France : Christiane Taubira, l’électron libre de Hollande
« Représentante particulière » du candidat socialiste à la présidentielle François Hollande, Christiane Taubira n’exclut pas de devenir ministre. Mais elle ne s’en cache pas : son seul horizon, c’est le monde.
Christiane Taubira s’est fait connaître lors de la campagne présidentielle française de 2002 en recueillant 2,32 % des voix sous l’étiquette du Parti radical de gauche (PRG). À l’époque, son discours sur l’égalité des chances et son républicanisme sourcilleux lui avaient valu, sinon une large adhésion, du moins le respect du grand public. Bien que les lieutenants de Lionel Jospin lui aient vertement reproché sa candidature, qui avait contribué à émietter les voix de la gauche et à écarter leur champion du second tour au profit de Jean-Marie Le Pen lors du mémorable 21 avril, Christiane Taubira incarne depuis une sorte de magistère moral, à l’instar d’une Eva Joly en 2012.
Après cet engagement qui lui valut des ennuis de santé, la Guyanaise la plus célèbre de l’Hexagone avait pris du champ. Mais, à 60 ans, la voilà qui redescend dans l’arène. D’abord avec Mes météores, combats politiques au long cours*, une autobiographie à l’écriture volcanique, truffée de références à ses modèles – de Luther King à Mandela, en passant par Césaire. Ensuite, en tant que « représentante particulière » de François Hollande – titre qu’elle partage notamment avec Jack Lang -, habilitée à parler au nom du candidat socialiste en tout lieu et sur les thèmes de son choix.
Sacré caractère
Petite et énergique, madame la députée déboule dans un manteau rouge. Sous une coquetterie de surface perce un sacré caractère. Entier, volontiers intransigeant, avec quelques accès de colère très calculés. Christiane Taubira est une femme de tête qui aime rappeler que son horizon, c’est le monde. Aux antipodes d’un Arnaud Montebourg, qui prône la démondialisation, auprès de qui elle s’était pourtant engagée lors de la primaire socialiste !
Pas peu fière d’être souvent qualifiée d’électron libre, elle rappelle qu’elle n’est pas socialiste, n’est plus dirigeante du PRG et a rédigé un rapport pour Nicolas Sarkozy en 2008 (sur les accords économiques liant l’Union européenne aux pays Afrique-Caraïbes-Pacifique), ce qui ne l’empêche pas de critiquer frontalement le président sortant. « On dit que je suis imprévisible et incontrôlable. En réalité, je suis contrôlée par ma conscience. J’ai un parcours personnel cohérent et droit. Je ne m’accommode pas d’arrangements ponctuels, c’est pourquoi j’apparais par moments comme peu disciplinée par rapport à la ligne d’un parti ou d’un groupe », assume crânement l’intéressée.
Ce parcours commence en Guyane, dans une fratrie de onze dominée par la figure de la mère, qui donne à ses enfants une éducation « classique et carrée ». Lorsque cette dernière meurt, Christiane, 16 ans, ne peut compter sur son père, qu’elle expédie dans son livre d’un mot cinglant : un « scélérat ». « Il tenait une épicerie et ma mère lui payait le lait pour nous nourrir », précise-t-elle.
Les années de lycée à Cayenne seront décisives dans la formation de sa conscience politique. Avec sa bande de copains, Christiane se nourrit de la lecture de Frantz Fanon et de Chester Himes. Elle écoute Jimi Hendrix, se coiffe à la Angela Davis, s’émerveille du poing levé de Tommie Smith et de John Carlos aux Jeux olympiques de Mexico et s’indigne du coup d’État de Pinochet au Chili – moins éloigné de Cayenne que de la métropole. Suivent des études à Paris, en ethnologie, sociologie, littérature et, surtout, en sciences économiques, matière que Taubira enseignera avant de travailler, en Guyane, pour plusieurs organismes spécialisés dans l’agriculture, la pêche et le commerce extérieur.
On me dit imprévisible et incontrôlable. Mais je suis contrôlée par ma conscience !
En 1993, elle fonde le parti Walwari et devient députée de Guyane (d’abord « non inscrite », puis apparentée au groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche), laissant son nom à la loi du 21 mai 2001, qui qualifie la traite négrière transatlantique et l’esclavage qui s’ensuivit de crime contre l’humanité. Elle sera députée européenne de 1994 à 1999. En 2007, l’ex-candidate à la présidentielle soutient Ségolène Royal et, trois ans plus tard, perd les élections régionales en Guyane.
Sera-t-elle ministre de François Hollande si ce dernier est élu le 6 mai ? Elle élude avec superbe : « J’ai fait des missions pour l’Unesco, l’Onusida, le Nepad… Être ministre ne serait pas le summum de ma vie. Je ne dis pas non, mais j’embrasse le monde depuis très longtemps. »
Patrimoine
Elle qui rédige des notes destinées à alimenter la réflexion du candidat socialiste sur l’Afrique, en particulier sur la région des Grands Lacs, rappelle qu’elle fut, en 1994, observatrice de la première élection libre et multiraciale en Afrique du Sud : « Mon lien à l’Afrique est ontologique, parce que je viens d’une société qui a connu la traite et l’esclavage. Nous sommes des peuples nouveaux, et pourtant la composante africaine de nos cultures et de nos langues, de nos rapports au cosmos et à l’universel est essentielle. Ma relation politique avec l’Afrique est très exigeante, parce que je connais son histoire. La charte du Mandé – qui, en 1222, plus de cinq siècles avant la Révolution française, définit l’égalité des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant -, l’université de Tombouctou, les royaumes haoussas, les civilisations yorubas… Quand on a un tel patrimoine, on n’a pas le droit d’être médiocre. »
Retour en France. A-t-elle des regrets dans cette campagne ? « Non, Hollande s’est prononcé sur les institutions, l’économie et l’Europe de façon très claire. Il lui manque encore une vision sur la question de l’égalité, des banlieues, des territoires relégués. Et il lui reste à développer une culture de l’international dénuée de gêne et d’ambiguïté. » Mais quand, comme Taubira, on milite pour la réforme des grandes institutions multilatérales et pour l’émergence d’un Parlement mondial des citoyens, ces progrès à accomplir ne sont que de petits ajustements…
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