Musique : la chasse aux trésors

Tombé sous le charme de la musique africaine des années 1960 à 1980, le journaliste Florent Mazzoleni aimerait monter un Buena Vista Social Club en Afrique francophone. Première étape, le Burkina Faso.

Georges Ouédraogo avec le groupe Les Élites du Faso, à Ouagadougou, le 21 janvier. © Lucas-Flechet

Georges Ouédraogo avec le groupe Les Élites du Faso, à Ouagadougou, le 21 janvier. © Lucas-Flechet

Publié le 26 avril 2012 Lecture : 4 minutes.

Dans la salle de concert de l’Institut français de Ouagadougou, le public a quitté depuis longtemps ses sièges pour danser le long des travées. À 64 ans, Jean-Claude Bamogo met le feu sur scène avec son déhanché à la James Brown et ses râles de vieux lion. Dans son costume un peu trop large, le papy burkinabè, surnommé Man, interprète son Pananki Pananzoé (« Je ne mourrai pas, je ne fuirai pas »), un tube que ses compatriotes n’ont jamais cessé d’aimer. En cette soirée du 21 janvier, les Ouagalais auront aussi droit au jerk de To Finley, autre sexagénaire traînant pourtant la patte. Ils auront surtout vu une dernière fois Georges Ouédraogo, alias le Gandaogo national (« Celui qui ose », en mooré), un autre héros de l’âge d’or de l’afro-funk, qui s’est éteint douze jours plus tard.

En tout, ce sont neuf vieilles gloires nationales qui ont repris leurs tubes des années 1970 et 1980 à l’occasion de la sortie du livre-CD Burkina Faso, musiques modernes voltaïques. Son auteur : le Bordelais Florent Mazzoleni, 38 ans, un grand voyageur aimant remonter le temps. Ce journaliste-écrivain, ex-collaborateur des magazines Les Inrockuptibles et Vibrations, sillonne le continent depuis huit ans à la recherche des anciennes stars de la musique africaine. « J’ai découvert Ali Farka Touré en 2004 au Mali, avoue-t-il. Ce fut une révélation et le début d’une longue histoire. » Le mélomane va alors enchaîner une vingtaine de déplacements, du Sénégal à l’Angola. Il y rencontre des artistes, réalise des interviews, lit tout ce qu’il trouve (essentiellement des ouvrages en anglais), récupère des vieux disques sur les marchés, prend des photos, achète timbres et drapeaux. Résultat : un premier ouvrage, L’Épopée de la musique africaine, sorti en 2008.

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Grands noms

Le voyage initiatique prend progressivement des allures de vocation. Mazzoleni part à la découverte des grands orchestres africains, de l’African Jazz de l’ex-Zaïre aux Super Eagles de Gambie, en passant par le Tout-Puissant Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou. Afro Pop raconte l’épopée de ces groupes, leur naissance, leurs influences, leurs engagements politiques. On y retrouve les grands noms de la musique africaine : Salif Keita, Youssou Ndour, Bonga, Cesaria Evora, Fela Kuti, Manu Dibango, Miriam Makeba, Orchestra Baobab… Mazzoleni y décrit les différentes sonorités, des chansons traditionnelles aux formations à l’occidentale avec guitares électriques, ainsi que les nombreuses influences perceptibles à travers le corpus de chaque groupe : rock, pop, rhythm and blues, funk…

Bénéficiant du concours du Centre national du livre en France, il enchaîne sur deux longues périodes d’investigation au Mali et au Burkina. « La base de mon travail, c’est la collection de vinyles, précise-t-il. J’y exploite tous les indices pour retrouver les producteurs, les disquaires, propriétaires de clubs, photographes et artistes encore en vie. » Des mois d’enquête sur le terrain, qui peuvent le mener dans les plus petits villages. Au Mali, Mazzoleni a retrouvé les grandes formations des années 1970, comme les Ambassadeurs, le Rail Band et l’inimitable Super Biton de Ségou, avec son cocktail explosif de chansons épiques interprétées avec des instruments traditionnels associés à des touches de salsa cubaine, de rumba congolaise et de jazz. De quoi réveiller les souvenirs vibrants de la vie nocturne dans les dancings et les compétitions culturelles dans des villes comme Bamako, Ségou ou Mopti.

Suite ghanéenne

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Le voeu de Mazzoleni ? « Trouver des sponsors pour monter un Buena Vista Social Club en Afrique francophone. On pourrait organiser une série de concerts dans les différents pays de la région », se plaît-il à rêver. Succès garanti ! La montée sur scène des vieilles gloires burkinabè confirme, si besoin était, que les jeunes cohabitent avec les anciens, qui, pour certains, possèdent encore de vieux vinyles dans leurs discothèques.

Après son voyage au Burkina en janvier dernier, Mazzoleni a déjà repris la route. Il est actuellement au Ghana, où il réalise un ouvrage sur la musique nationale avant d’enchaîner en fin d’année sur le même travail au Sénégal. « Je souhaite ensuite axer mes recherches sur le Bénin, le Congo-Brazzaville et la Côte d’Ivoire, où mon projet pourrait tout à fait rentrer dans le cadre des actions de réconciliation. Dans ce pays qui était une grande scène culturelle, plus de 200 disques sont sortis dans les années 1960 et 1970. L’un des premiers orchestres postindépendance, les Éléphants noirs, se produisait à Bouaké. »

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Patrimoine

En février dernier, l’Institut français de Ouagadougou présentait une série de photographies consacrées aux pionniers de la musique nationale. Régulièrement, le Bordelais expose en France les pochettes des vinyles de l’époque. Autant de souvenirs d’une période moins tumultueuse qu’aujourd’hui. Il organise aussi, à presque chacun de ses voyages, des conférences sur les musiques du continent… Qu’en pensent les artistes ? « C’est formidable de valoriser tout ce patrimoine culturel par l’écrit, l’image et le son », explique Idrissa Ouédraogo, connu comme l’Empereur Bissongo, qui a fait danser les Burkinabè dans les années 1970 avec son groupe Les Léopards de Bobo. « C’est agréable de retrouver la scène et de voir de tels spectacles », confesse-t-il. Une satisfaction en forme de remerciements pour Mazzoleni, qui avoue que « c’est parfois dur à organiser, il faut vaincre les réticences, gérer les ego et les cachets, même si, globalement, tout le monde y met du sien ». 

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