Karim Leklou, acteur sans frontières

Discret dans la vie, le comédien illumine l’écran. Il est à l’affiche de deux films : « Pour la France », de Rachid Hami, et « Goutte d’Or », de Clément Cogitore.

Karim Leklou, à Paris, le 2 février 2023. © François Grivelet pour JA

eva sauphie

Publié le 2 mars 2023 Lecture : 4 minutes.

Pas de temps mort pour Karim Leklou. Depuis environ cinq ans, les réalisateurs se l’arrachent. Sous ses allures de grand nounours et derrière son sourire bonhomme se cache sans doute l’un des acteurs les plus bankable du moment. « J’ai de la chance, relativise-t-il. La chance d’être un privilégié dans la société française et de faire ce qui me rend heureux. »

Médecin légiste franco-albanais dans la série Hippocrate, militaire de la patrouille Sentinelle dans La Troisième Guerre (Giovanni Aloi), gentil caïd de banlieue parisienne bientôt aux commandes d’un business insensé dans Le Monde est à toi (Romain Gavras), flic marseillais dans Bac Nord (Cédric Jimenez), l’ancien télémarketeur sait tout jouer. « Non, je ne peux pas incarner un jeune premier ni un ado », s’esclaffe-t-il.

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Isabelle Adjani, Adèle Exarchopoulos…

À 40 ans, Karim Leklou est au sommet de sa carrière et vit son ascension la tête sur les épaules. Celui qui a commencé à suivre les Cours Florent, le soir, au milieu des années 2000 pour « fuir l’ennui », a entamé sa carrière en apparaissant dans Un Prophète, de Jacques Audiard. Depuis, il a donné la réplique à Isabelle Adjani, à Gilles Lellouche, à Adèle Exarchopoulos, ou encore à Louise Bourgoin. « Quand on observe les tendances du cinéma mondial, on réalise qu’il y a une diversité de propos et une diversité tout court dans le cinéma français. Il y a tant de grands acteurs que cela permet d’exercer ce métier très humblement », glisse ce cinéphile invétéré, qui a passé son enfance devant les films d’action américains.

Né d’une mère française et d’un père algérien, Karim Leklou échappe à toute classification. L’identité, l’appartenance… Des questions que l’ex-gamin de la cité HLM de Saint-Cyr-L’École, une banlieue de Versailles, refuse de se poser. « La provenance géographique ne dit rien d’un être humain, et cela vaut aussi pour les personnages de film », tranche-t-il.

Ce qui compte pour lui, c’est le cinéma. Rien que le cinéma. Raison pour laquelle l’acteur échappe aux rôles essentialisants. « Quand je vois Roschdy Zem et la variété de rôles qu’il épouse, jusqu’à celui de président de la République, force est de constater que seule la qualité du travail compte. En tant qu’acteur on a la chance d’incarner et d’être, tout simplement d’être. C’est tout ce qui m’importe. Le reste appartient aux hommes politiques, qui instrumentalisent parfois nos rôles », observe celui qui a appris à s’affranchir de ses certitudes, comme lorsqu’il a rejoint le casting de Pour la France, de Rachid Hami, toujours à l’affiche.

Dans cette odyssée familiale, il incarne le frère d’Aïssa Saïdi, un brillant élève officier de l’école militaire française de Saint-Cyr mort noyé lors d’un bahutage. L’histoire de Jallal Hami, le frère cadet du réalisateur. Rachid et Jallal sont nés en Algérie et ont quitté leur pays de naissance avec leur mère au moment de la guerre d’indépendance pour rejoindre la France. Au-delà du drame et de l’affaire judiciaire, le film brosse le portrait d’une famille française, loin de tout aspect identitaire.

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Le corps comme outil de travail

« C’est une vision passéiste que de renvoyer les gens à leurs origines », estime l’acteur. Ce qui est beau, dans le film, ce sont toutes les nuances que Rachid Hami apporte à ses personnages et à son histoire. « Le film se déroule sur trois continents. On voit un gamin de banlieue parler le mandarin à Taipei… Il y a là une forme de modernité qui me plaît, confesse-t-il. On n’est plus dans le cinéma des années 1980-90. Ces questions d’identité n’appartiennent pas à la nouvelle génération. En tant qu’acteur, je me dois de transmettre des choses aux jeunes qui envisagent de faire ce métier et de leur dire que tout ceci n’est plus un problème. »

L’identité, pour Karim Leklou, passe d’abord par un apprentissage physique. Il a fait de son corps un outil de travail et mise sur lui pour donner chair à ses personnages. « À force de jouer la vie des autres, je me connais mieux, et je m’accepte un peu plus ». Apprendre à travailler la pâte si son personnage est boulanger, « même si c’est une minute à l’écran », perdre 15 kilos pour incarner le même personnage à des époques différentes en faisant du vélo d’appartement huit heures par jour à Taipei, alors que la ville était sous cloche pendant le tournage, en raison de la pandémie de Covid-19… Voilà comment le comédien puise dans l’intériorité de ceux qu’il incarne. Karim Leklou n’est jamais là où on l’attend. Sa sensibilité et sa discrétion l’emmènent sur des territoires inexplorés et toujours plus ambitieux.

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Mineurs isolés étrangers

Dans Goutte d’Or, un polar urbain mystique signé Clément Cogitore, actuellement à l’affiche, il joue un voyant qui parle aux morts. Ramsès officie entre le boulevard de la Chapelle et Barbès, des artères populaires du 18e arrondissement de Paris. Il est bientôt confronté à une bande de gamins venus de Tanger, ceux que l’on appelle les « mineurs isolés étrangers ». « Le film montre comment on a hérité d’un terme qui tend à criminaliser ces enfants. Or, il s’agit d’enfants en détresse avant tout. Beaucoup d’entre eux sont très jeunes et vivent dans une précarité extrême. Ils peuvent être violents, parce qu’ils débarquent dans une ville agressive », souligne-t-il.

« Goutte d’Or raconte beaucoup de choses. Il y est question d’héritage, de don, de transmission, de croyance », résume celui qui admire le cinéaste français pour sa capacité à ne pas verser dans la facilité. « J’aime les talents bizarres », lance-t-il. Pour sûr, Karim Leklou fait partie de ceux-là.

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