RDC – Annie Chebeya : « Je ne lâcherai rien »

Malgré la douleur, Annie Chebeya, la veuve du militant des droits de l’homme congolais assassiné, est bien décidée à poursuivre le combat. Pour elle, la justice n’a pas été rendue malgré le procès filmé par Thierry Michel. Un documentaire-témoignage qui sort le 4 avril en France, en partenariat avec Jeune Afrique.

Menacée, Annie Chebeya a dû fuir la RDC et s’exiler au Canada. © Camille Millerand pour J.A

Menacée, Annie Chebeya a dû fuir la RDC et s’exiler au Canada. © Camille Millerand pour J.A

Publié le 3 avril 2012 Lecture : 6 minutes.

Juin 2010, le réalisateur belge Thierry Michel, auteur de documentaires très remarqués sur la RDC (Mobutu roi du Zaïre, Congo River), apprend qu’on vient d’assassiner à Kinshasa un militant des droits de l’homme connu internationalement, Floribert Chebeya. Le corps du président de l’ONG La Voix des sans-voix est retrouvé à moitié dénudé dans sa voiture, et les autorités évoquent un crime sexuel. Impossible, se dit le cinéaste, qui flaire immédiatement un montage.

Il part alors caméra au poing pour Kinshasa. Et se rend vite compte que son intuition ne l’a pas trompé. Floribert Chebeya avait été convoqué par l’inspecteur général de la police, le général John Numbi, un homme tout-puissant proche du chef de l’État Joseph Kabila et sur lequel il enquêtait. Son chauffeur, Fidèle Bazana, qui a conduit son patron à ce rendez-vous, a quant à lui disparu. Le scandale, vu la personnalité du disparu et l’énormité de la mise en scène grotesque de sa mort, prend vite de l’ampleur non seulement dans le pays, mais également à l’échelle internationale. La version policière officielle, très vite contestée, devra être abandonnée. Des responsables au plus haut niveau sont mis en cause, comme le colonel Mukalay, chef des services spéciaux, qui est arrêté avec plusieurs de ses collègues.

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Thierry Michel enquête auprès des familles des deux victimes ainsi que des principaux témoins de l’affaire. Puis il suit et filme de bout en bout le long procès des accusés du meurtre de Chebeya et de la « disparition » de Bazana qui se tient six mois plus tard devant une juridiction militaire. Un procès au cours duquel, curieusement, le principal suspect, le général Numbi, suspendu de ses ­fonctions, est entendu comme simple témoin puisqu’« il ne peut être jugé que par un magistrat militaire plus haut gradé » et qu’« il est le plus haut gradé de l’armée » ! Le 23 juin 2011, le verdict est très sévère : quatre peines de mort, dont celle de Mukalay, et une condamnation à la servitude pénale à perpétuité. Trois de ces jugements le sont par contumace, et la sérénité des prisonniers à l’énoncé de la sentence laisse penser qu’ils n’imaginent pas finir leurs jours en prison.

Voir la bande-annonce du film de Thierry Michel, en partenariat avec Jeune Afrique :

Depuis que l’on a retrouvé son mari, Floribert, sur une route de la banlieue de Kinshasa, le 2 juin 2010, Annie Chebeya vit sans cet homme qu’elle admirait. Elle a dû fuir son pays et s’exiler au Canada avec ses six enfants. C’est de là-bas, loin des siens, qu’elle a suivi le procès. Pour elle, la sortie du remarquable film L’Affaire Chebeya, un crime d’État ? est un nouveau plongeon dans l’horreur. Avec courage, elle a participé à quelques projections en Belgique, en Suisse et en France. Pour témoigner. 

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Renaud de Rochebrune

Pour en savoir plus, voir le site du film : http://chebeya-lefilm.com/

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Jeune Afrique : N’est-ce pas trop éprouvant de visionner une fois encore ce film qui retrace l’assassinat de votre mari ?

Annie Chebeya : Je suis encore dans la douleur, et en regardant ce documentaire les souvenirs de Floribert ressurgissent. Cela me fait très mal.

Vous êtes seulement de passage en Europe pour accompagner la sortie de ce film, car vous vivez avec vos enfants à Ottawa depuis septembre 2010. Quel est votre quotidien ?

J’ai le statut de résident permanent. Je ne travaille pas et je perçois seulement une aide sociale qui me permet de payer mon loyer. Mes six enfants sont dans des écoles francophones où les enseignants, qui étaient au courant de notre situation, se sont très bien occupés d’eux. Nous avons été suivis par des psychologues. Mes deux plus grands enfants sont à l’université de droit : le premier veut être juge, le deuxième avocat pour défendre les droits humains, comme son père.

Espérez-vous pouvoir retourner un jour en RDC ?

