Sénégal : le grand chambardement façon Macky sall

Tout juste élu, Macky Sall a surpris en nommant Abdoul Mbaye, un technocrate, à la tête du gouvernement. Autour de lui, une équipe resserrée. Et un mot d’ordre : au travail !

Abdoul Mbaye, © AFP

Abdoul Mbaye, © AFP

Publié le 23 avril 2012 Lecture : 5 minutes.

La rumeur avait vu juste sur un point. Pour diriger son premier gouvernement, Macky Sall, le nouveau président sénégalais, a bien fait confiance à un technocrate. Mais l’heureux élu n’est pas de ceux dont les noms circulaient avec insistance dans les rédactions. Ce n’est ni Jacques Diouf, l’ex-« boss » de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ni Cheikh Tidiane Mbaye, le patron de la Société nationale des télécommunications (Sonatel). Quoiqu’avec ce dernier les observateurs n’étaient pas loin de la vérité, puisque c’est son frère aîné, Abdoul Mbaye, 59 ans, qui a eu les faveurs du tombeur d’Abdoulaye Wade.

Hormis quelques rares initiés, personne ne l’avait vu venir. Un proche du nouveau chef de l’État, qui a joué un rôle central durant la campagne électorale, l’admet : « Nous savions que Macky nommerait un technocrate, mais il a tellement verrouillé l’info qu’il nous était impossible de savoir qui ce serait. » Il y a dans le ton de ce témoin une pointe d’amertume, mais aussi beaucoup de respect. « Ça change de Wade, explique-t-il. Avant, on savait tout ce qui se disait en Conseil des ministres. Avec Macky, rien ne filtre. »

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Un gars sans histoires. Combien sont-ils, dans l’entourage du nouveau président, à savoir à quand remonte sa première rencontre avec ce banquier ? Très peu. C’est tout juste s’ils peuvent la dater au milieu de la dernière décennie, quand Sall occupait la primature (2004-2007). « Ce ne sont pas des intimes, ni même des amis, mais ils sont restés en contact », explique un proche du couple présidentiel. Combien sont-ils à pouvoir dire qui est celui qui fait le lien – un diplomate – entre les deux hommes ? Pas plus de deux ou trois. Dans un premier temps, le président avait pensé en faire son ministre de l’Économie et des Finances. « Mais au fil des consultations, il a changé d’avis », explique un conseiller.

C’est un technicien. Il sera au-dessus des contingences politiciennes.

Moubarack Lô, statiticien

Maintenant qu’ils sont au courant, tous les proches de Sall en conviennent, Abdoul Mbaye présente le profil idéal. « C’est un technicien qui n’a jamais fait de politique, explique le statisticien Moubarack Lô. Il sera au-dessus des contingences politiciennes. » Un bon point, alors que se profilent les élections législatives (dans trois mois). « C’est un gars sans histoires, ajoute un conseiller du président, un père de famille [il a quatre enfants, NDLR] qui jouit d’une image d’homme propre. » Pas négligeable, à l’heure de la république irréprochable promise par Sall. C’est surtout un banquier réputé pour ses compétences. Il lui en faudra, pour convaincre les bailleurs d’aider le gouvernement à financer les promesses de campagne et à remplir les caisses de l’État.

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Abdoul Mbaye dirigera un gouvernement réduit à 25 membres et qui ne compte aucun ministre d’État – un sport national lorsque Wade était aux affaires. Aucun nom ronflant non plus. Pas de Moustapha Niasse, d’Ousmane Tanor Dieng ou de Cheikh Tidiane Gadio. Il y a dans ce gouvernement beaucoup de fidèles du président – ils occupent les postes clés : l’Intérieur, la Justice, les Affaires étrangères, le Secrétariat général. Il y a aussi, à des portefeuilles secondaires, quelques alliés qui lui ont permis de l’emporter au second tour et une poignée d’iconoclastes tout aussi inexpérimentés que leur chef, dont des stars nationales (Haïdar El Ali, Youssou Ndour)…

