De la négritude à l’africanité (suite)

La première édition du Festival du livre africain de Marrakech (Flam) s’est tenue du 9 février au 12 février dernier. L’occasion de découvrir les talents littéraires du continent et d’en célébrer la diversité.

Le Festival du livre africain de Marrakech (FLAM) s’est tenu du 9 au 12 février 2023. © FLAM

Fawzia Zouria

Publié le 19 février 2023 Lecture : 3 minutes.

Il n’y a pas si longtemps, je défendais ici même l’idée d’une « africanité » qui signerait le recentrage des Africains du nord et du sud sur le cœur du continent et leur ferait reprendre conscience non seulement de leurs racines communes mais aussi de l’urgence à conjuguer leur avenir. Et voilà que j’ai l’impression de voir se réaliser mon rêve, de voir mon appel trouver écho, à la faveur du Festival des littératures d’Afrique de Marrakech (Flam), qui s’est tenu du 9 février au 12 février dernier.

Nous nous sommes retrouvés entre écrivains du continent et ce fut d’abord un festival de langues, de couleurs de peau et de costumes, de parcours spécifiques et pourtant puisés dans les mêmes référents culturels, de voix différentes et pourtant si proches. Et les organisateurs ont eu l’intelligence d’éviter l’entre-soi.

la suite après cette publicité

Imaginaires d’emprunt

Car il y avait aussi là les descendants lointains venus des Caraïbes dire leur lien avec la terre mère. De sorte qu’on a pu suivre le bel échange entre la Sénégalaise Ken Bugul – qui racontait comment, dans les années 1970, Martiniquais et Africains se détestaient –, le Haïtien Makenzy Orcel – à qui on serinait à Port-au-Prince que l’Afrique était synonyme de laideur et d’échec – et Rodney Saint-Éloi, qui relatait que, en Haïti où il est né, on lui a toujours dit que son corps africain ne correspondait pas aux critères de beauté et qu’il lui fallait en changer…

Au centre des débats, bien sûr, la question de l’éloignement et de l’indifférence entre Afrique du nord et Afrique subsaharienne. « Vous êtes pourtant issus du même continent ! » s’est étonnée une journaliste parisienne. C’est que, Madame, lui a-t-on expliqué, le nord et le sud se tournent le dos depuis très longtemps. C’est que les Arabes ont rarement pensé l’Afrique, ils l’ont plutôt séparée. C’est qu’il  y a eu l’esclavage et la colonisation, qui n’a rien entrepris pour un rapprochement réel ; il y a eu les mauvaises stratégies politiques et les racistes de tous bords, qui ont fabriqué de fausses frontières et des imaginaires d’emprunt.

Il y a les malentendus, les a priori et les tabous qui existent malgré une mémoire partagée. Voyez-vous, Madame, il était temps de revenir sur les dossiers du passé colonial, des indépendances ratées, des combats pour la liberté ou de l’émigration qui frappe comme un fléau le continent, le vidant de ses compétences et sa jeunesse. « Et qu’allez-vous faire maintenant ? » a interrogé la journaliste dans sa candeur nordique. « Eh bien, nous venons de poser les questions qui fâchent et c’est déjà beaucoup. »

Recoudre le continent

Et pour construire une Afrique réconciliée avec elle-même, nous allons rappeler les liens historiques et les métissages, les influences culturelles et confessionnelles, envisager les horizons à ouvrir pour nos enfants aux sein même du continent et prêcher l’égalité entre les sexes, puisqu’aucun pays, aucun continent, ne peut prétendre au progrès en discriminant la moitié de sa population. « Et après ? a interrogé la journaliste, toujours aussi sceptique, ce n’est pas la littérature qui va trouver les solutions ? Que peuvent les livres face au réel ? » Ils peuvent, Madame, ils peuvent.

la suite après cette publicité

Car la littérature, avons-nous répondu en concert, se joue des murs et des dichotomies, des centres et des périphéries. Elle nomme les maux pour les guérir, refonde les bases et édifie les ponts. Oui, il s’agit pour les auteurs africains que nous sommes de recoudre le continent par le fil de la phrase et de jeter la base d’un projet qui pourrait s’appeler les États-Unis d’Afrique. Il reviendra aux politiques avisés de réaliser ce projet, fut-il perçu aujourd’hui comme une « utopie ». Pour le moment, seul le Maroc semble ouvrir cette page d’africanité en déployant une action politique chevillée à une donne culturelle. Appelons le reste de l’Afrique à suivre cet exemple.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Enfants métis du Rwanda et post-colonialisme

Contenus partenaires