Restauration : Lakhdar Belouazani, mieux qu’un Japonais

Installé dans l’archipel nippon depuis vingt ans, Lakhdar Belouazani, chef algérien, s’est imposé dans un milieu très fermé : celui des soba, ces nouilles de sarrasin très prisées.

Le restaurateur a su s’affirmer dans un domaine reservé aux cuisiniers nippons. © Jérémie Souteyrat

Le restaurateur a su s’affirmer dans un domaine reservé aux cuisiniers nippons. © Jérémie Souteyrat

Publié le 3 mai 2012 Lecture : 4 minutes.

Le regard en dit long. Quand Lakhdar Belouazani pose les yeux sur vous, vous pouvez percevoir toute la détermination et toute l’énergie qu’il a mises pour devenir l’un des grands maîtres des soba au Japon, le seul étranger reconnu par une profession peu encline à l’ouverture. « C’est une question de coeur », explique le cuisinier de 49 ans, qui a dû attendre de nombreuses années avant d’être accepté. « Ça fait dix-neuf ans que j’ai ouvert ce restaurant. Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour gagner la confiance des gens », ajoute-t-il. Il a d’abord dû se faire accepter dans le quartier. « Au début, c’était très difficile. Comme mes voisins, je balayais devant mon restaurant. On se disait bonjour et c’était tout. J’avais l’air d’un intrus. Les premiers temps ont été très durs. Toute cette retenue à mon égard était difficile à supporter. Mais j’ai fini par comprendre que cela faisait partie de mon apprentissage. J’avais beau être marié à une Japonaise et avoir deux enfants scolarisés dans le quartier, je devais faire mes preuves. Et ça, on n’y parvient qu’avec la patience », assure-t-il. Lui qui a travaillé de nombreuses années avec des Japonais en France sait de quoi il parle. « Je suis né en Algérie, mais j’ai été éduqué en France. Après des petits boulots, j’ai fini par intégrer un restaurant japonais à Paris. C’est là que j’ai rencontré ma femme et appris les bases de la cuisine nippone », poursuit le patron du Kabura-an.

Si on a un bon coeur, les soba seront bons.

Reste que la reconnaissance sur le plan culinaire a aussi été longue à obtenir. C’est peut-être parce que les nouilles de sarrasin appartiennent à leur tradition et à leur quotidien que les Japonais se sont montrés si réticents à son égard. Pourtant, la fabrication des soba semble très facile. De l’eau, un peu de sel et de la farine. Trois ingrédients communs dont le mélange exige pourtant un savoir-faire long à acquérir, lequel est déterminant pour se faire accepter auprès des consommateurs locaux. « Les Japonais mangent au moins une fois par jour des soba. Certains en mangent quotidiennement deux ou trois fois. Ils peuvent donc être très difficiles. On peut faire de bons soba, mais rater sa soupe. Dans ce cas-là, on sera mal jugé. C’est une question d’équilibre. Et pour trouver cet équilibre, il faut avoir fait le tour du Japon et goûté des centaines et des centaines de soba. Ça, je l’ai fait. Voilà pourquoi je fais aujourd’hui des soba bien meilleurs que ceux de nombreux Japonais. Encore une fois, c’est une question de coeur. Si on a un bon coeur, les soba seront bons », martèle Lakhdar Belouazani.

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La clientèle ne s’y trompe pas. Bien que son restaurant soit implanté à Kawasaki, à une bonne vingtaine de kilomètres au sud de Tokyo, au bout d’une rue commerçante située à proximité de la gare de Musashikosugi, le chef reçoit une clientèle diverse qui n’hésite pas à faire le déplacement pour goûter ses savoureux soba au yuzu, un cousin du citron vert. « J’ai mon site internet, et les médias ont pas mal parlé de moi ces dernières années », confirme-t-il. Mais le plus important, c’est le kuchikomi, le « bouche à oreille ». « Les gens veulent savoir où l’on mange de bons soba. Souvent, c’est le nom de mon restaurant qui est cité. Cela dit, j’essaie de rester discret », poursuit le restaurateur. On sent chez lui une profonde humilité et le désir d’apporter du plaisir à celles et ceux qui franchissent le pas de sa porte. « Mes clients ont de 5 à 90 ans. Ils sont contents d’être là. C’est le plus important pour moi. Je me fiche du reste, même du guide Michelin. J’ai une clientèle d’habitués. Il y en a qui viennent chaque semaine. Quand il m’arrive de passer à la télé, alors je ne les vois plus pendant deux ou trois semaines. Ils n’aiment pas la publicité. Ils craignent de perdre leur tranquillité. Ça fait partie de l’univers du soba. C’est un peu comme un rituel. Ils ont besoin de recueillement pour manger », souligne Lakhdar Belouazani, qui aimerait tout de même bien augmenter la fréquentation de son restaurant. Il fait entre 50 et 60 couverts par jour, mais « il [lui] arrive de n’en faire qu’une quinzaine ».

« Avec la crise, poursuit-il, les gens mangent moins au restaurant. Depuis cinq-six ans, c’est plus difficile. » Dans ce contexte, il n’envisage pas de se lancer dans de nouvelles activités au Japon. Il aimerait plutôt créer quelque chose en Algérie, son pays natal. Même si on le sent viscéralement attaché à son quartier, où il vit depuis près de vingt ans et s’est beaucoup investi. C’est dans ce quartier et grâce à lui qu’il a réussi à se faire accepter et reconnaître. Et si c’est parfois difficile, Lakhdar Belouazani garde la foi dans les soba. « C’est une question de coeur, répète-t-il. Un autre cuisinier peut disposer des mêmes ingrédients, il ne sera pas en mesure de réussir la même chose que moi, car dans chaque soba il y a une part de soi. » 

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