Agrobusiness : le continent décroche la palme

Pour les industriels asiatiques et européens, l’heure est à la ruée vers les terres africaines. Le palmier à huile peut être une chance, à condition que développement rural ne rime pas avec menace environnementale.

SIFCA produit 300000 tonnes d’huile par an avec ses plantations en Côte d’Ivoire et au Liberia. © Olivier pour J.A

SIFCA produit 300000 tonnes d’huile par an avec ses plantations en Côte d’Ivoire et au Liberia. © Olivier pour J.A

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© Vincent Fournier pour JA ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 2 mai 2012 Lecture : 6 minutes.

Plus de 4,5 milliards d’euros entre 2009 et 2011 ! L’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont devenues, en l’espace de quelques années, les destinations phare des investissements étrangers dans le palmier à huile. Rien qu’au Liberia, les deux premiers producteurs mondiaux, le malaisien Sime Darby et l’indonésien Golden Agri-Resources, se sont engagés à injecter quelque 3,6 milliards d’euros pour développer près de 450 000 hectares de cet oléagineux. Le premier compte investir 2,4 milliards d’euros dans une concession d’environ 220 000 ha, et le second 1,2 milliard d’euros pour une superficie à peu près identique.

Le singapourien Olam, très présent sur le continent (il est notamment actionnaire, avec son compatriote Wilmar, de l’ivoirien Sifca, actif dans l’huile de palme en Côte d’Ivoire et au Liberia), a réussi à sécuriser près de 300 000 ha au Gabon. Son objectif est de produire à terme plus de 1 million de tonnes d’huile de palme par an et faire de ce pays le premier producteur africain à l’horizon 2020, devant le Nigeria (900 000 t). Le groupe asiatique ne compte pas s’arrêter là. « Nous sommes en discussion avec des investisseurs actifs au Liberia, au Cameroun, au Congo, en Zambie, en RD Congo et dans quelques autres pays où l’huile de palme est un élément essentiel de la nutrition », précise Ranveer Chauhan, directeur général Afrique d’Olam.

Producteur encore marginal, l’Afrique pourrait profiter de la croissance de la demande mondiale.

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La ruée des investisseurs asiatiques vers l’Afrique s’explique notamment par le fait que l’Indonésie et la Malaisie (85 % de la production mondiale) ne recèlent plus assez de terres pour faire face à la demande d’un marché estimé aujourd’hui à près de 40 milliards d’euros par an. Une récente étude du groupe bancaire japonais Nomura estime à neuf ans le délai à l’issue duquel les mastodontes asiatiques ne disposeront plus de terres exploitables (2020 pour les Malaisiens, 2022 pour les Indonésiens). Par ailleurs, les autorités de ces pays, épinglées par les ONG environnementales, ont durci leur législation foncière, rendant l’accès aux terres plus difficile. Greenpeace rappelle que la culture du palmier à huile a entraîné la destruction de 28 millions d’hectares de forêt en Indonésie entre 1990 et 2007.

Une culture très rentable

Que ce soit au Cameroun, au Congo, en Angola, en Côte d’Ivoire, en Tanzanie ou au Mozambique, plus de 2,5 millions d’hectares sont déjà tombés dans l’escarcelle des agro-industriels avides de terres arables disponibles pour la culture – très rentable – du palmier à huile. « Aujourd’hui, un producteur gagne en net quelque 3 000 dollars [2 300 euros, NDLR] par hectare et par an », explique Alain Rival, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Entre 2000 et 2011, le prix de l’huile de palme a presque été multiplié par quatre. Cette tendance devrait se poursuivre dans les prochaines années, car la demande de cette matière première massivement utilisée dans l’agroalimentaire (chocolat, biscuits, huile de table), les cosmétiques et l’industrie énergétique (biocarburants) augmente en moyenne de 3 % par an.

La production mondiale, de 45 millions de tonnes par an (sur 133 millions de tonnes d’huiles alimentaires, soit 34 %), couvre à peine la demande actuelle. « Le marché est très tendu parce que l’offre ne suit pas la demande. Aujourd’hui, il n’y a plus de stocks d’huile de palme, c’est la première fois que cela arrive depuis plusieurs années », affirme Alain Rival. Avec ses 2 millions de tonnes annuelles, l’Afrique est encore un producteur marginal malgré son potentiel agricole, mais elle pourrait profiter largement de la croissance de la demande mondiale. Sa partie équatoriale et tropicale, qui, en plus d’un climat favorable, dispose d’une législation souple et de terres accessibles, propices à la culture de cet arbre, est la mieux placée.

