Cameroun : Marafa et Inoni, plus dure est la chute…
L’un avait été secrétaire général de la présidence, l’autre Premier ministre du Cameroun. Tous deux se savaient menacés mais espéraient encore que le président Biya se souviendrait qu’ils avaient été de proches conseillers. Accusés de détournement de fonds, Marafa Hamidou Yaya et Ephraïm Inoni ont été arrêtés le 16 avril. Leurs noms sont venus s’ajouter à la longue liste des « victimes » de l’opération Épervier.
Prison centrale de Kondengui, à Yaoundé. Quartier 13, cellule 10. Ce 16 avril à midi, dans la chaleur poisseuse de la saison des pluies, Marafa Hamidou Yaya, 59 ans, est conduit à sa nouvelle adresse. À tout seigneur, tout honneur : le régisseur de la prison, Daniel Njeng, s’est lui-même chargé des formalités exigées par l’administration pénitentiaire. Avant Marafa, autrefois tout-puissant secrétaire général de la présidence, d’autres célébrités tombées dans les filets de l’opération Épervier avaient apprécié ce geste de courtoisie.
Pour autant, cela suffira-t-il à atténuer l’humiliation d’une arrestation en plein palais de justice ? La meurtrissure d’être houspillé par des gendarmes excités et peu amènes ? La gêne apparue lors du trajet, parcouru sirènes hurlantes, entre le tribunal et la prison ? Cela peut-il faire oublier la mine gourmande et le regard goguenard de ceux qui détestent les puissants, heureux d’assister à la chute de celui qui, longtemps, fut perçu comme un possible candidat à la succession de Paul Biya ? Probablement pas.
Au Cameroun, où les prix des aliments de base – maquereau, boeuf et bière notamment – augmentent sans cesse alors que les revenus des ménages stagnent, il fait bon haïr les gouvernants en disgrâce. Derrière les hauts murs du pénitencier, le notable peul, ancien conseiller spécial du chef de l’État, vingt ans ministre sans discontinuer, n’est plus qu’un numéro que le juge convoquera à sa convenance pour instruire un procès en « détournement de deniers publics en coaction et complicité ». Marafa vient à son tour de tomber à cause de l’achat avorté d’un Boeing destiné aux voyages du chef de l’État, soit l’affaire dite de l’Albatros.
Funeste journée pour celui qui était encore, jusqu’au 9 décembre dernier, l’incontournable ministre d’État chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Il se savait en sursis depuis son départ du gouvernement, mais gardait l’espoir, à l’instar de quatre autres secrétaires généraux de la présidence emprisonnés avant lui, que Biya ne le lâcherait pas. Espoir entretenu par le chef de l’État, qui a, comme si de rien n’était, continué d’associer ce baron du bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) à la vie du parti. Comment Marafa pouvait-il se considérer en disgrâce quand Paul Biya l’avait invité à la très sélective cérémonie des voeux du président de la République, en janvier dernier ? « Bonne année, monsieur le ministre d’État », lui avait-il souhaité entre petits fours et champagne.
Soupçonné d’avoir détourné 27 millions de dollars
À cette date pourtant, selon un des proches du président, Paul Biya avait déjà informé son conseiller juridique, Jean Foumane Akame, également secrétaire permanent du Conseil supérieur de la magistrature, qu’il était d’accord pour laisser le juge d’instruction embastiller Marafa. Dans cette affaire de l’Albatros, on leur reproche, à lui et à l’ancien patron de la Cameroon Airlines (Camair) Yves-Michel Fotso, incarcéré depuis décembre 2010, d’avoir agi de concert dans le détournement de 27 millions de dollars (20,5 millions d’euros).
Les autres grosses prises de l’Épervier
Titus Edzoa ex-secrétaire général de la présidence
Incarcéré le 3 juillet 1997
0, 0);">Alphonse Siyam Siwé ex-secrétaire général adjoint de la présidence
Incarcéré le 24 février 2006
Jean-Marie Atangana Mebara ex-secrétaire général de la présidence
Incarcéré le 1er août 2008
Urbain Olanguena Awono ex-ministre de la Santé publique
Incarcéré le 31 mars 2008
Polycarpe Abah Abah ex-ministre de l’Économie et des Finances
Incarcéré le 31 mars 2008
Premier ministre de 2004 à 2009, Ephraïm Inoni, 66 ans, est l’autre grosse prise de ce 16 avril. Arrivé à Kondengui deux heures après Marafa, il a été installé dans une cellule individuelle du quartier 14, récemment construit pour accueillir les célébrités. Poursuivi dans un autre volet de la même affaire, cet anglophone, ancien inspecter des régies financières formé à l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam) et qui officia pendant une décennie comme secrétaire général adjoint de la présidence, fut lui aussi un proche collaborateur de Paul Biya. « Je vous décharge de vos fonctions de Premier ministre, mais je souhaite que notre parti profite de votre disponibilité », lui avait dit le président avant le remaniement du 30 juin 2009.
Habituellement avare de marques d’affection, le président s’était montré bienveillant à l’égard de « Chief » Inoni à de multiples reprises. Selon un câble de l’ambassade américaine révélé par le site WikiLeaks, Paul Biya avait même justifié le fait que la justice camerounaise s’était peu intéressée à lui. « Les charges contre Inoni étaient minces, et, surtout, il n’avait pas beaucoup volé », avait écrit l’ambassadrice Janet Garvey après s’être entretenue avec le chef de l’État, le 4 février 2010.
