Soixante ans après le livre de René Dumont, l’Afrique reste à quai
Au lendemain des indépendances africaines, le pionnier français de l’écologie politique publiait un livre dans lequel il dressait un diagnostic sombre de l’avenir du continent. Six décennies plus tard, à bien des égards, ses conclusions demeurent d’actualité.
En 1962, l’agronome français René Dumont publie L’Afrique noire est mal partie. Si l’auteur est bienveillant, il délivre néanmoins un réquisitoire méthodique sévère sur l’Afrique subsaharienne, condamnée au sous-développement par ses élites. Dans son diagnostic, il déplore l’absence de politiques agricole et éducative, et dénonce le poids de la corruption et du népotisme qui érodent les ressorts de la prospérité.
Ses réflexions provoqueront un scandale, tant la voix de René Dumont est à contre-courant de l’euphorie post-coloniale dominante à l’époque, qui prédisait un avenir radieux au continent africain. Le débat sera tranché par la suite, les analyses de Dumont s’avérant prophétiques et, plus d’un demi-siècle plus tard, elles sonnent toujours aussi juste.
Potentiel étourdissant
La première partie de l’ouvrage est consacrée à l’agriculture, caractérisée aujourd’hui par le sous-investissement et l’inadéquation des systèmes. Les rendements pâtissent des moyens rudimentaires, la moitié des productions vivrières est perdue, le cacao, le café, le coton occupent des masses d’agriculteurs pour un maigre revenu qui les détournent pourtant de cultures indispensables pour l’assiette.
Si le continent détient la majorité des terres arables inexploitées du globe, le secteur agricole ne réalise pas les performances que l’on est en droit d’espérer de lui au regard de son potentiel étourdissant. Dans l’alimentation, le recours aux importations est prépondérant, pour une facture annuelle dépassant les 50 milliards de dollars. Un phénomène d’autant plus surprenant que la région, en plus des terres, dispose d’une jeunesse abondante et désœuvrée.
La situation n’est guère plus réjouissante avec l’éducation, elle aussi dans le viseur de René Dumont. En dépit d’une démographie dynamique, les pays africains restent à la traîne. Selon les données de l’Unesco, près de 60 % des jeunes âgés de 15 à 17 ans ne sont pas scolarisés, et les chiffres de l’analphabétisme atteignent des proportions effrayantes. Sur les 10 pays ayant les taux les plus élevés au monde, 9 se trouvent en Afrique. Des statistiques aussi alarmantes que déprimantes, décuplées par les conflits armés et le désinvestissement dans l’éducation, perpétué par les autorités.
Objectifs irréalistes
La cohorte d’artisans des décennies perdues, pointée du doigt par Dumont, conserve des postes importants et il arrive que la présidence se transmette de père en fils. L’Afrique se distingue au palmarès des chefs d’État les plus vieux de la planète, leur renouvellement intervenant souvent de manière dramatique, imposé par un décès ou par l’armée. Les coups d’État qui avaient connu une légère accalmie de 1990 à 2010, réalisent un retour tonitruant en Afrique francophone, où on en dénombre une petite dizaine depuis 2020. Dans les différents baromètres, les fraudes électorales, le changement de constitution et la corruption tiennent toujours le haut du pavé.
En révélant avec brio tous ces handicaps, l’agronome prolifique avait un fil conducteur : la lutte contre la pauvreté. Sur ce plan, le constat est amer : tandis que la pauvreté a reculé dans le monde, elle a augmenté en Afrique. Le couperet tombe en 2018, quand la Banque mondiale déclare que « l’extrême pauvreté devient un problème essentiellement africain » et en 2021, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), estime finalement que les objectifs de développement durable (ODD) fixés en 2030 pour les pays moins avancés sont totalement irréalistes. L’histoire reste à écrire et ce chantier est loin d’être entamé.
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