Banque mondiale : la citadelle assiégée
Jim Yong Kim, le candidat présenté par les États-Unis, devrait remplacer Robert Zoellick à la tête de la Banque mondiale en juin. Mais le monopole américano-européen sur les institutions financières est de plus en plus contesté par les pays émergents.
Pour la première fois, la Banque mondiale semble résolue à appliquer un processus de sélection « ouvert, fondé sur le mérite et transparent » pour désigner le successeur de Robert Zoellick, son président (celui-ci n’a pas demandé le renouvellement de son mandat, qui arrivera à son terme le 30 juin). Jusqu’ici, les États-Unis s’arrogeaient le droit de nommer le patron de la Banque, les Européens se réservant, avec leur complicité, celui du Fonds monétaire international (FMI). Ngozi Okonjo-Iweala, 57 ans, ministre des Finances du Nigeria, José Antonio Ocampo, 59 ans, universitaire et ancien ministre des Finances de Colombie, et Jim Yong Kim, 52 ans, président du Dartmouth College, l’une des universités américaines les plus prestigieuses, ont été présélectionnés, le 23 mars, par le conseil d’administration.
Pour être retenu, chacun des trois candidats devra « avoir fait ses preuves à des postes de direction ; posséder une expérience de l’administration des grandes institutions internationales et une bonne connaissance du secteur public ; être en mesure de présenter une vision claire de la mission de développement de la Banque ; être fermement déterminé à promouvoir la coopération multilatérale et être convaincu de son importance ; être en mesure de communiquer de façon efficace et diplomatique et de faire preuve d’impartialité et d’objectivité dans l’exercice de ses fonctions ».
À l’aune de ces exigences, c’est « Ngozi » – comme elle est universellement appelée – qui semble la plus qualifiée. Diplômée de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), elle est entrée à la Banque mondiale en 1982 et a arpenté le monde en développement pour surveiller la mise en place de programmes d’aide aux pays pauvres. Ministre des Finances de 2003 à 2006, elle a mené une lutte sans merci contre la corruption et obtenu une très sensible réduction de la dette nigériane : 18 milliards de dollars. De 2007 à 2011, elle a été la numéro deux de la Banque avant de diriger de nouveau les finances de son pays.
José Antonio Ocampo est estimé bien au-delà de l’Amérique latine. De 2003 à 2007, il a été secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires économiques et sociales. Diplômé de l’université américaine Yale, il a aussi été ministre de l’Agriculture (1993-1994) puis des Finances (1996-1998) de la Colombie. Depuis 2007, il enseigne le droit international à l’université américaine Columbia. Il est proche de Joseph Stiglitz, le Prix Nobel d’économie américain, avec qui, en 2006, il a écrit un livre sur la stabilité et la croissance.
"Ngozi" dénonce l’hypocrisie "l’hypocrisie" des Occidentaux acharnés à perpétuer leur domination.
La surprise est venue du choix de Jim Yong Kim par Barack Obama. On attendait une des femmes de poids de l’administration américaine, Hillary Clinton ou Susan Rice ; mais c’est ce médecin américano-coréen formé à Harvard et docteur en anthropologie qui a été présenté. Celui-ci a consacré la plus grande partie de sa brillante carrière à combattre les pandémies dans les pays en développement : de 1987 à 2009, il a notamment dirigé le département de lutte contre le VIH/sida de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Sa qualité principale est de n’être issu ni de Goldman Sachs, ni de l’administration américaine, ni du petit monde des experts en développement. Son handicap est le revers de cette originalité, il ne connaît pas les processus du développement. Il a même écrit, en 2000, un livre dans lequel il accuse la croissance d’avoir paupérisé les classes moyennes des pays en développement. Étrange point de vue pour un homme qui aspire à diriger la Banque mondiale – dont la croissance est précisément l’objectif essentiel !
L’originalité de la compétition qui débute est d’opposer des candidats dont aucun n’est né aux États-Unis, mais qui sont tous issus des universités américaines. Ils ont en somme un pied « dedans » et l’autre « dehors », ce qui traduit bien l’évolution en cours dans la gouvernance des institutions de Bretton Woods. On sait que les pays émergents, qui assurent plus de la moitié de la croissance économique mondiale, contestent de plus en plus vigoureusement le duopole américano-européen…
Division
Mais ne rêvons pas. Le docteur Kim a toutes les chances de l’emporter. D’abord parce que les pays en développement ne sont pas parvenus à s’entendre sur un seul nom. Certes, l’Union africaine est derrière Ngozi, même si le Rwandais Paul Kagamé a applaudi le choix de Kim, qu’il connaît personnellement. Mais le Brésil hésite à soutenir Ocampo, l’Inde ne veut rien dire, la Russie manie la langue de bois pour ne pas se prononcer et les Chinois déplorent par avance la victoire du candidat américain !
La principale raison de la probable victoire de Kim est que les Américains détiennent près de 17 % des voix au conseil de la Banque et que les voix européennes (32 %) lui sont acquises en remerciement du soutien de Washington à la candidature de Christine Lagarde à la direction générale du FMI, l’an dernier. Si l’on y ajoute les voix du Japon, du Canada, de l’Australie et de quelques autres pays, il est clair que la majorité des suffrages est virtuellement acquise au candidat américain. Les mentalités et la géostratégie ont incontestablement évolué, mais pas encore suffisamment pour que tombe l’une des dernières citadelles monopolisées par les pays riches.
Pour se faire connaître, Jim Yong Kim a entrepris de visiter, avec l’assistance du Trésor américain, sept pays jusqu’au 9 avril : Éthiopie, Chine, Japon, Corée du Sud, Inde, Brésil et Mexique. Comme ses deux challengeurs, il sera ensuite entendu sur la politique qu’il entend conduire par le conseil d’administration. Celui-ci s’est donné pour objectif de désigner son président avant le 20 avril, « par consensus ». Mais le doute n’est pas permis : il sera américain. C’est la raison pour laquelle Ngozi a durci le ton dans le Financial Times du 29 mars. Elle veut désormais faire du processus électoral un « test » destiné à révéler « l’hypocrisie » de tous ceux qui déclarent vouloir un scrutin « ouvert », mais dont le seul objectif est de perpétuer leur domination.
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