Au centre de la peinture d’Omar Ba, des potentats excentriques et grotesques

Une belle monographie met à l’honneur l’œuvre de l’artiste sénégalais, qui fait jaillir du noir un incroyable bestiaire humain.

De g. à dr. : « Jungle-Junkie of War 1 » (2018) et « Water, Energy, Justice for All » (2022), œuvres du peintre sénégalais Omar Ba. © Montage JA; ADAGP Paris, 2022 Éditions Skira Paris, 2022, Templon, 2022

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 24 février 2023 Lecture : 4 minutes.

Lentement, mais sûrement, la situation s’améliore. Il y a quelques années encore, la seule littérature évoquant les artistes africains contemporains se trouvait dans des catalogues généralistes publiés pour accompagner de grandes expositions collectives, ou dans de vastes compilations unissant, sous la bannière africaine, des talents aussi divers que différents. Généralement, les éditeurs cherchaient à en avoir 54, afin qu’aucun pays du continent ne se sente lésé…

Signe que le monde évolue, depuis quelques années les éditeurs consentent enfin à s’intéresser à des itinéraires singuliers, avec des livres qui ne se contentent pas d’une ou deux images par artiste et qui contiennent des textes d’analyse, des références, des points de repère. On citera, pêle-mêle, le catalogue raisonné de l’œuvre du sculpteur sénégalais Ousmane Sow (éd. Le P’tit Jardin), le beau livre consacré à son compatriote Ndary Lo (Ndary Lo, le Démiurge, 5 Continents), les superbes albums présentant le travail du photographe ghanéen James Barnor (James Barnor Ever Young, Autograph ABP et Clémentine de la Ferronnière) et celui de sa consœur sud-africaine Zanele Muholi (Somnyama Ngonyama, salut à toi, lionne noire ! Delpire).

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Même si proposer au lecteur une plongée dans la diversité des pratiques artistiques n’a rien de répréhensible, on ne peut que se réjouir de voir des démarches singulières enfin présentées sous toutes leurs facettes.

De l’abstrait au figuratif

Aussi ouvre-t-on avec enthousiasme la monographie que les éditions Skira, avec la galerie Templon, consacrent à l’œuvre du Sénégalais Omar Ba. Plus de 200 pages richement illustrées, une impression soignée et des textes pointus sans être ésotériques permettent de découvrir ou de redécouvrir le travail de ce peintre né en 1977.

Promis à un avenir de mécanicien, Omar Ba a rejoint les Beaux-Arts de Dakar, dont il est sorti diplômé en 2002. Installé en Suisse en 2003, il y a poursuivi sa formation, d’abord à l’École supérieure des Beaux-Arts de Genève, puis à l’École cantonale d’art visuel du Valais, à Sierre. D’abord tenté par une approche abstraite, il s’est ensuite tourné vers une peinture figurative et narrative, qu’il explique par le besoin d’être mieux compris.

"Omar Ba", avec des textes de Simon Njami et de Juliette Singer, éd. Skira/Templon, 228 p., 39 euros. © Éditions Skira

"Omar Ba", avec des textes de Simon Njami et de Juliette Singer, éd. Skira/Templon, 228 p., 39 euros. © Éditions Skira

Le commissaire d’exposition helvético-camerounais Simon Njami, qui signe l’un des deux textes du livre, raconte : « Omar Ba débarque en Suisse en n’ayant jamais pratiqué qu’une peinture abstraite (à l’exception d’une sculpture à la fin de ses études au Sénégal), qui tentait de saisir la vie de la nature et des plantes. Il lui apparaît clairement que son langage n’est pas audible et doit se couler dans une stratégie qui lui permette de toucher ces êtres dont il ignore tout. Le besoin de communiquer a toujours été inhérent à ses productions, et communiquer signifie être capable d’atteindre l’autre, par-delà les barrières linguistiques et culturelles. La forme de figuration qu’il va développer, dans laquelle la nature demeure cependant omniprésente, est le langage qui lui semblera le plus approprié à ses desseins […]. »

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Le noir des origines

Comme son compatriote Soly Cissé, mais pour des raisons différentes, Omar Ba va commencer à peindre à partir du noir. Au sens le plus littéral du terme : il part, non de la feuille blanche, mais du carton ou de la toile noirs pour faire jaillir les couleurs et élaborer un bestiaire d’humains dans des œuvres où l’animal, le végétal, le minéral s’hybrident sans limites.

"The Real Life/ Puppet life"(2017), d'Omar Ba. © Montage JA; ADAGP Paris, 2022 Éditions Skira Paris, 2022, Templon, 2022

"The Real Life/ Puppet life"(2017), d'Omar Ba. © Montage JA; ADAGP Paris, 2022 Éditions Skira Paris, 2022, Templon, 2022

« Désormais, c’est du noir que tout sourd, écrit encore Simon Njami. C’est à partir de la page noire que se nourrit sa palette. Le noir n’est plus symbole d’obscurité, mais de lumière. […] Ba également produit son propre arc-en-ciel, et la lumière blanche du soleil n’est plus. Et la couleur, les couleurs, sont le fruit de ce phénomène alchimique que crée l’artiste pour, sans démonstration outrancière, contester la vérité établie (nécessairement occidentale) qui condamne le noir à une malédiction dont plus personne ne se rappelle l’origine. »

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Militaires et dignitaires

Les personnages qu’Omar Ba extrait du noir, touche après touche, point par point, ont souvent un corps humain et une tête d’animal. Leurs vêtements sont parfois couverts de plumes ou de poils, leur environnement est envahi de végétaux luxuriants, le bleu, le rouge et le blanc palpitent d’une vie propre, se nourrissant du terreau noir d’où ils puisent toute leur force.

Qui sont ces personnages ? Chacun y reconnaîtra les siens, sans doute, mais Juliette Singer, conservatrice du patrimoine, propose sa propre interprétation : « Parmi les héros de ces “contes peints animés”, de grands personnages hybrides, incarnant la notion de pouvoir, reviennent fréquemment. Ils portent des costumes de militaires ou de dignitaires sur un corps humain, cependant que leur faciès est celui d’un animal : hyène hurlante (Félin, 2013), faucon, à la façon d’un Horus égyptien tout droit sorti de l’ère des pharaons noirs de la Grande Égypte (At the beginning of Life : Copy or Likeness, 2019), ou autres dogues (Plateforme de la confiance – richesse, pillage à huis clos 1, 2016) ».

Potentats africains

Hypnotiques, fourmillantes, les œuvres d’Omar Ba questionnent le monde moderne – impossible de ne pas remarquer les costumes contemporains, les armes, les sneakers, les lunettes de soleil… – et posent un diagnostic politique. « En y ajoutant une notion plus dramatique par l’emploi d’une certaine forme de grotesque, Ba dépeint des potentats africains en personnages grotesques, poursuit Simon Njami. Mais le grotesque, et nous en serons tous d’accord, n’est pas l’apanage du continent noir ; son application est universelle. […] Parce que notre monde est entièrement grotesque et que ces personnages, cette faune et cette flore qui se manifestent d’une manière excentrique ne sont pas seulement africains, mais concernent tous les coins de la planète. L’Afrique deviendrait ainsi une métaphore des défis qu’il nous reste à relever : la démocratie, l’écologie, le vivre-ensemble, l’acceptation de l’altérité. »

Omar Ba, avec des textes de Simon Njami et de Juliette Singer, éd. Skira/Templon, 228 pages, 39 euros.

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