« Doing Business » : pourquoi le rapport fait polémique

Le classement de référence de la Banque mondiale est-il crédible ? Tout en y accordant énormément d’importance, un nombre croissant de pays africains commencent à critiquer le rapport « Doing Business ».

Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, à Londres, en juin. © Stefan Wermuth/Reuters

Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, à Londres, en juin. © Stefan Wermuth/Reuters

Julien_Clemencot ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 6 décembre 2013 Lecture : 7 minutes.

« Je n’ai jamais rencontré les enquêteurs qui réalisent cette étude, et je m’interroge sur leurs sources. Leurs méthodes de collecte d’informations doivent être remises en question. » Début novembre, Albert Yuma Mulimbi, patron des patrons de RD Congo et président de la Gécamines, n’y est pas allé par quatre chemins pour jeter le doute sur la crédibilité du rapport phare de la Banque mondiale : le « Doing Business », qui classe chaque année la quasi-totalité des États du monde (189 cette fois) en fonction de la facilité Doing-Business infod’y faire des affaires. Il faut dire que son pays stagne à la 183e place. Avant lui, au Sénégal, c’est Macky Sall lui-même qui est monté au créneau. D’après le chef d’État, l’édition 2014 de ce rapport ne reflète pas la réalité des progrès réalisés par son pays (178e). Sur le continent, la polémique commence à enfler. Frédéric Meunier, l’un des experts du « Doing Business », explique : « Le propre d’un classement, c’est que, quand certains montent, d’autres descendent. Si vous parlez avec les représentants de la Côte d’Ivoire (qui a gagné six rangs cette année), du Gabon (+ 6) ou du Burundi (+ 17), vous entendrez un autre son de cloche. » Les bons élèves mettent en effet leurs performances en avant pour attirer les investisseurs. De nombreux États ont même créé des cellules consacrées à l’amélioration de leurs performances en la matière. C’est le cas du Burundi, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Togo et du Congo.

Que faut-il alors penser des récriminations ? À Washington, siège de la Banque mondiale, la question a déjà été prise en compte après des critiques formulées en mai 2013 par certaines puissances asiatiques : la Chine (91e en 2013 et l’un des principaux actionnaires de l’institution) et l’Inde (132e). Un comité, mis en place par l’institution et dirigé par Trevor Manuel, le ministre du Plan sud-africain, a ainsi passé au crible la méthodologie du « Doing Business ». Ses recommandations : garder le rapport mais le renommer et, surtout, renoncer à classer les économies. Si Jim Yong Kim, le président de la Banque, a fermement rejeté ce conseil, il a néanmoins promis d’élargir certains critères et d’améliorer la méthodologie.

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Car les résultats sont parfois incongrus, voire aberrants. Exemples : le Burkina Faso et la RD Congo sont mieux classés que le Canada en matière de raccordement à l’électricité tandis que Madagascar et le Nigeria se retrouvent loin devant la France en termes de protection des investisseurs (80e). Pour y voir plus clair, Jeune Afrique s’est penché sur la pertinence de certains des dix critères.

Accès à l’électricité

En matière de raccordement électrique, le Burkina et la RD Congo sont mieux classés que le Canada !

Le raccordement à l’électricité est l’unique critère du « Doing Business » touchant aux infrastructures. Mais attention, la notation sur ce point concerne seulement la complexité des démarches pour être connecté au réseau, leurs coûts et les délais d’installation. Ni la production ni la disponibilité électrique ne sont prises en considération. Qui plus est, ces éléments sont examinés pour les entreprises installées dans les plus grandes métropoles d’affaires. L’accès à l’électricité dans les villes intermédiaires et les zones rurales n’est pas étudié par les experts de la Banque mondiale. Mohamed Amar, directeur général de la branche internationale de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg), conteste cette manière de procéder : « Avec cette technique, la Guinée (91e selon ce critère) est mieux classée que le Maroc (97e), alors qu’elle ne fournit, dans le meilleur des cas, que quelques heures d’électricité par jour à Conakry. » Et d’ajouter : « Si un pays comme Maurice est aussi bien placé (48e), c’est aussi parce qu’il a un faible nombre de nouveaux raccordements à gérer sur un petit territoire. Ce qui n’est pas le cas en Afrique du Nord, où les progrès annuels sont importants et où le taux d’accès à l’électricité est plus élevé. En Tunisie (55e), nous recensons quelque 115 000 nouveaux raccordements par an… quand le Rwanda (53e) n’en compte que 1 000 à 2 000. »

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Autre écueil selon le Tunisien – qui a participé par le passé à la récolte de données pour le « Doing Business » dans son pays -, « les États qui ont fait le plus d’efforts pour investir, notamment en matière de production d’électricité, tel le Congo (175e), ne sont pas récompensés et restent dans les profondeurs du classement ».