Que reproche-t-on aujourd’hui à Inoni ? Pour le comprendre, il faut s’intéresser à la société britannique Aircraft Portfolio Management(APM). En2003, elle a été mandatée pour auditer les comptes de la Camair, dont l’un des avions vient d’être saisi à Paris. Ce faisant, APM s’est retrouvée à conseiller le gouvernement, notamment pour l’achat du fameux appareil présidentiel. C’est ainsi que quelques années plus tard, quand éclate le scandale Albatros, APM est à son tour mise en cause: son représentant au Cameroun, Hubert Otélé Essomba, est accusé d’avoir tenté de recouvrer pour son compte et celui de Jean-Marie Atangana Mebara les 27millions de dollars que Marafa et Fotso sont soupçonnés d’avoir détournés. Essomba est incarcéré depuis août 2008, et son procès est en cours.
Et Inoni dans tout cela ? En 2003, il est secrétaire général adjoint de la présidence. C’est lui qui recrute APM. Pour ne rien arranger, APM décide ensuite, sans le consulter, de le présenter comme le président de son conseil d’administration – fonction qu’Inoni a nié avoir assumée. Il a d’ailleurs demandé et obtenu de ne plus figurer dans l’organigramme de la société. Cela suffit-il pour le disculper ? Dans un premier temps, oui. Biya lui apporte un franc soutien, et Inoni se croit protégé. Il jure n’avoir rien à voir avec cette affaire d’avion, qui suscite la colère présidentielle, mais sait que la période est tempétueuse et décide de se faire oublier. Chef traditionnel au sein de l’ethnie bakwérie, il choisit de retourner à une vie de notable provincial, ne sortant que rarement de la propriété de Bakingili (Sud-Ouest), où il s’est retiré depuis que Philémon Yang lui a succédé à la primature. Au retour d’un voyage en Côte d’Ivoire en mai 2011, Paul Biya apprend que son ex-collaborateur réside à l’hôtel lorsqu’il séjourne à Yaoundé. Le président demande alors au ministre de l’Habitat d’octroyer un logement digne de son statut à l’ancien chef du gouvernement.
Une menace pour la stabilité du pays
Il y a quelques semaines, Paul Biya a encore eu un geste pour lui. Inoni, qui a commencé sa carrière à l’ambassade du Cameroun à Washington, avait effectué un séjour de un mois aux États-Unis, et c’est l’État qui avait pris en charge son billet. Aussi, quand il reçoit en avril la convocation du juge d’instruction, il saute dans son véhicule tout-terrain et déboule en toute confiance à Yaoundé. Il n’a rien vu venir, et « son arrestation l’a déconcerté », confie l’un de ses proches, pour qui « le dossier d’accusation est vide ».
L’urgence, selon le même familier, serait de retrouver une copie de l’arrêté présidentiel qui, en 2003, a mandaté Inoni pour recruter APM. Cela devrait l’exonérer de toute responsabilité personnelle, d’autant qu’il n’avait pas de fonction exécutive dans l’entreprise.
L’incertitude réside dans les implications politiques, réelles ou supposées, de ce procès au long cours. Une ordonnance de « disjonction » prise par le magistrat instructeur a permis de juger séparément les différents protagonistes. Jean-Marie Atangana Mebara attend le verdict de son affaire le 30 avril prochain. Hubert Otélé Essomba et JérômeMendouga en sont aux plaidoiries. Marafa et Inoni viennent tout juste d’atterrir en prison.
Les Camerounais s’inquiètent de ces arrestations successives qui pourraient menacer la stabilité d’un pays miné par les querelles ethniques et les déséquilibres sociaux, mais Paul Biya se montre intraitable, quitte à s’aliéner à la fois les anglophones et le Grand Nord. Il n’a pas oublié qu’en avril 2004 l’appareil présidentiel de location qui devait les emmener à Paris, lui et sa famille, avait subi une avarie au décollage à Yaoundé. De cet incident, le chef de l’État – qui depuis plusieurs mois tentait d’acheter un appareil neuf – tient ses anciens collaborateurs pour responsables.
Le 18 avril, le Conseil supérieur de la magistrature a nommé les magistrats du tout nouveau tribunal criminel spécial, notamment mis en place pour accélérer les procédures relatives à l’opération Épervier. Les nouveaux textes prévoient une procédure de « plaider coupable », qui permettrait une remise en liberté contre remboursement de tout ou partie des sommes détournées. Mais a-t-on jamais vu un homme politique ambitieux s’accuser de détournement de deniers publics afin de recouvrer la liberté? Jusque-là, non.
En attendant, Paul Biya continue de faire le vide autour de lui, écartant un à un les prétendants – réels ou supposés – à sa succession. La prison centrale de Kondengui, elle, ne cesse de se remplir…
Edzoa : la vie derrière les barreaux
En 1997, Titus Edzoa était le premier des proches collaborateurs de Paul Biya accusés de détournement de fonds publics : 350 millions de F CFA (plus de 530 000 euros) destinés à l’Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB) ; 61 milliards alloués au financement du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers (Copisur) et à l’organisation d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1996. Incarcéré depuis quinze ans pour la première affaire, l’ex-secrétaire général de la présidence comparaît depuis 2009 pour la seconde et risque d’être de nouveau condamné à quinze ans de détention en juin. Il vient de publier ses Méditations de prison aux éditions Karthala, préfacées par Odile Tobner, la veuve de l’écrivain Mongo Beti. Dans un mélange de prose et de poésie, il s’y dit en « séquestration politique », mais ne règle pas ses comptes. Il évoque notamment la vie en détention, derrière « ces murs glacés de cercueil en béton », et dit avoir « vacillé, tangué, sans honorer la chute attendue ». C.J-K.
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