Massinissa, roi du premier État berbère unifié
Aidé par Massinissa, Rome parvient à venir à bout de Carthage. Dès lors, le prince berbère monte sur le trône et règne sur toute la Numidie. Mais ses ambitions démesurées et ses conquêtes territoriales ne tardent pas à inquiéter les sénateurs romains.
Les royaumes berbères (3/4). Cette fois, la messe est dite : Carthage a perdu la guerre contre Rome. La lourde défaite du général Hasdrubal, à Zama, signe la fin de plusieurs années d’âpres combats. À ce propos, l’historien grec Polybe écrit : « Il est des jours où le hasard se plaît à contrarier les desseins des gens habiles ; il en est aussi où, selon le proverbe, un homme de valeur en rencontre un autre qui vaut mieux que lui : Hannibal en fit l’expérience ». La victoire de Scipion, en tout cas, « scelle le destin de Rome en Afrique », pour reprendre l’expression de l’archéologue André Berthier.
En -201 avant è.c., l’Empire punique conclut un accord de paix avec les Romains, ou plutôt un « traité d’humiliation ». Les Carthaginois sont contraints d’abandonner leurs ports et leurs possessions en Espagne ainsi qu’aux Baléares, de céder leur flotte, et sont condamnés à payer un tribut de 10 000 talents (la monnaie romaine) pendant cinquante ans à l’Empire romain. Carthage est désormais pieds et mains liés : quasiment démilitarisée, elle ne peut plus engager de guerre sans l’accord préalable du Sénat romain, ce qui revient à perdre sa souveraineté.
Polybe évoque une autre clause du traité selon laquelle « les Carthaginois conserveraient en Afrique les villes qu’ils possédaient en 218 av. J.-C. Ils rendraient à Massinissa les maisons, les terres, les villes et tout ce qui avait appartenu soit à ce roi, soit à ses ancêtres, jusqu’aux frontières qui leur seraient assignées.” Une clause pour le moins obscure, que Massinissa utilisera maintes et maintes fois afin de revendiquer un certain nombre de territoires. L’arbitrage romain tranchera d’ailleurs très souvent en sa faveur.
L’Afrique aux Africains
Et pour cause, la loyauté et les indéniables qualités de guerrier du nouveau roi Massinissa lui valent les faveurs de Rome. Ainsi, en plus d’avoir recouvré son royaume massyle, cela lui permet de s’adjoindre celui des Massaesyles. Le souverain règne donc sur le tout premier État berbère unifié d’Afrique du nord. Mais ce n’est jamais assez. Tout au long de ses cinquante années de règne, Massinissa n’aura de cesse de vouloir agrandir son royaume, à l’est et au sud-est, en terres carthaginoises.
Dès l’application du traité de Zama, il s’empare de Sicca et de Théveste. En -162/-161, il conquiert la région des Emporia et des Grandes Plaines, puis de la Thusca, en -153/-152, et tente même de prendre la cité d’Oroscopa en -150, ce qui provoquera la troisième guerre punique.
La doctrine et le slogan politique de Massinissa ? “L’Afrique aux Africains”. Ce qui fait sans doute de lui “le premier panafricain” de l’histoire du continent, estime le diplomate gabonais Auguste Ngomo.
Le souverain est également marqué par le souvenir et le vœu de son père, Gaïa. Durant son enfance, Massinissa a été envoyé à Carthage afin de recevoir une solide instruction. Son père nourrissait l’espoir que son fils, biberonné aux idées de cette grande puissance, revienne au royaume massyle avec un esprit moderne et innovant. Car, sous le règne de Gaïa, et sans doute depuis bien plus longtemps, “le temps s’était immobilisé pour les Numides, la coutume s’était figée, le pouvoir était tombé aux mains des radoteurs et des vieillards séniles, capables que de rabâcher les mêmes interdits”, comme l’écrit avec sévérité la romancière Marie-France Briselance. Le souhait de Gaïa aura été entendu : en un demi-siècle de règne, le roi Massinissa va changer la face de la Numidie.
Boom économique en Numidie
« Au deuxième siècle et même au milieu du premier, écrivait l’historien Stéphane Gsell, la Numidie fit plus de progrès sous ses rois que la province sous le gouvernement de la République romaine”. Massinissa, inspiré par Carthage, a donné l’impulsion en commençant par instaurer la paix et la stabilité politique en Numidie. Pour ce faire, il contraint la majorité des populations berbères nomades à se sédentariser. Comment ? En développant de façon spectaculaire l’agriculture, à travers un système de grands domaines royaux capables de produire à très grande échelle le blé et la vigne, importée par les Phéniciens, mais aussi l’ivoire de Gétulie, extrêmement célèbre dans l’Antiquité. La Numidie devient le “grenier à blé” de Rome, de la Grèce et de ses îles.
Massinissa ayant fait de généreux dons de céréales aux habitants de l’île sacrée de Délos, frappés par la famine, ceux-ci érigent plusieurs statues afin de rendre hommage à Massinissa et à ses fils non loin d’un temple dédié à Apollon. La Numidie entretient d’ailleurs de profondes relations économiques, culturelles et artistiques avec le monde hellénistique, si bien que, dès le début du règne de Massinissa, une importante colonie grecque s’installe à Cirta, la capitale du royaume.
