Maroc : Mohammed VI-Benkirane, jours tranquilles à Rabat

Plus de trois mois après la nomination de son cabinet, le chef du gouvernement islamiste, Abdelilah Benkirane, est à l’épreuve du pouvoir, qu’il partage en bonne intelligence avec le roi Mohammed VI, en évitant soigneusement d’engager le moindre bras de fer.

Pour Abdelilah Benkirane (à g.), la relation avec le roi n’a rien de magique. © AFP

Pour Abdelilah Benkirane (à g.), la relation avec le roi n’a rien de magique. © AFP

Publié le 24 avril 2012 Lecture : 6 minutes.

« Avant, il n’y en avait que pour le roi. Le mettre en couverture suffisait à vendre n’importe quel journal. Aujourd’hui, je dispose d’un autre argument de vente : Benkirane », confie ce vendeur de journaux rbati, sourire en coin. Depuis quatre mois, les unes de la presse marocaine ne se lassent pas d’exhiber le portrait de l’actuel chef du gouvernement. Interviews politiques, portraits de famille, enquêtes… Le filon n’est pas près de s’épuiser. En réalité, les deux chefs de l’exécutif, Mohammed VI et Abdelilah Benkirane, occupent en alternance les devantures des kiosques.

Comme une conséquence des réformes constitutionnelles, le roi a la cote, mais il n’est plus le seul. Le chef du gouvernement l’a bien compris. Il semble d’ailleurs avoir trouvé une recette pour capter l’attention des journalistes et de leurs lecteurs, en livrant le récit de ses rencontres avec le monarque et en égrenant les conseils qu’il dit écouter scrupuleusement. « Sa Majesté m’a téléphoné jeudi dernier [le 1er mars, NDLR]. Il m’a enjoint de respecter la Constitution et de rejeter les courriers du cabinet royal s’ils n’allaient pas dans ce sens », confiait Benkirane au quotidien Al-Massae. Pareils propos alimentent la chronique politique au Maroc.

Les deux chefs de l’exécutif font la une de la presse à tour de rôle.

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Derrière la bonhomie de façade, ces confidences distillent un savoir, encore très rudimentaire, des secrets du pouvoir partagé par le monarque et le chef du gouvernement. Jusque-là, à Rabat, les responsables appliquaient scrupuleusement la maxime chère aux initiés : « Ceux qui savent ne parlent pas. Ceux qui parlent ne savent pas. »

Salamalecs

La transparence affichée, mise en scène, est l’atout charme de ce gouvernement et de son chef. Pour Abdelilah Benkirane, la relation avec le roi n’a rien de magique. La réforme constitutionnelle a mis un terme à la sacralité du monarque avec l’article 46, lequel rappelle néanmoins : « La personne du roi est inviolable, et respect lui est dû. » Cette déférence à l’égard du souverain est bien là, palpable à chaque occasion, mais les « islamistes du roi » sont de plus en plus à l’aise dans cette proximité nouvelle avec le Palais. Dans sa première interview à la chaîne de télévision publique, le chef du gouvernement expliquait avoir un peu bafouillé lors de la première audience royale, le 29 novembre, à Midelt, au cours de laquelle le roi l’a nommé et chargé de former une équipe gouvernementale. « Quand je l’ai rencontré, il m’a parlé et je l’ai écouté. Je lui ai répondu une fois en l’appelant "Majesté", puis "Sidna" ["Monseigneur"], une autre fois "Sidi Mohammed". »

La gaucherie de ces salamalecs a été vaincue, mais pas la timidité admise, revendiquée même, par Abdelilah Benkirane, qui aime à rappeler qu’il n’avait jamais rencontré le roi avant sa nomination. Cette spontanéité semble d’ailleurs plaire au souverain. La compagnie de Benkirane et de ses ministres contribuerait à détendre le rythme compassé des réunions protocolaires. Le 8 février, lors de la visite d’État du président tunisien, Moncef Marzouki, les caméras ont surpris le roi et ses hôtes riant aux bons mots du chef du gouvernement. Un mois plus tard, l’audience royale accordée au ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’est déroulée en présence de son homologue marocain Saad Eddine El Othmani, ce dernier n’hésitant pas à intervenir dans la discussion, sous l’oeil bienveillant de Mohammed VI. « Le roi encourage ses ministres à prendre des initiatives », confirme une source gouvernementale.

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Trêve

Tout se passe comme si le gouvernement et le roi s’entendaient à merveille. Pas d’anicroche ni de guerre des communiqués comme dans une cohabitation classique. Dès qu’il le peut, Benkirane rappelle qu’il n’est « pas arrivé au pouvoir contre la volonté royale, mais pour gouverner en bonne intelligence avec elle ». Cette précision trahit l’obsession chez les cadres islamistes de faire oublier l’image de dangereux opposants qui leur a longtemps collé à la peau. Les résultats des législatives du 25 novembre 2011 ont consacré la percée du Parti de la justice et du développement (PJD), seule formation à avoir enregistré un score respectable (plus de 5 % dans un scrutin de liste à la proportionnelle) dans les 92 circonscriptions du pays. Même avec 107 sièges sur 395, les compagnons d’Abdelilah Benkirane continuent d’inspirer la méfiance, voire l’hostilité d’une partie des élites. Celles, bien sûr, qui n’ont pas voté PJD.

