Cemac : nouvelles révélations sur l’affaire Ntsimi
Mis en cause pour sa gestion de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, le président de la Commission, Antoine Ntsimi Menye, dénonce une conjuration contre sa personne. Hélas pour lui, de nombreux éléments ne plaident pas en sa faveur.
Antoine Ntsimi Menye n’a jamais été particulièrement réputé pour sa modestie. Aussi bien le site que son étrange « comité de soutien » vient de créer pour riposter à la « médiocre tentative de déstabilisation » dont il se dit victime (en réalité, l’enquête publiée début avril par J.A. sur sa gestion) et pour soutenir sa candidature à sa propre succession à la tête de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), s’intitule en toute humilité lhommeindispensable.com. On peut ainsi lire sur ce portail, le troisième du genre entièrement consacré à louer les vertus hors normes du patron de la Cemac (avec antoinentsimi.com et cemac2012.com), qu’« un certain nombre d’ennemis intérieurs au Cameroun, mais aussi de détracteurs historiques centrafricains et plus largement d’ennemis de la Cemac » tenteraient « un coup de force » pour le bouter hors d’une institution qu’il préside avec une rigueur exemplaire. Ce « groupement odieux » (sic) aurait donc fait publier des « pièces comptables imaginaires » dans « un petit journal » – évidemment rémunéré pour la tâche – dans le but d’intoxiquer l’opinion. Mais que l’on se rassure : face aux « gazouillis d’une certaine presse partisane », l’homme indispensable « affiche le plus simple mépris » et plus que jamais « concentre toute son énergie à son travail ».
Affolement
Serein, Antoine Ntsimi ? Rien n’est moins sûr. Outre que la théorie du complot exposée ci-dessus dénote une évidente fébrilité, pour ne pas dire un certain affolement, le président de la Commission et ex-ministre camerounais des Finances, karatéka émérite, semble surtout soucieux de multiplier les contre-feux.
Cascade de prélèvements en espèces, Conseil des ministres fictif…
Aux chefs d’État des pays membres de la Cemac, il explique ainsi que tout le mal vient de l’un d’entre eux, le Centrafricain François Bozizé, à qui, en gestionnaire sourcilleux des deniers communautaires, il aurait refusé un important prêt et qui, depuis, aurait juré sa perte, au point de le faire refouler de Bangui le 21 mars dernier. Avec les journalistes camerounais, tout au moins ceux d’entre eux qui se montrent sensibles à sa bienveillance1, il joue de la corde nationaliste : pays leader de la zone Cemac, le Cameroun ne saurait céder le fauteuil de président de la Commission qu’il détient sans discontinuer depuis quarante-sept ans et surtout pas au profit d’un ressortissant du pays le plus pauvre de la région. Quant à Jeune Afrique, enfin, ce « petit journal » qui semble lui causer tout de même beaucoup de soucis et lui prendre beaucoup de son temps, Antoine Ntsimi parle de « financements obscurs » versés pour le dénigrer. L’objectif de cette ligne de défense hasardeuse est assez élémentaire : le débat doit porter sur tout sauf sur l’essentiel, à savoir la gestion de cette institution communautaire, laquelle n’a encore jamais été auditée. Des multiples dysfonctionnements révélés par J.A. (cascade de prélèvements en espèces, location d’avions à des tarifs exorbitants, « caisses d’avances » non justifiées, acte additionnel faisant référence à un Conseil des ministres qui ne s’est jamais tenu, etc.), aucun n’est démenti, pas même commenté – et pour cause : tout est hélas exact. Seule une facture de l’hôtel Méridien Étoile de Paris concernant une réception à laquelle aurait participé, le 14 février 2012, le directeur général de l’Agence française de développement, Dov Zerah, fait l’objet d’une mise au point. On le comprend : non seulement Dov Zerah a démenti sa présence à cette réception, mais il a décidé de porter plainte et a commis pour cela l’un des ténors du barreau parisien, Pierre Haïk.
