De quoi l’assassinat de Martinez Zogo est-il le nom ?
L’onde de choc provoquée par l’assassinat du journaliste n’en finit pas de se propager à Yaoundé. Une affaire qui pourrait menacer la cohésion de la nation camerounaise.
Affaire Martinez Zogo, le crime qui secoue le Cameroun
Depuis la disparition du directeur de la radio Amplitude FM, le pays est en ébullition. L’enquête lancée après la découverte de son corps n’en finit pas de provoquer des répercussions à Yaoundé.
La cause est entendue : la liquidation crapuleuse de Martinez Zogo, journaliste en croisade contre la pandémie de corruption au sommet du pouvoir camerounais, s’inscrit dans le cadre de la « guerre des clans » entre prétendants à la succession du président Paul Biya. D’une certaine façon, les responsabilités seraient donc déjà établies. Resterait à trouver les coupables.
Cela tombe bien : un peuple d’ordinaire sevré de « justice » réclame, bave aux lèvres, des têtes: #JusticeForZogo. Un pouvoir d’ordinaire épris d’injustice brûle d’impatience de les offrir. L’enquête, plus administrative que judiciaire, autorise toutes les transgressions et manipulations, certes, mais si c’est pour aboutir à la mise à mort sociale du fameux Jean-Pierre Amougou Belinga, homme de paille honni des masses, alors l’opération sera in fine un succès politique : demande populaire de « justice » satisfaite ; médias internationaux, dont l’attention incommode fortement un régime allergique à la lumière, rassurés ; once de légitimité retrouvée auprès d’un peuple désorienté. Mais qui peut croire cette affaire si simple ?
« Choc » et «colère »
Les médias locaux ont fait état du « choc » et de la « colère » ressentis par les Camerounais devant la découverte de la dépouille de Martinez Zogo. Mais le sentiment qui domine dans les esprits est la peur. Ce n’est pas tant la mort d’un homme, dont les Camerounais sont malheureusement coutumiers, qui a heurté les consciences, mais les circonstances dans lesquelles celle-ci a été provoquée. Jambe brisée. Doigts coupés. Rectum défoncé, et autres abominations. La sœur aînée de la victime s’est émue de l’inhumanité de cet acte : « Même à ton pire ennemi, tu ne peux faire ça… »
Si l’on s’en tient aux premiers éléments de l’enquête distillés par des fuites savamment orchestrées, le journaliste aurait été assassiné par des professionnels. C’est donc en toute conscience qu’ils ont décidé de torturer leur victime, de la mutiler, mais surtout de laisser sa dépouille en « libre accès ». Elle devait être découverte, le victime, identifiée. Comme si l’acte en lui-même, pour atroce qu’il soit, était incomplet aux yeux des commanditaires en l’absence de publicité. Comme si celle-ci, par l’effet de sidération qu’elle produirait sur les esprits, donnerait son plein sens à ce crime.
D’une certaine façon, Martinez Zogo ne serait pas vraiment mort sans le spectacle macabre de son exécution. Les assassins du journaliste et, derrière eux, les donneurs d’ordre, avaient pour objectif de provoquer la terreur. Martinez Zogo a été victime d’un acte terroriste.
Loin d’être une exception, la déshumanisation à laquelle faisait allusion la sœur aînée de Martinez Zogo tend à devenir la norme. Et une nécessité. Certaines réactions de journalistes ont pu surprendre, tant ces derniers semblaient découvrir, à la faveur de ce crime abominable, la nature de l’État camerounais.
Un État engagé depuis sept ans, dans les régions anglophones, dans une guerre contre-insurrectionnelle, avec son cortège d’atrocités, d’abominations et de crimes contre des civils – certes commis des deux côtés. Ces villages incendiés, ces exécutions sommaires, ces actes de torture, ces abus quotidiens ont bien suscité quelques remous au sein du corps social. Mais rien de nature à ébranler les ardeurs du régime.
Légendaire fatalisme
Dans le sillage de l’élection présidentielle de 2018, nous avons assisté au pilonnage en règle d’un parti coupable de faire de la politique : leaders séquestrés et embastillés sans autre forme de procès ; militants et sympathisants, dont de nombreux jeunes, pourchassés, persécutés, et parfois poussés à l’exil. Des actes terrifiants que le corps social camerounais a, une nouvelle fois, absorbé dans son légendaire fatalisme. Et la vie a repris son cours inexorable. Mais à quel prix ?
Chaque silence légitime la transgression suivante – et la montée en gamme dans la violence qui l’accompagne. Chaque lâcheté ouvre la voie à la prochaine escalade, dans un engrenage qui n’épargnera personne. La mort de Martinez Zogo, après d’innombrables autres évènements, pose la question de la responsabilité collective du peuple dans le chaos qui vient. Elle nous tend un miroir qui nous montre nos compromissions, nos égoïsmes, notre déshonneur. Coupables ? Non. Responsables ? Assurément.
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