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D’ici à 2020, la demande d’huile alimentaire devrait progresser de 28 millions de tonnes, et le palmier à huile reste le mieux adapté pour y répondre. Alors que recourir au soja nécessiterait 42 millions d’hectares, l’huile de palme n’en requiert que 6,3 millions. Auxquels s’ajoutent 5 millions d’hectares pour satisfaire la demande européenne et chinoise en biocarburant. Incités par la directive européenne selon laquelle les biocarburants doivent représenter 10 % de la consommation d’énergie dans les transports d’ici à 2020, les groupes occidentaux sont déjà présents en Afrique. L’italien ENI, premier producteur de pétrole sur le continent, s’est entendu avec le gouvernement angolais pour développer des plantations de palmier à huile. On le retrouve par ailleurs au Congo, où il a conclu un accord en 2009 pour 70 000 ha et où il prévoit d’investir 270 millions d’euros. Côté asiatique, l’opérateur télécoms chinois ZTE s’est lancé sur 100 000 ha en RD Congo via sa filiale ZTE Agribusiness Congo. Des Indiens et des Brésiliens sont aussi dans la course.

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Reste à savoir comment le continent va pouvoir profiter de l’arrivée massive d’investissements. Pour Ranveer Chauhan, « l’Afrique est un marché très important pour l’huile de palme. Elle en importe déjà 4,5 millions de tonnes par an ». « Le Kenya importe pour 140 millions de dollars par an d’huile alimentaire, c’est son deuxième poste d’importation », ajoute Mouhamadou Niang, directeur de la division agriculture de la Banque africaine de développement (BAD). Une hausse significative de la production pourrait ainsi permettre aux pays d’améliorer leur balance des échanges, quand les agro-industriels espèrent profiter à terme du milliard de consommateurs africains.

Levée de boucliers

Mais le plus important, selon Alain Rival, reste l’aspect « développement rural ». Le palmier à huile a favorisé, en Indonésie et en Malaisie, la naissance d’une classe moyenne qui n’existait pas dans les années 1980-1990. La Banque mondiale estime que, pour 1 % d’augmentation de la superficie des plantations, le taux de pauvreté des populations concernées baisse d’environ 0,2 %. Le secteur créerait en outre environ un emploi pour cinq hectares mis en culture : selon Sifca, leurs 44 000 ha de plantation génèrent ainsi 8 600 emplois directs et 35 000 indirects. Mais ce succès dépend aussi du rôle que jouent les pouvoirs publics dans l’encadrement et le développement de la filière : prises de participation, législation, contrôle…

L’effervescence autour du palmier à huile se confronte de fait à une levée de boucliers de la part des populations et des ONG. Nombreuses sont les critiques inhérentes aux contrats de location. Dernière polémique en date : celui signé par l’américain Herakles Farms au Cameroun. La société, également présente au Ghana, a obtenu un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans pour développer le palmier à huile sur 73 000 ha… pour 1 dollar par an et par hectare. « Il ne faut pas avoir une lecture parcellaire du projet », selon Mouhamadou Niang, qui explique que la BAD se penche actuellement sur un possible prêt pour ce programme. « Il faut tenir compte des retombées socio-économiques globales, poursuit-il. Quid des infrastructures de transport ? Des emplois créés ? De la fiscalité appliquée ? Des niveaux de compensation des populations déplacées ? »

Pour lui, les grands projets industriels ne sont pas incompatibles avec le développement, dès lors qu’ils impliquent en parallèle les petits exploitants et qu’ils respectent la norme RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil, qui prend en compte la portée environnementale et sociale des plantations). En revanche, biocarburants et cultures uniquement destinées à l’exportation sont à bannir. Même discours du côté de la Banque mondiale, qui a suspendu ses investissements dans le secteur depuis 2009. L’institution de Bretton Woods a publié le 31 mars un document stratégique dans lequel elle affirme ne plus financer « les projets dans l’huile de palme provoquant une trop grande déforestation » et soutenir « les initiatives qui encouragent la production sur des terres dégradées et qui chercheront à améliorer la productivité des plantations existantes ». Les États ont donc leur rôle à jouer. À eux de s’assurer du bon équilibre des contrats. 

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