Kaïs Saïed fait expulser une responsable des syndicats européens venue soutenir l’UGTT

Parce qu’elle a publiquement soutenu les manifestants et accusé le président de s’en prendre aux organisations représentatives des travailleurs, la responsable de la plus importante confédération syndicale européenne, Esther Lynch, a été expulsée de Tunisie. Un pas de plus dans le bras de fer entre Kaïs Saïed et l’UGTT.

Le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi a reçu la responsable de la Confédération européenne des syndicats, Esther Lynch, à Tunis, le 18 février 2023. © Facebook UGTT

Publié le 20 février 2023 Lecture : 3 minutes.

Entre l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) et le président Kaïs Saïed, rien ne va plus. Sur le fond la situation n’a pas changé, mais dans les faits l’escalade est notable. Dernier incident en date : la secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), Esther Lynch, a été jugée persona non grata par la présidence, qui a ordonné son expulsion, suite à sa prise de parole lors d’une manifestation organisée à Sfax, le 18 février 2023.

Exprimant la solidarité de 45 millions de travailleurs européens avec l’UGTT, qui est en crise ouverte avec l’exécutif, Lynch y a déclaré que « toute attaque faite à l’encontre d’un syndicat aura une influence sur tous les organismes concernés. Les syndicats font partie de la solution et non pas du problème ». Avant de s’adresser directement au pouvoir : « Négociez mais n’attaquez pas ! Respectez les travailleurs, respectez le travail qu’ils font et respectez leur représentant légitime, l’UGTT ! » Puis de conclure : « Je suis ici en Tunisie pour dire au président Saïed : le monde entier voit ce que vous faites, arrêtez immédiatement vos attaques contre les syndicats. »

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Série de manifestations

Des propos jugés inconsidérés et vus comme une ingérence extérieure dans les affaires du pays. Déjà excédée par les initiatives de la centrale syndicale tunisienne, la présidence a donc rapidement publié un communiqué invitant la responsable européenne à quitter le territoire tunisien dans les 24 heures pour cause d’atteinte à la souveraineté du pays.

« Une décision qui n’honore pas la Tunisie », commente Sami Tahri, secrétaire général adjoint de l’UGTT. Laquelle va pouvoir profiter de l’incident pour donner une dimension internationale à son bras de fer avec Kaïs Saïed. Quant au président, il peut à nouveau brandir l’argument populiste de la souveraineté et de l’ingérence étrangère, devenu récurrent dans son discours. Un argument alimenté par les rumeurs évoquant régulièrement des suspicions de complot, qui trouvent un écho auprès d’une opinion qui estime que les Tunisiens sont incompris et maintenus dans une position de vassalité par les puissances étrangères.

Dans l’immédiat, l’incident impliquant Esther Lynch occulte quelque peu la série de manifestations organisées dans toutes les régions du pays selon un calendrier annoncé fin janvier, et qui doit se conclure à Tunis le 11 mars. Des rassemblements lors desquels la centrale donne de la voix sur ses revendications essentielles : rejet des conditions requises par le Fonds monétaire international (FMI) pour l’octroi à la Tunisie d’un prêt de 1,9 milliard de dollars, refus notamment de la levée des subventions sur les produits de base et l’énergie, et application impérative par le gouvernement des accords issus des négociations sociales des années précédentes.

Deux nouvelles cibles

Entre un ton qui se durcit et une situation qui se sclérose, le différend actuel entre Kaïs Saïed et l’UGTT n’est pas sans rappeler celui qui avait opposé le président à Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée et du parti Ennahdha, jusqu’à la prise en main de tous les pouvoirs le 25 juillet 2021. Après avoir éliminé l’instance qui lutte contre la corruption puis celle en charge de la constitutionnalité des lois, mis à l’écart les partis, rendu inaudible la société civile et effectué une refonte du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Kaïs Saïed a maintenant deux nouvelles cibles : la centrale syndicale, qui résiste aux attaques et montre que son ancrage historique est solide, et les médias, qui ne cèdent pas aux pressions exercées pour limiter la liberté d’expression.

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Face aux journalistes, le récent décret 54 qui veut faire la chasse aux fausses informations dont il fait un cas d’atteinte à la sûreté de l’État est régulièrement utilisé. Certains patrons de média, comme Nizar Bahloul de Business News, ou des journalistes ont déjà été entendus dans ce contexte. Quant aux syndicats, ils sont aussi mis sous pression même si le droit de grève et la liberté d’expression restent protégés par la constitution. Plusieurs militants du syndicat des transports ont été arrêtés suite à la grève sectorielle qui a gêné le trafic autoroutier, fin janvier.

Un bras de fer mené sur deux fronts, auquel on peut ajouter une série de gardes à vue de personnalités accusées d’atteinte à la sûreté nationale et la révocation de nombreux magistrats, qui n’ont toujours pas été réintégrés malgré la décision en ce sens du tribunal administratif, mais aussi le conflit avec les avocats : 14 d’entre eux devant toujours être entendus pour avoir assailli le poste de police de Menzel Jemil (Nord) après l’arrestation rocambolesque du dirigeant d’Ennahdha, Noureddine Bhiri fin décembre 2021.

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