Nigeria : à quand un homme providentiel ?

Les Nigérians devaient choisir, ce 25 février, leur nouveau chef de l’État. De nombreux défis (sécuritaires, économiques et sociaux) attendent le vainqueur, alors même qu’aucun des candidats n’a formulé de propositions concrètes pour les relever.

Affiches des candidats, à Lagos, le 22 février 2023, trois jours avant le premier tour des élections générales. © Emmanuel Osodi/Anadolu Agency via AFP

maperousemontclos

Publié le 25 février 2023 Lecture : 4 minutes.

Positivons ! Depuis la fin de la dictature militaire, en 1999, le Nigeria organise régulièrement des scrutins, et, malgré quelques tentatives, les présidents élus ne sont jamais parvenus à modifier la Constitution pour être autorisés à exercer un troisième mandat, contrairement à ce qu’il s’est passé en Côte d’Ivoire.

En 2015, et pour la première fois de son Histoire, le pays a même réussi une alternance pacifique, c’est-à-dire que le changement de gouvernement a résulté d’une victoire de l’opposition dans les urnes, et non d’un assassinat politique ou d’un coup d’État. Indéniablement, le Nigeria est beaucoup plus démocratique que les régimes militaires au pouvoir au Tchad, au Burkina Faso, au Mali ou en Guinée. Aujourd’hui, le jeu reste ouvert, et les deux principaux candidats à la présidence sont au coude-à-coude.

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Achats de voix, fraudes et intimidations

Mais de quelle démocratie parle-t-on ? D’un scrutin à l’autre, le taux d’abstention reste très élevé et touche à peu près les deux tiers de l’électorat. Quant au tiers restant, il rencontre souvent de grandes difficultés à être enregistré et à se déplacer jusqu’aux bureaux de vote. L’on déplore toujours des achats de voix, des fraudes et différentes formes d’intimidation contre les citoyens susceptibles d’accorder leurs suffrages aux partis d’opposition locaux. La classe dirigeante, elle, renvoie l’image d’une mafia davantage soucieuse de détourner la rente pétrolière que de servir les intérêts de la nation.

Âgés, les deux principaux candidats en lice, Bola Tinubu (pour l’APC) et Atiku Abubakar (pour le PDP), ont ainsi la réputation d’être très corrompus. Le premier donne de surcroît l’impression d’être cacochyme. En témoigne sa récente prestation à Chatham House, un célèbre think tank londonien, où il s’est révélé incapable de répondre aux questions qu’on lui posait.

Pour garder l’espoir d’un changement de gouvernance, les regards se tournent donc vers un « troisième homme », Peter Obi, souvent présenté comme le candidat de la jeunesse et des élites urbaines. Originaire du Sud-Est à dominante ibo, celui-ci va sans doute attirer une partie des voix des Nigérians déçus par le bilan catastrophique du président sortant, Muhammadu Buhari.

Second tour en vue ?

Les votes en faveur de Peter Obi pourraient alors contraindre Bola Tinubu et Atiku Abubakar à passer l’épreuve d’un second tour, ce qui serait une première dans l’histoire de la quatrième république, instaurée en 1999. En effet, la loi stipule que, pour être élu, il faut recueillir au moins 25% des voix dans les deux tiers des États de la fédération.

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La candidature de Peter Obi va ainsi dynamiser le jeu politique. Il ne faut cependant pas se bercer d’illusions. Peter Obi a plus de 60 ans et n’est nullement un outsider. Au contraire, il est un pur produit du sérail. Ancien gouverneur de l’État d’Anambra, il fut le colistier d’Atiku Abubakar lors de la précédente présidentielle, en 2019. S’il se présente aujourd’hui, ce n’est pas pour révolutionner le Nigeria, mais en grande partie par dépit, parce qu’il n’est pas parvenu à être investi candidat lors des primaires du PDP, en 2022. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’il négociera très cher son ralliement dans l’éventualité d’un second tour.

Peter Obi a, en réalité, un profil de gestionnaire, qui peut davantage séduire l’électorat « moderne » que ne le font les pratiques clientélistes de Bola Tinubu ou d’Atiku Abubakar. La tâche est immense au vu de l’ampleur de la crise économique et monétaire qui frappe le géant de l’Afrique. En l’occurrence, les pénuries de liquidités et de carburant pourraient fort bien conduire à un report du scrutin. Surtout, la colère gronde, et elle pourrait être autrement plus dévastatrice que les habituels niveaux de violence qui caractérisent les compétitions électorales au Nigeria, de l’assassinat aux mouvements de foule en passant par les attentats.

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Cercle vicieux

Structurellement, de nombreux défis sécuritaires, économiques et sociaux attendent le futur vainqueur de la présidentielle. Le premier producteur de pétrole d’Afrique trouve en effet le moyen de perdre de l’argent quelle que soit l’évolution des cours mondiaux du baril. Cela fait à peu près un an que la Banque centrale ne reçoit plus un sou de la compagnie nationale des pétroles. Quant au vol de brut, le bunkering, il pénalise terriblement la production des gisements on shore et fait fuir les investisseurs.

C’est un cercle vicieux. Lorsque les prix du baril sont à la baisse, le Nigeria voit ses revenus d’exportation de brut diminuer mais allège d’autant la facture de ses importations de produits raffinés, qui sont subventionnés à fonds perdus pour alimenter la consommation nationale de carburant. En revanche, lorsque les prix du baril sont à la hausse, le pays gagne davantage d’argent à l’exportation et en perd encore plus à l’importation compte tenu des nombreuses fraudes qui grèvent un système pour le moins opaque d’attribution de licences à des distributeurs et à des stations d’essence, lesquelles, parfois, n’existent que sur le papier.

Force est de constater, à cet égard, qu’aucun des candidats à la magistrature suprême n’a formulé de propositions concrètes pour résoudre ce dilemme. Quel que soit le résultat des élections, les Nigérians devront donc continuer à se débrouiller par eux-mêmes pour compenser la baisse de leurs revenus pétroliers et faire tourner la machine économique du troisième pays le plus peuplé du monde d’ici à 2050.

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