Maroc-UE : la mission de l’homme blanc
La résolution du Parlement européen appelant Rabat à respecter la liberté des médias traduit la persistance d’un « besoin de civiliser » ethnocentrique.
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Lahcen Haddad
Sénateur marocain, président de la commission parlementaire mixte Maroc/UE
Publié le 24 février 2023 Lecture : 4 minutes.
La résolution du Parlement européen sur la liberté de la presse au Maroc, adoptée le 19 janvier 2023, n’a abordé : ni le rôle du Parlement marocain dans la responsabilisation du gouvernement sur ces questions; ni le débat au Maroc sur la liberté d’opinion; ni les rapports des organisations de la société civile qui critiquent les restrictions à la liberté de la presse; ni les opinions de ceux qui disent que les journalistes ne sont pas à l’abri d’infractions civiles simplement pour avoir critiqué le régime politique; ni les opinions des femmes victimes d’agressions sexuelles présumées de la part des journalistes.
Mépris et ignorance
Il existe un débat au Maroc ; il est ce qu’il est, mais il existe. D’un seul coup, le Parlement européen émet une résolution comme si le Maroc vivait dans une jungle, sans droits, sans parlement ni institutions. Oui, ces institutions gagnent à être davantage renforcées comme le sait chaque Marocain, mais elles fonctionnent ; il y a un débat, une dynamique, voire les jalons fondateurs d’une démocratisation de la vie politique avec ses forces et faiblesses.
Le mépris pour ces institutions et l’ignorance de leur rôle signifie qu’elles ne sont pas du goût des Européens, ni sur le plan culturel ni sur le plan idéologique. Comme si la démocratie, si elle n’est pas européenne, n’est pas universelle. La juxtaposition de l’universel et de l’européen est un piège dans lequel tombent les défenseurs des droits humains dans les pays du Sud.
L’ethnocentrisme de l’Europe (et le tropisme européen de l’Occident en général) devient un modèle de démocratie et de droits de l’homme. Et, lorsque cette position est adoptée par des gauchistes, des écologistes ou des anticapitalistes, cette contradiction devient encore plus marquée : « Nous demandons de l’égalité, mais d’un point de vue purement européen. » La connotation orwellienne est criante. Elle reflète une vision occidentale condescendante, qui confine au néocolonialisme.
Car le néocolonialisme n’est pas seulement la reproduction du discours colonial. C’est aussi une méthode systématique qui tente d’envelopper, tant bien que mal, la tendance de vouloir « civiliser les peuples du Sud » sous le manteau de valeurs universelles (droits de l’homme, démocratisation, État de droit). Cela ne veut aucunement dire que de nombreux pays du Sud ne souffrent pas d’une absence de droits fondamentaux et d’un manque de libertés, notamment de liberté de la presse. Mais l’auto-proclamation des « Européens » en gardiens du temple sur ces questions du seul fait qu’ils sont « européens » soulève plus d’une question quant au caractère résiduel de la « tendance civilisatrice », plus d’un demi-siècle après la fin de l’époque coloniale.
Piller pour civiliser
Les Européens se donnent ce rôle alors que les courants populistes gagnent du terrain chez eux, que le racisme se banalise dans l’opinion, dans les médias et dans l’espace public, et que les migrants sont abandonnés en mer pendant des semaines, en flagrante violation du droit international et malgré les appels des ONG.
Tout cela rappelle les tentatives de « civiliser » les peuples du Sud à l’ère coloniale. On assistait parallèlement à l’instauration de régimes de ségrégation raciale dans ces pays dont l’Occident pillait les ressources, appauvrissait les populations, martyrisait les enfants, voire les déplaçait dans le cadre d’un commerce lucratif d’esclaves qui n’a pris fin qu’au XIXe siècle. De façon crue mais bien réelle, le paradoxe colonial pouvait se résumer ainsi : « piller pour civiliser » ou « civiliser tout en pillant ».
Ce besoin de civiliser est un idéal de la République et des valeurs sur lesquelles s’est fondée la révolution française. Il a donc acquis une dimension universelle. La « civilisation » telle qu’elle a été mise en œuvre dans le projet colonial est passée par l’épée et le livre, par le pouvoir et la pensée, par une hiérarchie des valeurs qui a fait des Européens des êtres supérieurs et des Africains une curiosité ethnographique. Ceux-ci impressionnaient les anthropologues mais étaient aussi la « matière première » d’un travail de civilisation, de domestication et d’étude ethnographique. La science au service de la « mission civilisatrice », tel était le modus operandi de l’entreprise coloniale, dans toute sa grandeur et son arrogance intellectuelle.
Néocolonialisme résiduel
Cette hiérarchie existe-t-elle encore dans l’esprit des Européens ? Et peut-on dire que les décisions prises par des institutions telles que le Parlement européen sur des questions relatives aux droits de l’homme dans d’autres pays (au même titre que le rapport annuel du département d’État américain sur le même sujet) sont une reproduction de « la mission civilisatrice de l’homme blanc », ou bien une contribution à la défense des droits de l’homme et des valeurs universelles communément admises dans le cadre des conventions et des mécanismes onusiens ?
Certains Européens se soucient réellement des droits de l’homme et leur accordent une valeur universelle. Mais l’Histoire nous a appris que les Occidentaux ont beau faire semblant de respecter les autres et de les considérer comme leurs égaux, leur tendance « civilisatrice » ne tarde pas à surgir. Il suffit de voir comment les médias européens ont distingué les migrants ukrainiens des migrants irakiens et syriens, ou comment les stars de la télévision allemande et danoise se sont moquées des mères des joueurs marocains lors de la dernière Coupe du monde de football. Sous le vernis du discours occidental vantant l’universalité des droits de l’homme, le néocolonialisme résiduel reste fort.
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