Bien sûr, c’est ma terre. Mais c’est encore difficile du fait de l’impunité qui règne en RDC. Les personnes qui m’ont plongée dans cette douleur sont toujours une menace. Pendant l’enquête, nous avons été intimidés en permanence. Des gens que nous ne connaissions pas venaient chez nous, à Kinshasa, jour et nuit. Nous recevions des appels téléphoniques anonymes. La situation était si risquée que la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) a déployé deux gardes à notre domicile avant que nous ayons été contraints de partir. Aujourd’hui encore, ma famille restée là-bas subit des pressions. Ma mère, qui habite dans l’Équateur, a été visitée par quelqu’un qui l’a menacée.

À quand remontait votre rencontre avec Floribert Chebeya ?

Nous nous sommes rencontrés à l’université de Kinshasa et nous nous sommes mariés en 1992. Il était déjà un militant des droits de l’homme. Il a consacré sa vie à la défense des autres. La nuit, il pouvait se déplacer lorsqu’on l’appelait à l’aide. Il visitait des prisonniers, et parfois je l’accompagnais, car je leur préparais à manger. C’était une vocation, une mission, un appel de Dieu. Il s’est donné corps et âme.

Se savait-il menacé ?

Oui, il me parlait des risques qu’il prenait, mais avec beaucoup de réserves. Il ne pouvait pas tout me dire.

Le président de La Voix des sans-voix, Floribert Chebeya, retrouvé mort dans sa voiture le 2 juin 2010.

© Thierry Michel

Deux jours avant qu’il soit retrouvé mort, il m’avait confié qu’il aimait tellement son pays qu’il était prêt à lui donner sa vie. Il était prêt au sacrifice. Il m’a transmis sa force pour que je puisse continuer son oeuvre. Je suis très forte. Je veux que justice soit rendue. Je ne lâcherai rien.

Pensait-il qu’il prenait un risque en se rendant, le 1er juin 2010, à l’inspection générale de la police ?

Non, je ne le pense pas. Il avait rendez-vous avec le chef de la police, le général John Numbi, qui avait eu des difficultés sous Mobutu. Floribert l’avait aidé, il était donc confiant. Mais il était en possession de dossiers très sensibles, notamment sur la répression policière contre les militants de Bundu dia Kongo, dans le Bas-Congo, en 2008.

Selon vous, justice a-t-elle été rendue avec la condamnation de cinq prévenus après huit mois de procès ?

Non. J’avais déposé une plainte contre John Numbi, car c’est lui qui lui a organisé ce rendez-vous. Il n’a pas été jugé. Et puis sur les cinq condamnés, trois policiers sont toujours en fuite. Nous avons fait appel, mais depuis rien ne bouge. Je demande que ces trois fugitifs et Numbi soient arrêtés et jugés. À défaut, nous espérons un transfert du procès au niveau international, via le dossier Bundu dia Kongo. Tous les assassins de mon mari doivent être condamnés.

Que vous inspire le fait que votre mari soit devenu un symbole de la lutte pour les droits de l’homme ?

C’est une victoire posthume. Le monde entier a reconnu son courage et sa détermination. En 2011, je suis allée aux États-Unis récupérer un prix qu’une association américaine de défense des droits de l’homme lui avait décerné. Aujourd’hui, je poursuis donc son combat et je porte son amour dans mon coeur. Ma seule appartenance est celle à La Voix des sans-voix. 

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Propos recueillis par Philippe Perdrix

Marie-Josée Bazana, l’autre veuve

Une semaine avant le verdict rendu par le tribunal militaire de Kinshasa, le 23 juin 2011, Marie-Josée Bazana (en photo ci-contre, © Camille Millerand pour J.A) arrivait en France, à Melun, comme réfugiée politique avec ses sept enfants, âgés de 7 à 31 ans. Son mari, Fidèle – le frère d’Annie Chebeya -, était le chauffeur de Floribert. Depuis le 2 juin 2010, il est officiellement porté disparu et les prévenus au procès ont été condamnés pour enlèvement. Son corps n’a jamais été retrouvé.

« Ils n’ont pas reconnu l’assassinat de mon mari. Cela a été une parodie de justice. J’aimerais tellement savoir où il se trouve. Je sais très bien qu’il est mort, mais qu’ils me disent ce qu’ils lui ont fait », lance d’une voix triste Marie-Josée Bazana. Sa dignité force l’admiration. À chaque projection officielle de L’Affaire Chebeya, un crime d’État ?, elle prend la parole pour décrire sa peine, sa colère et son espoir. « Je lance un appel pour que justice soit rendue », ajoute cette mère qui n’arrive toujours pas à parler à ses enfants de leur père. Un père absent.

PH.P.

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