L’intérêt des Romains semble exiger que la Numidie reste un état secondaire
Vaste, fertile, productif, ouvert au commerce international, le royaume numide devient riche. La monnaie battue par Massinissa inonde l’ensemble du territoire, au point de faire péricliter le système de troc en vigueur jusqu’alors. Les villes s’agrandissent, à commencer par Cirta, mais également Madauros, Thubursicu, Thibilis ou encore Thagaste.
Delenda est Carthago
En -150, Massinissa a 90 ans et est père d’une quarantaine d’enfants, dont un petit dernier de quatre ans, mais reste, dit la légende, infatigable. Plus souvent occupé à chevaucher par monts et par vaux qu’à profiter de son somptueux palais, il a un nouvel objectif en ligne de mire : la cité carthaginoise d’Oroscopa, dont il compte s’arroger le territoire. Mais les temps ont changé. Rabaissée, diminuée par sa défaite, Carthage n’a pas dit son dernier mot. Depuis -191, grâce à sa fibre commerçante, elle a pansé ses plaies et payé en une fois sa dette à Rome, ce qui lui a permis de s’émanciper d’une trop lourde tutelle.
Au Nord de la Méditerranée, on observe avec circonspection le nouvel affrontement qui se prépare . “L’intérêt des Romains semble exiger que la Numidie reste un état secondaire, explique Stéphane Gsell. Ils ne voulaient pas qu’elle eût pour capitale une ville très peuplée, très riche, foyer d’une civilisation, gardienne du passage entre les deux bassins de la Méditerranée”. Pourtant, Rome a laissé Massinissa bâtir un royaume colossal, “depuis la frontière de la Cyrénaïque, au fond de la grande Syrte, jusqu’à la Maurétanie”.
Mais, cette fois, le souverain berbère devient gênant. Menaçant, car trop puissant. “Le moyen le plus simple, et le plus sûr, d’arracher Carthage aux convoitises de Massinissa et de ses successeurs, était de la détruire”, estime l’archéologue André Berthier. Une idée machiavélique, tout droit sortie de l’esprit d’un député romain, Caton, envoyé sur place en -150 pour servir d’arbitre entre Massinissa et les Carthaginois. Impressionné par la résilience et la prospérité de Carthage, il n’aura de cesse, une fois rentré à Rome, de conclure chacune de ses prises de paroles devant le Sénat par la célèbre et funeste formule “Delenda est Carthago”. C’est-à-dire « Carthage doit être détruite ». En -149, le Capitole romain décrète la troisième guerre punique.
Le testament surprise
Résiliente mais pas aussi puissante que Rome, Carthage propose d’abord de “parlementer” et remet même son armement aux consuls romains, en vain. “Elle se résolut par désespoir à la lutte suprême”, écrit André Berthier. Contre toute attente, les Carthaginois, toujours menés par de grands généraux tels que Hasdrubal, résistent avec pugnacité. Les Romains sont donc contraints d’entamer un long et douloureux blocus. Ils sollicitent du renfort auprès de Massinissa, qui se contente d’une réponse évasive. Le souverain berbère n’a aucune envie que son travail de conquête acharné ne tombe tout cuit dans le bec des Romains.
Pire encore : en -148, Massinissa tombe gravement malade. Depuis son palais de Cirta, il réclame une entrevue avec Scipion Émilien, le petit-fils de Scipion, celui à qui il doit en partie son royaume. L’objet de la discussion est d’évoquer la succession du grand roi de Numidie, mais elle n’aura jamais lieu : lorsque Scipion Emilien rallie enfin Cirta, Massinissa est mort depuis trois jours déjà. Néanmoins, le roi berbère a eu le temps d’écrire son testament. Et, comme souvent, lorsque l’héritage est dévoilé, il provoque l’étonnement, si ce n’est l’incompréhension. Le souverain confie l’avenir de son royaume à Rome. La Numidie devient de facto un État vassal de l’Empire romain, qui a désormais les coudées franches pour amorcer sa politique de colonisation de l’Afrique du nord.
Devenue puissance tutélaire, Rome met sur pied un pouvoir collégial réparti entre trois fils de Massinissa : l’Administration pour Micipsa, les Affaires judiciaires pour Mastanabal et l’Armée pour Gulussa. Quelques années plus tard, après la mort de ses deux frères, Micipsa dirige seul le royaume pour le compte des Romains. Ces derniers l’obligent à adopter l’un de ses neveux, orphelin. Il s’agit du prince Jugurtha, que l’historien Akram B. Elyas décrit comme “parfaitement romanisé, proche de la jeunesse romaine et valeureux guerrier”.
Micipsa, qui se méfie au plus haut point de ce jeune ambitieux, l’envoie guerroyer en Espagne auprès de Scipion Émilien, occupé à soumettre les Ibères rebelles. Mais Rome a d’autres plans pour Jugurtha…
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