Pour la Russie, l’Afrique s’éloigne
Au temps de la guerre froide, la défunte URSS entretenait des relations idéologiques et économiques avec une partie de l’Afrique. Depuis, les rapports se sont distendus. Mais pas autant qu’on ne le dit parfois.
Difficile de dire, comme le font encore certains « spécialistes » des relations internationales, que les liens entre la Russie et l’Afrique sont quasi inexistants. Comment oser une telle affirmation alors que l’aïeul du plus grand poète de la Russie, le fondateur même de la langue russe, Alexandre Pouchkine, était un Africain ? Probablement originaire de la région du lac Tchad, comme l’a démontré l’historien Dieudonné Gnammankou dans un essai, Abraham Hanibal, l’aïeul noir de Pouchkine (Présence africaine), dont personne ne conteste plus les conclusions.
Plus idéologiques que culturelles, les relations que ces deux géants composites qu’étaient l’Union soviétique et l’Afrique ont laissé, plus de vingt ans après le morcellement de la première, des traces profondes, au moins sur le plan humain. « Soixante-dix mille Africains ont été diplômés des écoles supérieures de l’URSS », rappelle Alexeï Mikhaïlovitch Vassiliev dans une tribune donnée à Jeune Afrique à l’occasion de la célébration du cinquantième anniversaire de la création de l’Institut des études africaines, dont il assure la direction depuis deux décennies.
Créé sur ordre de Khrouchtchev à la suite, dit la légende, d’une rencontre avec W.E. Burghardt Du Bois, le célèbre militant (américain) de la cause noire, cet institut fut un des plus grands centres de recherches africaines du monde. Même si les moyens dont il dispose aujourd’hui ne sont plus ceux dont il bénéficiait à l’époque soviétique, il employait encore, lorsque je l’ai visité pour la dernière fois (en avril 2010), cent vingt chercheurs répartis en une quinzaine de laboratoires spécialisés (développement économique, sociologie, ethnologie, histoire, etc.).
Nouveaux alliés
Installé dans un somptueux palais de style vénitien construit peu avant la révolution par un aristocrate fortuné, l’institut fait partie de la très puissante Académie des sciences et continue d’exercer une certaine influence politique, puisque son directeur est, du fait même de ses fonctions, le « représentant personnel du président de la Russie auprès des chefs d’État africains ».
Comme l’Afrique ne passionne ni Poutine ni Medvedev – dont les voyages sur le continent ont été réduits au strict minimum -, ce n’est toutefois pas au Kremlin mais au ministère des Affaires étrangères qu’est théoriquement conçue et conduite la politique africaine de la Russie. Le département Afrique occupe un étage entier du ministère, situé place Smolensk, au coeur de Moscou, dans un des gratte-ciel voulus par Staline pour « concurrencer » New York. Un ministre adjoint, Alexandre Saltanov, supervise les divisions Afrique et Proche-Orient. Je suis reçu par le responsable des relations avec l’Afrique subsaharienne, Andreï Kemarski, qui, parfait lusophone, fut précédemment ambassadeur en Angola.
« À la différence des grandes puissances occidentales, explique-t-il, nous n’avons aucun passé colonial. Nos premiers vrais contacts avec le continent ne datent que de l’instauration du régime soviétique – qui a soutenu les mouvements anticolonialistes et accompagné les indépendances africaines. Du coup, nos relations ont d’abord été idéologiques – et c’est sur cette base qu’ont pu s’établir par la suite des relations économiques. Depuis la chute du communisme en Russie, nous essayons d’élargir le cercle en nous rapprochant de pays comme le Malawi ou la Côte d’Ivoire, avec lesquels nous n’avions jamais eu de relations. Nous sentons d’ailleurs une forte demande de la part des Africains eux-mêmes, ne serait-ce que pour contrebalancer le poids des anciennes puissances coloniales et, aujourd’hui, de la Chine. »
Disposant de ressources naturelles immenses, la Russie n’éprouve pas le même intérêt pour l’Afrique et ses matières premières que la Chine. Cela n’empêche pas les grandes compagnies pétrolière (Lukoil), gazière (Gazprom) et nucléaire (Rosatom) russes de multiplier les offres de services. Ni les sociétés minières d’y exploiter quelques juteux gisements : bauxite en Guinée et au Nigeria, nickel au Botswana, manganèse en Namibie et au Gabon, vanadium en Afrique du Sud, diamant en Angola, etc. Mais les « investissements » russes en Afrique noire restent dérisoires par rapport à ceux de la Chine : 4 milliards de dollars, contre 14 milliards (derniers chiffres connus, datant de 2008). Quant à la « coopération » militaire – en fait, la fourniture de matériel de guerre -, elle est difficilement chiffrable, les autorités russes préférant insister sur la participation de la Russie à des opérations de maintien de la paix, à la formation de policiers ou à la lutte contre la piraterie.
Echanges
La vérité est que la Russie a considérablement réduit la voilure soviétique. Si elle a noué de nouvelles relations avec quelques pays (prospection pétrolière en Côte d’Ivoire et au Ghana, par exemple), elle a en revanche fermé la plupart de ses centres culturels, à l’exception de trois ou quatre, et regroupé ses services diplomatiques dans une trentaine d’ambassades. « Nous avons par exemple rattaché à l’Angola celle que nous avions à São Tomé e Príncipe », reconnaît Andreï Kemarski, qui insiste néanmoins sur le fait que la Russie reste très attractive. « Il y a à Moscou plus de trente représentations diplomatiques africaines, et nous continuons d’attribuer plus de huit cents bourses d’études supérieures par an. Certes, nous ne sommes pas un pays donateur important, mais nous aidons au développement économique et social en contribuant de façon notable aux grands programmes des Nations unies – et en facilitant l’abolition de la dette des plus pauvres à l’égard de l’URSS : au cours des dix dernières années, nous avons ainsi renoncé à plus de 20 milliards de dollars de dettes. »
Un détail révélateur : la compagnie aérienne russe Aeroflot n’a conservé qu’une seule escale en Afrique du Nord (Le Caire) et une seule en Afrique subsaharienne (Luanda). Elle a, en revanche, établi une ligne régulière vers Nice-Côte d’Azur. C’est un assez bon indice des véritables centres d’intérêt des « nouveaux » Russes.
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* Journaliste, éditeur et écrivain. Dernier ouvrage paru : Le Pérégrin émerveillé, chez Actes Sud.
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