Bienvenue dans l’ère de l’industrie de la désinformation

Les marchands de mort sociale ont désormais pignon sur rue. Il suffit de frapper à leur porte, ils se chargent de ruiner la réputation d’un concurrent, de discréditer un adversaire politique ou de fausser le résultat d’une élection tout en proposant maints autres menus services clandestins dont personne n’ira jamais se vanter.

Un agent de sécurité devant une affiche électorale en faveur de Bola Tinubu, le leader du Congrès des progressistes (APC), le 18 février 2023, en amont des élections présidentielles prévus au Nigeria le 25 février. Private security stands next to an election poster for All Progressive Congress (APC) leader, Bola Tinubu in Lagos on February 18, 2023, ahead of the Nigerian presidential election scheduled for February 25, 2023. © JOHN WESSELS/AFP

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  • Georges Dougueli

    Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Publié le 5 mars 2023 Lecture : 3 minutes.

Ces entités interlopes, qui ont fait de la désinformation un métier, prétendent faire du lobbyisme et de l’influence. Doux euphémismes pour qualifier ces activités effleurant les limites de la criminalité. Oh, ne soyons pas naïfs ! On soupçonnait déjà que certaines puissances géopolitiques profitaient d’internet pour tenter de déstabiliser des régimes ennemis ou des formations hostiles. On savait que la Russie, notamment, abritait des usines à trolls pour diffuser à jet continu des fake news en vue, entre autres, de faire basculer des élections présidentielles ou le référendum sur l’appartenance du Royaume uni à l’Union européenne.

La fabrique du mensonge

Mais on a appris, le 15 février dernier, grâce au travail remarquable du consortium de journalistes Forbidden Stories, que la fabrique du mensonge était passée à une échelle industrielle. Les journalistes de ce collectif, qui se sont fait passer pour des clients potentiels, ont découvert que ces manipulateurs agissaient au moyen d’une armée cybernétique comptant des dizaines de milliers de faux comptes disséminés sur les différentes plateformes. Avatars plus vrais que nature, ils martèlent à la commande des messages destinés à susciter ou faire basculer des opinions dans le sens souhaité par les clients.

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Et ces clients peuvent être privés ou même publics. Selon une étude produite en 2022 par l’université d’Oxford, 81 pays ont recours à des sociétés privées pour produire de la désinformation. Les usines à fake news tournent à plein régime et étendent leurs activités notamment sur le continent africain. Ce dernier est même devenue une cible privilégiée : selon les enquêteurs du consortium, le responsable de l’une de ces officines leur a confié être intervenu dans 33 campagnes électorales « au niveau présidentiel […]. Les deux tiers ont eu lieu en Afrique. Et 27 ont été un succès ».

Face à cette menace d’un nouveau genre, de nombreux pays, au rang desquels la France, légifèrent sur la question afin de réglementer plus fermement la circulation des informations sur les réseaux sociaux. Qu’en est-il du continent, alors que l’une de ces entités clandestines, surnommée Team Jorge par les journalistes du consortium, a reconnu s’être impliquée dans la campagne électorale au Nigeria en 2015, au Sénégal en 2019 ?

Moyens de pression

Pourtant les États, notamment africains, ne semblent pas prendre la juste mesure de la situation. Certes, certains estiment que les bienfaits de la liberté d’internet sont supérieurs à ses inconvénients. C’est un espace public élargi, caractérisé par une culture du débat, qui peut susciter un engagement politique en particulier chez les jeunes et, ce faisant, participe d’un ancrage de la démocratie.

D’autres s’inquiètent de laisser cet espace en dehors de toute régulation, d’autant que, ces dernières années, plusieurs scrutins ont été le théâtre de phénomènes manipulatoires liés à la désinformation. Au regard de l’enquête de Forbidden Stories, il n’y a plus à hésiter. Il est urgent de se donner les moyens de freiner la nuisance de ces manipulateurs.

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Pour commencer, il faudrait réfléchir aux moyens de pression que les États africains – avec le concours des pays développés – peuvent déployer pour obliger les plateformes à mettre en place des outils destinés à lutter contre les faux comptes et à limiter la diffusion des contenus mensongers. Il faut également doter les régulateurs nationaux de moyens humains et techniques capables d’identifier et de circonvenir les campagnes animées par de faux profils lorsque ceux-ci publient des informations orientées avec pour but d’influencer les opinions. Certes, cela est plus facile à écrire qu’à faire. Il faut néanmoins essayer. Il en va de la stabilité de nos démocraties en construction.

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