France – Tunisie : Nadia Ounaïs, la médusante
Guidée par sa passion, Nadia Ounaïs, scientifique tunisienne, est à la proue de l’Institut océanographique de Monaco.
Sans elle, il serait aujourd’hui difficile de se régaler d’un bon filet de daurade. Paradoxe, pour une femme qui a, quinze années durant, été la conservatrice de l’aquarium du Musée océanographique de Monaco et qui occupe aujourd’hui le poste de directeur opérationnel de l’Institut océanographique de Paris ? Pas du tout ! Mais pour comprendre cette apparente incongruité, il faut remonter le temps, traverser la Méditerranée et, une fois débarqué sur une plage tunisienne, plonger ! Là, dans les années 1970, au-dessus des champs de posidonies, parmi les girelles et les castagnoles, il était possible de voir nager une fillette intrépide, masque sur le visage et tuba en bouche.
« Toute petite, j’allais souvent à la mer et j’étais la première à plonger, confie Nadia Ounaïs. J’ai su très vite que je voulais devenir océanographe. » Première, elle le sera dans bien d’autres domaines, tous plus ou moins liés à la vie aquatique. Fille d’un Tunisien cadre du ministère de Finances et d’une Autrichienne employée au service commercial de son ambassade, la jeune passionnée a les moyens de se consacrer pleinement à son projet. Première fille membre du premier club de plongée tunisien, Nadia Ounaïs sort major de la faculté des sciences de Tunis en 1985, avec une maîtrise de biologie. Fidèle à son rêve d’enfant, elle traverse Mare nostrum pour rejoindre la station marine d’Endoume (université de Luminy, à Marseille) et passer un DEA d’océanologie. Son stage de doctorat, elle l’effectue à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), au sein de la station expérimentale d’aquaculture de Palavas-les-Flots, dans le sud de la France. « J’ai été prise sur un projet majeur d’élevage larvaire de la daurade », dit-elle, avant d’expliquer dans les détails comment elle a permis la survie d’alevins qui jusque-là mouraient systématiquement après dix jours d’existence. Sa technique est aujourd’hui utilisée dans de nombreuses fermes aquacoles à travers le monde…
Désormais docteur, elle envisage d’utiliser son savoir en Tunisie. Mais le hasard des rencontres – notamment celle du professeur Jean Jaubert, spécialiste du corail – l’entraîne à Aqaba (Jordanie), puis à Antibes (sud-est de la France), où elle se consacre à la production de loups et de daurades. « Je travaillais beaucoup, je faisais de la production, mais aussi de la recherche. J’ai vite fini par m’ennuyer, malgré l’aspect épuisant du boulot. »
Une bonne fée transforme alors le rêve en conte. Jean Jaubert l’invite au Musée océanographique de Monaco, lui montre le premier bassin à récif corallien et lui dit : « Vous êtes la bonne personne pour faire ce travail-là ! » « Je n’y croyais pas, moi qui autrefois rêvais de la princesse Grace et du commandant Cousteau ! » À tout juste 26 ans, elle est recrutée par le directeur du musée, François Doumenge, qui lui demande de « gérer l’aquarium avec la rigueur de l’aquaculture ». Après avoir élevé les poissons pour les consommer, Nadia Ounaïs va mettre son talent et son savoir-faire au service de leur bien-être… Sa nationalité ne pose aucun problème : « Doumenge n’a même pas vu que j’étais tunisienne ! » Sous sa direction, l’aquarium de Monaco sera le premier à créer un récif corallien vivant de 40 m3, avec un succès tel qu’il débouchera sur la mise en place d’une ferme à corail où 70 espèces seront cultivées !
Depuis son embauche, en 1990, et même si elle a failli succomber à de multiples piqûres de méduse lors d’une baignade, Nadia Ounaïs a bien navigué. Elle est aujourd’hui directrice opérationnelle de l’Institut océanographique et présidente de l’European Union of Aquarium Curators. Prompte à citer la devise de l’institution monégasque (« Connaître, aimer et protéger les océans »), elle n’a rien perdu de son enthousiasme. « C’est un métier passion où l’on ne rencontre que des gens qui aiment ce qu’ils font, qui croient en ce qu’ils font, et où l’on apprend tous les jours. » Scientifique dans l’âme, elle dirige une équipe de quelque vingt-cinq personnes, entre administration, communication, expositions, projets pédagogiques, etc. « Dans l’aquarium, je m’occupe de plusieurs milliers de poissons, dit-elle. Je leur donne ce qu’ils attendent, et si ça ne va pas, je le vois à leurs yeux voilés ou à certains points blancs sur leur corps. L’humain est plus complexe. Mes origines m’aident à mettre de l’eau dans mon vin. »
Et ses origines, elle y tient. Rien ne l’énerve plus que d’avoir à expliquer en arabe, au pays, que oui, elle est bien tunisienne ! Le père d’Alyssa – fondatrice légendaire de Carthage – et de Kenza (« trésor ») s’y est fait : les vacances, c’est en Tunisie ! « J’ai besoin de parler avec les miens, de faire un plein d’épices, de ramener mon couscous », confie-t-elle. Et il ne faut pas la pousser pour que ses mains s’animent, faisant danser les perles à ses oreilles et le dauphin à son cou, quand elle parle politique. « J’y suis allée après la révolution. Le plus extraordinaire, c’était la parole retrouvée. J’étais pleine d’espoir. Aujourd’hui, je suis déçue et inquiète. Je comprends, je ne juge pas, mais j’espère la tolérance. »
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