Environnement juridique

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Via « la protection des investisseurs » et « l’exécution des contrats », les experts de la Banque analysent l’environnement juridique des entreprises. Le premier critère traite du cas où les actionnaires minoritaires d’une société cotée contestent un achat lancé par l’actionnaire majoritaire. Mais d’après l’avocat français Benoît Le Bars, cette situation est peu représentative des litiges portant sur la protection des investisseurs en Afrique. « Le nombre de sociétés cotées est extrêmement faible sur le continent. Le problème le plus courant en la matière, c’est la violation du pacte d’actionnaires, c’est-à-dire lorsque, dans le cadre d’un projet impliquant une société étrangère, l’une des deux parties ne respecte pas ses engagements », explique ce spécialiste de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), surpris du mauvais classement du Sénégal (170e), « pourtant pas plus mauvais élève que les autres pays ouest-africains ».

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En revanche, l’avocat juge pertinent « l’exécution des contrats », critère qui apprécie le mode de résolution d’un litige entre un vendeur et un acheteur qui refuse de payer des marchandises non conformes. « Sur ce point, que le Cap-Vert (35e dans ce cas) et le Rwanda (40e) soient bien positionnés, ou que l’Angola (187e), le Bénin (181e) et la Centrafrique (180e) figurent en bas du tableau, le fonctionnement des systèmes judiciaires de ces pays est bien reflété », estime-t-il.

Commerce avec l’étranger

Exporter, mais aussi importer : la Banque mondiale donne des bons points aux économies les plus ouvertes. Pour en juger, le « Doing Business » tient compte du nombre de documents indispensables pour expédier ou recevoir des marchandises par voie maritime, mais aussi du temps nécessaire et des coûts pour un conteneur équivalent vingt pieds (EVP). Parce que leurs économies sont très liées aux marchés européens, la Tunisie et le Maroc font figure de bons élèves en la matière (respectivement 31e et 37e). A contrario, les pays subsahariens sont, une fois encore, beaucoup plus bas. Le Gabon se situe par exemple au 135e rang et la Côte d’Ivoire au 165e. Abidjan exige par exemple neuf documents pour exporter et dix pour importer, quand la Tunisie n’en demande respectivement que quatre et six. Pis, le délai pour faire entrer une marchandise sur le territoire ivoirien est de trente-cinq jours, contre seulement seize dans un port marocain. Sans surprise, la situation est encore plus difficile pour les pays enclavés comme le Burkina Faso (174e) ou le Niger (178e), où le trajet jusqu’au port le plus proche entraîne des frais supplémentaires.

Création d’entreprise

Est-il facile de lancer sa société ? C’est l’une des questions phares auxquelles tentent de répondre les enquêteurs. Dans la plupart des États africains, le nombre de procédures administratives exigées reste important, tout comme celui des jours nécessaires pour les effectuer, le coût cumulé de toutes ces démarches et le montant minimum du capital requis pour constituer une entreprise. Même dans les pays mal classés, ces critères font peu débat. En ouvrant un guichet unique qui limite les formalités à cinq (contre dix auparavant), la Côte d’Ivoire a réduit le délai d’obtention des sésames de trente-deux à huit jours. Elle est ainsi passée de la 176e place en 2013 à la 115e en 2014. Reste que, en ne prenant en compte que les investisseurs nationaux, l’enquête de « Doing Business » sous-estime les difficultés rencontrées par les étrangers. Ainsi en Algérie, l’obligation qui leur est faite de trouver au moins un partenaire local (à hauteur de 51 %) constitue un sérieux obstacle.

JAecoArticles BandoACF2014 11

Scénario à la bulgare

Simeon-Djankov Stoyan-Nenov-ReutersSans Simeon Djankov (photo), le rapport « Doing Business » n’aurait probablement pas vu le jour.

Dans une étude publiée en 2002, l’économiste bulgare et ses coauteurs établissent, à partir d’une enquête menée dans 85 États, que les pays dans lesquels la régulation entourant la création d’entreprise est la plus lourde sont également les plus corrompus.

Les conclusions et la base de données de cette analyse, de même que la méthode empirique évaluant la qualité des institutions dans un pays, ont servi de matrice aux « Doing Business » depuis la première édition. Mieux, entre 2002 et 2008, la supervision de ces rapports a été assurée par Simeon Djankov lui-même.

Recruté par la Banque mondiale en 1997, le jeune spécialiste en économie institutionnelle de 43 ans a toujours été méfiant vis-à-vis de « l’État régulateur ». Nommé ministre des Finances et vice-Premier ministre chargé de la réforme publique de la Bulgarie en 2009, il a dû démissionner en février 2013, face à la pression de la rue qui contestait l’austérité de sa politique fiscale. Depuis juillet, il est professeur associé à la prestigieuse université Harvard (États-Unis), où il dispense un cours sur… « les aspects politiques du développement ». Imperturbable. Joël Assoko

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