Liban : mon oncle d’Afrique

Riches, exploiteurs, oisifs… L’image des expatriés libanais installés sur le continent obéit encore à de vieux stéréotypes très éloignés de la réalité.

La Terrasse à Abidjan, en Côte d’Ivoire, est un lieu de rendez-vous privilégié pour les Libanais © Nabil Zorkot

La Terrasse à Abidjan, en Côte d’Ivoire, est un lieu de rendez-vous privilégié pour les Libanais © Nabil Zorkot

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 26 avril 2012 Lecture : 3 minutes.

« Les Libanais d’Afrique ? Exploiteurs, riches, diamants, chiites », balance, en vrac, Raja, accoudé au comptoir du Torino, café intello-branché du centre de Beyrouth. « Ils sont fous d’argent, renchérit Gilles. Ils adorent aller faire fortune là-bas ! » Par un étrange jeu de miroirs, les clichés répandus dans le pays du Cèdre sur les Libanais d’Afrique évoquent furieusement les poncifs qui courent sous les baobabs sénégalais. Demandez à un petit boutiquier de la banlieue de Beyrouth comme à un col blanc de la rue des Banques ce que sont pour lui les Libanais d’Afrique, il répondra presque invariablement : « Des chiites coloniaux cousus de dollars mal acquis. » Se dessine alors le tableau, très fantasmagorique, de conquistadors enturbannés et sans scrupules partis vers des eldorados sauvages pour amasser des butins dont ils viennent faire étalage dans les boîtes de nuit bling-bling de la capitale libanaise. « Les gens n’ont aucune idée claire de la vie sur le continent, dont l’image est ici associée aux mines d’or », explique le présentateur de télévision Ricardo Karam.

Des stéréotypes en effet très éloignés de la réalité, mais qui s’enracinent dans les histoires vraies de générations poussées à l’exode par les famines et les guerres depuis plus de un siècle. Si les premières vagues de migrants ont surtout concerné des chrétiens de la montagne, les chiites, qui ont fui par milliers le sud du Liban pendant la guerre civile de 1975-1990, ont fini par constituer la communauté la plus importante de la diaspora établie en Afrique de l’Ouest. La majorité y a un niveau de vie moyen, mais d’autres ont connu de belles réussites, comme ce chef d’entreprise qui tient à rester anonyme. Fils d’un pêcheur chiite de Tyr, il est parti tenter sa chance en Côte d’Ivoire au début de la guerre civile. À la sueur de son front, l’autodidacte a fait au bord de l’Atlantique cette fortune jalousée sur les côtes libanaises. De passage à Beyrouth, il explique : « Les Libanais nous voient ici en vacances faire la fête et prendre du bon temps. Du coup, ils s’imaginent que nous vivons là-bas dans l’oisiveté et le luxe, sans concevoir le labeur qu’il y a derrière. »

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Epopée

Dans les régions d’émigration, le lointain continent est une réalité plus palpable que dans le centre de la capitale. Les orgueilleuses villas bâties dans les hameaux d’origine par les migrants enrichis n’échappent à l’attention de personne. « Les Libanais de Beyrouth ou de Tripoli, au nord, ressassent toujours les mêmes clichés, mais les chiites du Sud ou les chrétiens du haut Metn savent mieux ce qu’est la vie en Afrique », explique le journaliste Julien Abi Ramia. Celui-ci raconte la manifestation inédite de nombreuses familles montées à la capitale fin 2010 pour protester contre le ministre des Affaires étrangères, qui, en saluant l’investiture très contestée du président Laurent Gbagbo, avait menacé la sécurité de leurs proches en Côte d’Ivoire.

Pour les familles dont un membre a choisi l’odyssée, le cliché devient parfois conte de fées. On se souvient de l’aïeul qui a fui la famine ou la conscription ottomane en s’embarquant pour Marseille, d’où il pensait faire voile vers New York. Trompé par un voyagiste français acquis aux projets coloniaux, il était débarqué sur la côte africaine il fallait bien survivre, et finalement faire fortune. Un bourgeois fortuné de la banlieue de Beyrouth se rappelle ainsi l’épopée de son grand-père Kabalan, parti s’établir au Liberia en 1912. Faisant commerce de tout, il a rapidement prospéré. « Il vivait en concubinage avec une Libérienne. La fille qu’ils ont eue s’est mariée avec un certain M. Johnson, et l’enfant de cette union, Ellen Johnson, préside aujourd’hui le Liberia ! » affirme l’homme d’affaire, faisant fi des tabous féroces qui règnent au Liban sur les unions locales et souvent extraconjugales. Venu dans le pays du Cèdre à la tête d’une délégation d’affaires, un ancien ambassadeur de Côte d’Ivoire rappelait ceci : « Nous avons des Libanais dans chaque village, et ils sont parfaitement intégrés. Ils adoptent nos coutumes, nos langues et parfois même notre couleur ! »

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