Présidentielle française : antidémocratique, vraiment ?
Jeudi 29 mars. Animateur de la tranche matinale sur Europe 1, Bruce Toussaint explique tranquillement à des millions d’auditeurs qu’il est bien embêté de devoir accorder le même temps de parole à tous les candidats à l’élection présidentielle et qu’il le sera encore plus lorsque, le 9 avril, « on passera à l’égalité stricte dans les mêmes créneaux horaires ». Il est vrai que la présence de dix prétendants à la magistrature suprême est un casse-tête pour les médias, qui préfèrent évidemment la simplicité d’un duel droite-gauche, éventuellement troublé par la présence d’un troisième homme. « Il faut que les citoyens prennent conscience que nous ne pouvons plus faire notre travail comme on voudrait le faire. Nous sommes en 2012, la réglementation actuelle est irresponsable. […] J’ose le dire, tout cela est antidémocratique ! Les journalistes sont des gens responsables. Si on nous laisse faire, on fera parler tous ceux qui vont jouer un rôle dans cette campagne », affirme Arlette Chabot, la directrice de l’information d’Europe 1.
Antidémocratique, le mot est lâché. Est-ce bien raisonnable d’affirmer que donner un temps de parole égal à tous les candidats remet en question la démocratie ? Bien sûr que non. Certes, tous ne sont pas égaux dans leur capacité à s’exprimer facilement et clairement face aux caméras ou devant les micros des grandes stations de radio. Certains peuvent sans doute être très ennuyeux, mais il est indispensable de les laisser parler afin qu’en dernier ressort les électeurs fassent leur choix en connaissance de cause. Dans notre société du spectacle, pour reprendre l’expression de Guy Debord, où l’on simplifie tout à l’extrême, il faudrait en effet que le scrutin se résume à une pièce de théâtre qui mettrait en scène un minimum de personnages dont les répliques seraient ces fameuses « petites phrases ».
Ramener une élection de cette importance à un affrontement qui relève davantage de la forme que du fond, n’est-ce pas cela qui est irresponsable ? Cette tendance à la théâtralisation, avec ses outrances, comme l’a montré la couverture de l’affaire Merah, doit tout de même nous interpeller. Même si, en tant que citoyen, nous disposons du choix final, nous devons nous interroger sur notre passivité face à cette tendance visant à créer un espace politique qui tient de la mise en scène, comme cela se pratique outre-Atlantique. Chef du service politique de RTL et chroniqueur sur Canal+, Jean-Michel Aphatie a même avancé l’idée de déprogrammer le rendez-vous politique de sa station. « J’ai quatre Grand Jury qui sont concernés par cette période d’égalité. Partis comme on est, je suis incapable de programmer ces émissions. La réglementation va nous conduire pendant un mois à déprogrammer un espace politique hebdomadaire, c’est de la folie », assure-t-il. Nous voilà tombés bien bas. Le plus simple aurait sans doute été de laisser les journalistes des grands médias audiovisuels choisir les candidats et leur confier le soin de voter à la place des citoyens. Car, n’est-ce pas, ils sont des « gens responsables », comme le dit si bien Mme Chabot.
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