Sur le site Cemac 2012, on peut donc lire depuis une dizaine de jours qu’Antoine Ntsimi « dément catégoriquement l’authenticité » de cette facture, dont ni lui ni ses services « n’ont eu connaissance ». Antoine Ntsimi, il faut le reconnaître, a raison sur un point : il s’agit là vraisemblablement d’une fausse facture. Reste à savoir qui l’a établie et surtout pourquoi Roger Faustin Ndzana, homme de confiance et bras droit de Ntsimi depuis l’époque où ce dernier était ministre des Finances (et actuel représentant adjoint de la Cemac à Yaoundé), l’a fait régulariser avec l’aval explicite du président de la Commission. J.A. s’est en effet procuré la fiche de dépenses engagées, le mandat de paiement et l’avis de crédit correspondant au centime près à cette fameuse facture du Méridien (13 079 783 F CFA, soit 19 940 euros), lesquels ont été visés le même jour, 29 février 2012, par le contrôleur financier de la Cemac, l’Équato-Guinéen Pablo Alogo, autre proche du président de la Commission.
Vertige
Si l’on en croit ces trois documents, la facture en question est intervenue comme justificatif dans le cadre de la régularisation partielle d’une caisse d’avance retirée (en liquide comme toujours) par M. Ndzana le 9 février. Le motif figure en toutes lettres : « réception ». Est-il besoin de commenter ?
Les fausses factures de l’hôtel Méridien? Une goutte d’eau dans un marécage d’opacité.
Significative, l’affaire du Méridien n’en est pas moins anecdotique au regard de ce qui apparaît comme un marécage d’opacité inexplorée. J.A. a ainsi en main une décision remontant à mars 2011, visée et tamponnée par le même Pablo Alogo, contrôleur financier de la Cemac, aux termes de laquelle Antoine Ntsimi s’accorde à lui-même une « avance de solde au titre du régime indemnitaire de cessation d’activité » – en d’autres termes, un parachute doré – d’un montant de 400 100 000 F CFA (610 687 euros). Somme déductible du milliard de F CFA de son solde de tout compte, détaillé dans un acte additionnel en date du 25 février 2011. Rien d’anormal à cela, même si les chiffres donnent un peu le vertige, si ce n’est que chercher à percevoir ses indemnités de départ tout en s’employant à rester en poste pose un évident problème de cohérence juridique et morale. C’est ce qui s’appelle vouloir le beurre et l’argent du beurre2… Antoine Ntsimi a-t-il encaissé cet argent ? À tout le moins, la question devrait lui être posée, tout comme il serait intéressant de connaître les détails des marchés qu’il a conclus au nom de la Cemac, de gré à gré, avec diverses sociétés privées. Le groupe camerounais Ketch, par exemple : 530 millions de F CFA pour de menus travaux d’urgence au siège de la Cemac avant le sommet de Bangui en janvier 2010, ou encore le cabinet sénégalais Performances Management Consulting, pour un montant beaucoup plus important, dans le cadre de diverses consultations sur les réformes de la communauté et le recrutement de personnels par internet – la plupart des recrutés ayant été in fine refoulés de la Cemac à leur arrivée à Bangui, pour procédures non conformes.
Billetterie
Autre étrangeté, le protocole d’accord conclu début 2008 entre Antoine Ntsimi lui-même et une agence de Douala, Camship Voyages, dont le responsable n’est autre que le maire de Douala 1er, Jean-Jacques Lengue Malapa. Depuis, cette agence dont le compte à la Citibank de Douala est le même que celui de la Camship Investment Corporation, société de financement du groupe mixte Camship que dirige l’homme d’affaires René Mbayen, bénéficie d’une quasi-exclusivité sur les voyages du staff de la Cemac, à commencer par ceux du président de la Commission lui-même. Et cela rapporte : 58 millions de F CFA en billetterie, rien que pour les cinq premières semaines de 2012, si l’on en croit les factures que s’est procurées J.A., dont 50 millions concernent les voyages du seul Antoine Ntsimi et de son épouse.