Magazine people. Dans ce lot de célébrités, Abdoul Mbaye ne dépareille pas. Certes, il n’est pas le plus connu des Sénégalais. Il n’est pas non plus un inconnu. Il y a quelques mois, il faisait la une d’un magazine people qui consacrait un article à sa famille. Le titre ? « Kéba Mbaye, Abdoul, Cheikh Tidiane… La belle réussite d’une tribu sénégalaise ». En fait de tribu, il s’agit d’une dynastie. Un ami de Sall en convient : « Avec Mbaye, on n’est pas dans le Sénégal des profondeurs. On est chez les gens d’en haut. » Lorsqu’il a marié son fils il y a quelques mois à la fille de l’ancien apparatchik socialiste passé dans le camp de Wade, Djibo Leyti Kâ, du beau monde assistait à la cérémonie. On y trouvait quelques ministres et un homme qu’il pourrait fréquenter souvent dans les prochaines semaines : l’inamovible chef du protocole de la présidence, Bruno Diatta. Bref, une affaire de « yakh bou rey » (« haut d’en haut »).

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Sa renommée, Abdoul Mbaye la doit à sa réussite professionnelle : après des études commerciales dans l’une des écoles les plus prestigieuses (HEC à Paris), il rejoint en 1976 la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), où il côtoie un certain Alassane Ouattara. En 1982, le président Diouf lui offre la direction générale de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS). Il n’a alors que 29 ans. Durant les vingt-cinq années qui suivent, son parcours est fait de fusions, d’acquisitions, de rachats et de redressements plus ou moins réussis, d’expropriations et de faillites amères, de titres ronflants, de directions générales et de présidences de Conseils d’administration. De sigles aussi : après la BHS, il prend la tête de la CBAO (Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale), puis rachète avec d’autres Sénégalais la BST (Banque sénégalo-tunisienne) alors mourante, avant de la vendre (une belle opération financière) aux Marocains d’Attijari Bank.

Qu’a-t-il fait depuis qu’il a été « démissionné » de la tête de cette banque en 2008 ? Tout juste sait-on qu’il s’est lancé dans l’or au sein d’une société de droit sénégalais, Sored Mines SA, qui exploite l’un des gisements les plus importants du pays, et qu’il aurait tenté de monter des affaires dans l’immobilier.

Président de l’Institut sénégalais des administrateurs (ISA), qui prône la bonne gouvernance dans les entreprises, Mbaye est connu pour être un défenseur du partenariat public-privé. Une fibre sociale-libérale qui correspond au projet de Macky Sall, mais qui inquiète à gauche. Avec, en outre, un banquier aux Finances, ne se dirige-t-on pas vers une technocratie froide et antisociale.

Adepte du compromis. Pour l’heure, Mbaye jouit d’une bonne image. Mais il le sait tout autant que son frère, une autre célébrité des affaires : s’il est respecté par les Sénégalais, c’est avant tout parce qu’il est le fils de feu Kéba Mbaye (1924-2007). Une sommité qui s’est construit tout au long de sa vie une réputation d’homme intègre tant à l’intérieur du pays (il présida la Cour suprême pendant dix-sept ans, puis le Conseil constitutionnel pendant trois ans) qu’à l’extérieur (il fut un membre très influent du Comité international olympique durant vingt-neuf ans et vice-président de la Cour internationale de justice de La Haye de 1983 à 1991).

Ce juriste attaché aux droits de l’homme était un adepte du compromis et un apôtre de l’éthique. Autant dire un père spirituel pour Macky Sall. Le nouveau président ne cracherait pas sur quelques principes de vie édictés par Kéba Mbaye dans une lettre adressée à son fils en 1982 : « N’aie confiance en personne à commencer par moi, avait-il écrit à Abdoul. Ne fais jamais rien d’important sans en discuter avec ton épouse. Il ne s’agit évidemment pas de faire ce qu’elle te dit, mais de prendre son avis. […] Reste simple. Mais ne sois pas vulgaire. » À son fils, Kéba Mbaye conseillait aussi de garder ses opinions politiques pour lui.

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