur priorité absolue, c’est la gestion de la crise du Nord. M.G.B.

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Car, à 39 ans, Amadou Haya Sanogo, simple capitaine d’infanterie originaire de Ségou, est passé de l’ombre à la lumière en moins de temps qu’il n’en faut pour lacer ses brodequins. Professeur d’anglais au prytanée militaire de Kati depuis la fin 2011, Sanogo n’avait pourtant rien demandé. Quand débute la mutinerie du 21 mars, que le ministre de la Défense et le chef d’état-major général des armées doivent fuir et que sont tirés les premiers coups de feu, il préfère rentrer chez lui, comme plusieurs autres officiers. Il n’est pas de ceux qui, immédiatement, mettent le cap sur Bamako.

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C’est lorsque les mutins comprennent que le pouvoir est à portée de main qu’ils se rendent compte qu’ils ont besoin d’un chef. Il leur faut un « gradé » pour donner du crédit à leurs revendications. Un général ? Hors de question ! Le putsch est aussi dirigé contre la hiérarchie militaire, qui, ils en sont convaincus, s’est enrichie au détriment des troupes. L’un des putschistes mentionne alors le nom de Sanogo. Il a été son instructeur à l’École militaire interarmes (Emia) de Koulikoro. Sa petite taille est largement compensée par son charisme. Fort en gueule, il est capable de tenir tête à tout le monde, y compris à la hiérarchie, qui, agacée, a profité de la mort tragique de cinq élèves sous-officiers au cours d’un bizutage qui a mal tourné pour le mettre sur la touche, en 2011.

Cerise sur le gâteau, Sanogo a fait de multiples séjours aux États-Unis : une première fois en 1998 à l’école d’infanterie de Fort Benning, en Géorgie ; en 2003, chez les marines, à Quantico, en Virginie ; en 2005 au sein de l’Air Force (l’aviation américaine) à San Antonio, au Texas, où il a obtenu son diplôme d’instructeur interprète, puis à nouveau à Fort Benning en 2010. Il sort cette fois major de sa promotion. Et c’est ainsi que le professeur d’anglais qui espérait passer une soirée tranquille chez lui s’est retrouvé à proclamer la dissolution des institutions le 22 mars au matin.

Cinq semaines après cette prise de pouvoir rocambolesque, Amadou Haya Sanogo n’est plus le même. Son treillis a retrouvé du panache. Il a troqué sa mobylette contre un 4×4 flambant neuf et se fait appeler « président ». Il a pris ses quartiers à Kati, dans un bâtiment d’un étage qui aurait besoin d’un sérieux coup de peinture. Et ni l’investiture du président intérimaire Dioncounda Traoré, le 12 avril, ni la nomination de Cheikh Modibo Diarra à la primature, cinq jours plus tard, n’ont suffi à rendre la réalité du pouvoir aux civils. L’effervescence des premiers jours est retombée, mais c’est encore à Kati qu’hommes d’affaires, politiciens, syndicalistes, membres d’associations ou courtisans viennent soumettre leurs doléances… ou faire leurs dons. « On devrait y transférer la capitale, ironise un homme politique malien. C’est là-bas que tout continue à se décider ! »

Pas intéressé par un poste au gouvernement

Affable, la poignée de main ferme, Sanogo reçoit ses visiteurs dans un petit salon encombré de meubles et… d’autres membres du CNRDRE. Il ne tient pas en place, rechigne à rester assis et consulte sans cesse sa montre et son téléphone portable. À chacun de ses visiteurs, il répète les motifs du putsch et évoque aussi bien la guerre dans le Nord que la nécessité de lutter contre la corruption ou la vie chère.

Quand on a été chef d’État, on ne peut plus accepter d’ordre de n’importe qui.

Amadou Haya Sanogo

Le capitaine n’oublie jamais de mentionner « ses gars », la nébuleuse de militaires gradés ou non qui l’entourent et « l’aident à assurer [sa] mission ». « Je peux comprendre que ses hommes lui trouvent quelque chose, commente un homme politique malien. Il parle avec conviction, en vous regardant droit dans les yeux. » Il se sent aussi investi d’une mission – faire en sorte que la démocratie au Mali ne soit pas « une coquille vide » -, et c’est peut-être pour cela qu’il tarde à s’effacer.

Car le CNRDRE ne s’est pas dissous à la désignation d’un président et d’un Premier ministre. La Cedeao va-t-elle accepter encore longtemps que les militaires ne rentrent pas dans les casernes ? Pas sûr. Elle aimerait oublier au plus vite le putsch, qui a accéléré la partition du pays. Quant au gouvernement, Sanogo l’électron libre ne s’y voyait pas. Consulté, il a laissé entendre qu’il n’était pas intéressé et a préféré mettre en avant ses compagnons, dont le colonel Moussa Sinko Coulibaly, son bras droit et directeur de cabinet, nommé au ministère de l’Administration territoriale le 25 avril. « Ce qu’il aurait voulu, c’est être nommé général et pourquoi pas chef d’état-major, mais c’est hors de question pour les chefs d’État de la sous-région », confie un diplomate ouest-africain. Mais peut-il retourner à la vie de garnison ? « Impossible, a-t-il confié à l’un de ses proches. Quand on a été chef d’État, on ne peut plus accepter d’ordre de n’importe qui. »

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