La nécessaire collaboration entre le roi et le gouvernement dépasse les susceptibilités personnelles.

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Longtemps, le Palais a été rangé dans la catégorie des islamo-sceptiques, si ce n’est pire. Avant d’être repêché par le roi, qui l’a nommé conseiller au sein de son cabinet le 7 décembre, Fouad Ali El Himma avait d’ailleurs pris la tête du courant « libéral » anti-PJD. Son Parti Authenticité et Modernité (PAM) n’est pas mort, réussissant, avec 47 sièges au Parlement, à conforter sa place dans l’opposition. Sa nomination a surpris une partie des observateurs, qui feignaient d’ignorer qu’El Himma n’avait jamais vraiment quitté le cercle restreint des visiteurs du soir. C’est donc naturellement qu’il a réintégré sa place de conseiller politique du roi. Après avoir eu tout le loisir de prendre le pouls du pays pendant les quatre années qu’a duré son coming out politique, d’août 2007 à mai 2011. Aujourd’hui, assure Benkirane, « Si Fouad » veut tourner la page de la guerre PAM-PJD.

Arbitrages

En réalité, la nécessaire collaboration entre le cabinet royal et le gouvernement élu dépasse les éventuelles susceptibilités personnelles. En renforçant son équipe de conseillers depuis l’été dernier, le roi a pris acte du nouvel équilibre institutionnel dessiné par la Constitution du 1er juillet 2011. Mohammed VI voulait disposer d’une équipe de conseillers solides, capables pour chacun de parler « dossiers » avec son vis-à-vis du gouvernement. S’ajoutant à cinq conseillers historiques, en place depuis une dizaine d’années, une série de nominations se sont succédé dès l’été 2011 : d’abord le « père de la Constitution », Abdeltif Menouni, et l’ancien ambassadeur à Paris, El Mostapha Sahel. Puis, coup sur coup, l’ex-président de la Commission consultative de la régionalisation (CCR) Omar Azziman, l’ancien ministre du Tourisme Yassir Zenagui et Fouad Ali El Himma sont venus grossir les rangs d’un véritable « shadow cabinet ».

Onzième homme de la royal team, Taïeb Fassi Fihri a rejoint le cabinet la veille de la nomination de l’équipe Benkirane. Il apparaît clairement comme le conseiller diplomatique du chef de l’État, une pratique courante dans des régimes présidentiels, mais inédite au Maroc. Dans le cas de Fassi Fihri, il s’agit à la fois d’assurer une continuité avec son successeur, l’islamiste El Othmani, et de le « cornaquer » dans ses premiers pas sur la scène internationale. El Himma s’occuperait, de par sa position centrale, d’affaires politiques et de presse. Tandis que Yassir Zenagui, avec son expertise financière, serait l’homme des grands chantiers. Une spécialisation des tâches qui correspond aux multiples arbitrages à trouver entre gouvernement élu et shadow cabinet.

Légitimité

À Rabat, le visiteur qui pénètre dans l’enceinte du Méchouar [la cité royale] par Bab Assoufara remarque, au bout d’une longue allée ombragée, un portail majestueux. Des berlines noires attendent devant, prêtes à démarrer au quart de tour. En attendant, les chauffeurs, costumes noirs et chemises blanches, devisent tranquillement. Passé le portail, deux ailes se font face. Celle de droite conduit aux bureaux des conseillers royaux. On peut en croiser un, porte-documents vert à la main, discret et soucieux. À gauche, le large escalier mène directement aux bureaux de la présidence du gouvernement. Ainsi résumée, la disposition des murs et des pièces laisserait croire à une scénographie parfaitement huilée et calculée. Quelques mètres séparent les deux escaliers. Face à face, comme dans la vraie vie ? Sauf qu’à l’étage les deux mondes se rejoignent et communiquent. Comme une ruse de l’architecte.

Certes, les deux légitimités, celle issue des urnes et celle issue du roi, auraient tout aussi bien pu s’affronter et conduire le Maroc tout droit vers une crise majeure. Le projet de loi organique fixant la liste des nominations relevant du roi et celle dépendant du chef du gouvernement était d’ailleurs attendu comme un premier test. Mais l’épreuve de force a été rejetée par Abdelilah Benkirane, comme s’il voulait prolonger la lune de miel, le roi gardant la main sur les patrons des principaux établissements et entreprises publics. Cela lui a bien réussi pour l’heure. Au lendemain de sa nomination, un sondage réalisé du 2 au 5 décembre 2011 pour le magazine Actuel créditait le chef du gouvernement d’un indice de confiance de 82 %, du jamais vu au Maroc, où les sondages sont rares.

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