Ntsimi a-t-il touché des indemnités de départ? Si oui, comment peut-il prétendre rester?
Il faudrait éplucher cinq années de comptabilité, de retraits multiples en espèces et de « système Ntsimi », mais qui le fera ? « Au siège, à Bangui, tout le monde a peur de lui, et ses affidés verrouillent la machine », confie un cadre de la Commission. Ordonnateur suprême des crédits de la Cemac, Ntsimi a placé un proche, le Camerounais Léopold Woguia, au poste de directeur administratif et financier. Sa belle-soeur, Jeanne Eda Boula, dirige le service des achats, et sa nièce, Malaika Ndoumbe Ngollo, ainsi que le fidèle Ndzana veillent sur le bureau de la Cemac à Yaoundé, véritable plaque tournante des multiples remboursements et avances dont bénéficie la présidence de la Commission.
Gardes du corps
Il existe certes en théorie des organes de contrôle de la Cemac (cour des comptes, cour de justice, Parlement), ainsi qu’un comité inter-États de douze membres – nommés pour trois ans, mais dont la plupart siègent depuis plus de dix ans – chargé de l’examen des dossiers soumis aux chefs d’État. Mais l’influence, voire le contrôle qu’exerce Antoine Ntsimi sur l’ensemble de cet appareil est efficace. Sur les nombreux cadres de la Cemac rencontrés au cours de notre enquête, aucun n’a ainsi accepté d’être nommément cité.
Il faudrait éplucher cinq années de comptabilité, mais qui le fera?
Mercredi 25 avril, Antoine Ntsimi est finalement revenu à Bangui, un mois après en avoir été éconduit. Entouré, comme d’habitude, de ses gardes du corps – d’anciens gendarmes camerounais recrutés comme « experts chargés de la sécurité » -, le président de la Commission s’est fait plutôt discret. « Il a même serré les mains de ses employés, ce qui ne lui arrivait plus depuis longtemps », murmure un témoin. Le président Bozizé, qui ne souhaitait plus le revoir chez lui, s’est finalement laissé convaincre par ses pairs – en particulier le président en exercice de la Cemac, Denis Sassou Nguesso. Il faut bien en effet qu’Antoine Ntsimi regagne le siège de la Commission si l’on veut que le prochain sommet des chefs d’État, prévu pour dans une poignée de semaines à Brazzaville, puisse être préparé. À titre additionnel, les six patrons de la région ont fait savoir à Antoine Ntsimi qu’il allait être entendu sur son propre bilan à la tête de l’institution – sans que l’on sache encore très bien s’il aura ou non valeur de testament. Quoi qu’il en soit, ce bilan n’aura guère d’intérêt et assez peu de valeur s’il n’est pas vérifié et complété par un audit indépendant, c’est-à-dire non régional, sur la gestion de toutes les instances de la Cemac. Ce qui a été fait pour la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) se doit de l’être pour la Cemac. Nul ne doit plus pouvoir s’affranchir des règles de la bonne gouvernance, fût-il un homme « indispensable ».
1. A contrario, on relèvera le travail professionnel du journaliste Beaugas-Orain Djoyum, du quotidien Le Jour, qui a enquêté auprès de la Beac pour vérifier – avant de valider – l’authenticité des documents comptables publiés par J.A.
2. Signalons à titre de repère qu’Antoine Ntsimi, dès son arrivée à la tête de la Cemac, en 2007, a exigé et obtenu que son salaire soit multiplié par deux et aligné sur celui du gouverneur de la Beac. Ses émoluments nets, indemnités comprises, sont aujourd’hui de 21,7 millions de F CFA (33 000 euros) par mois, auxquels il convient d’ajouter le logement de fonction, les véhicules, personnels, agents de sécurité, frais divers, etc., intégralement pris en charge par la Cemac.
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